Bonjour Mesdames, Messieurs,
C’est un grand honneur pour moi et pour les Verts d’intervenir à ce colloque sur la résistance populaire non violente en Palestine. J’ai appris beaucoup de choses aujourd’hui de nos amis palestiniens et israéliens.
Ce débat est très important et les prises de positions lues du député proche de Monsieur de Villepin et de Jean-Louis Bianco peuvent marquer une rupture importante si les socialistes et la droite républicaine confirment ces positions.
Au delà du fait que les Verts et les écologistes comptent parmi leurs valeurs, celle de la non-violence, c’est aussi la légitimité de la résistance palestinienne et l’aspect universel de celle-ci, au delà de l’article 51 de la Charte des Nations Unies qui rappelle le droit de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas d’une agression armée.
Dans cette intervention, je commencerai par expliquer en quoi cette résistance a un aspect universel qui transcende les différences culturelles, ethniques ou religieuses. Ensuite, je montrerai l’importance d’une pensée écologiste de la résistance non violente. Et pour terminer, je proposerai des pistes pour soutenir efficacement cette résistance non-violente palestinienne.
La commission transnationale des Verts dont je suis le responsable aborde de nombreuses questions internationales, sur différents continents. Mais pourquoi consacrons nous autant de notre temps au conflit israélo-palestinien ? La naissance de l’État israélien est liée en partie aux monstruosités qu’a connu l’Europe lors de la seconde guerre mondiale et à l’ignominie de la Shoah qui a été l’expression de la barbarie la plus abjecte, de l’inhumanité la plus totale, conduisant l’ONU à reconnaître Israël en 1948. Mais les palestiniens ne doivent pas être responsables pour les européens.
Par la suite l’ONU a critiqué Israël. La résolution 242 du Conseil de sécurité du 22 novembre 1967, qui souligne l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre et exige le retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés, a marqué une rupture. Depuis l’ONU a renouvelé plusieurs fois ses critiques envers la politique de l’État d’Israël.
Mais, aujourd’hui, la critique est plus large. Elle concerne tous les démocrates de la planète, même celles et ceux qui n’ont aucune attache avec cette région du monde. C’est la dérive d’un État doté d’un système démocratique qui petit à petit s’affranchit de toutes les règles élémentaires du droit international. Israël est une démocratie au sens où c’est un peuple qui élit souverainement et démocratiquement un gouvernement, qui lui est coupable de violation du droit international et ce depuis des décennies (Sabrah et Chatila, Jenine, Cana…), sans être sanctionné, ce qui est crée une situation d’impunité.
Ces violations du droit se multiplient et s’amplifient. Le récent rapport rendu par la mission des Nations unies sur les faits commis lors du conflit de Gaza, menée par le juge Richard Goldstone a accusé Israël de crimes de guerres et de violations graves du droit humanitaire et international. Souvent certains soutiens indéfectibles au gouvernement israélien excusent ce pays au nom du fait que c’est une démocratie dans une région où existent de nombreux régimes autoritaires. C’est un argument douteux et peu recevable dans le sens où une démocratie doit montrer l’exemple, être exemplaire en matière du respect du droit, notamment des droits humains. Mais nous ne sommes pas là pour discuter de la déliquescence de la démocratie israélienne, notamment au détriment de sa population arabe ou ou de sa population bédouine. Le plus grave est autre. À partir du moment où une démocratie, où qu’elle se situe, s’affranchit de ses devoirs, elle ouvre une brèche dans le droit international et permet toutes les dérives, justifiant a posteriori celles des régimes autoritaires. Un crime de guerre commis par une démocratie, en l’occurrence Israël affaiblit toutes les actions menées contre les dictatures à travers le monde.
Le deuxième élément de mon intervention concerne les stratégies de résistance. Lors d’une audition de Cécile Duflot et de moi-même dans le cadre de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationalei, nous récusions le vieil adage justifiant les stratégies militaires dans les démocraties, « si tu veux la paix, prépare la guerre » (« si vis pacem, para bellum »). Nous préférons un autre adage « si tu ne veux pas la guerre, prépare la paix » (« si nolis bellum, para pacem »). Le premier adage relève d’un syllogisme, d’une ruse de la pensée pour justifier la préparation de la guerre. Il suffit d’en prendre la contraposée pour en voir le caractère fallacieux et insidieux mais je ne suis pas là pour faire un discours savant.
Si la situation est différente entre la France et un peuple occupé, en lutte pour la reconnaissance de ces droits et de sa souveraineté, nous pouvons tirer de ces deux adages, deux points importants : le premier est la critique du syllogisme derrière lequel se cache Israël et le second « préparer la paix » nécessite une politique exigeante. Comme la dit Gandhi, penseur et acteur de la non violence, la fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la semence.
Revenons sur le syllogisme qui permet aux gouvernants israéliens de justifier auprès de sa population et de l’opinion mondiale sa politique d’occupation et de militarisation du conflit, ce que Roy Wagner a nommé ce matin le mythe de la gauche sioniste. Partant de deux propositions justes, « Israël est (formellement) une démocratie. » et « les pays arabes voisins ne sont pas des démocraties » (même si la situation libanaise est plus complexe), les gouvernants en tirent de faux constats, « les arabes dont les palestiniens ne sont pas des démocrates » et les « ennemis d’Israël sont des ennemis de la démocratie » donc au nom de la défense de la démocratie, Israël pourrait se permettre des gestes inacceptables, une violence « légitime », au sens de Max Weber. C’est la position théorique des néo-conservateurs américains. Nous nous sommes toujours opposé à cette politique.
Les écologistes n’ont jamais été des tenants de la realpolitik qui pratique souvent le cynisme en sacrifiant les valeurs à court terme pour générer des situations catastrophiques demain. Aujourd’hui, Israël doit être condamné pour ses crimes au regard du droit international. Une démocratie ne peut pas tout se permettre. L’État d’Israël ne se contente plus aujourd’hui d’assurer sa sécurité quand il se dote de l’arme nucléaire, quand il pratique une politique de colonisation, quand il enferme des populations avec un mur sécurisé comme à Bil’in, quand il empêche la circulation des populations de Gaza et de Cisjordanie, quand il morcelle la Palestine, la transformant en un immense archipel. C’est la volonté manifeste d’une politique d’empêcher la création d’un État palestinien.
La fin est dans les moyens. Et la non-violence est un des moyens que les écologistes mettent en pratique. Ce n’est pas une posture tactique, c’est le fondement de notre pensée politique qui a fait ses preuves dans le passé, Gandhi contre l’occupation anglaise en Inde mais aussi contre l’apartheid en Afrique du Sud, Martin Luther King contre la ségrégation au États-Unis, Rugova au Kosovo mais aussi partiellement dans la chute des dictatures en Espagne, au Portugal, en Grèce, ainsi que dans la chute du mur en Europe, et dans le retour de la démocratie en Amérique latine…
Cela étant dit, la politique de non-violence est une politique difficile, exigeante qu’il est facile de critiquer pour défendre des politiques violentes et de magnificence des héros martyrs de la résistance. La violence amène la violence. Comme l’a montré admirablement René Girard dans « la violence et le sacré », la violence mimétique suscite la victime émissaire. C’est une réalité malheureusement anthropologique à laquelle le Politique doit s’opposer. Toute politique basée sur la sécurité a besoin d’un bouc émissaire. Les actes violents des uns alimentent les actes violents des autres, entraînant une escalade de la violence ou un retournement de la violence sur soi comme à Gaza lorsqu’il y a eu des affrontements entre groupes palestiniens. Et lorsqu’il y a une asymétrie du rapport de force, cela provoque ce que ce matin Bernard Ravenel appelait un mécanisme de sur-violence. Comme l’État est détenteur de la « violence légitime », la violence s’alimente d’elle-même, et s’auto-justifiant, elle augmente en intensité. Ce sont ces cercles vicieux qu’il faut rompre, la violence se retournant sur elle et la sur-violence des dominants.
Mais même si je prenais un point de vue realpolitik qui n’est pas le mien, la politique non violente reste la plus pertinente. En effet, il y a une telle asymétrie dans le rapport de force militaire que l’opposition militaire est une impasse stratégique et même le Hamas semble d’ailleurs l’avoir compris. Si ce n’est le cas, il commettrait une erreur stratégique.
J’en viens à la troisième partie de mon intervention. Comment soutenir efficacement la résistance populaire non violente en Palestine ?
Tout d’abord, aujourd’hui, l’universalisme est majoritairement du côté du peuple palestinien et non du côté de l’État d’Israël. La violente attaque de Tsahal contre Gaza en janvier 2009, l’acte de « piraterie », au sens du droit international, contre la flottille de la paix pour Gaza ont interpellé l’opinion mondiale. Le vote de la résolution récente du Parlement européen condamnant l’attaque de la flottille par 470 votes pour, 56 votes contre et 56 abstentions est très symptomatique de la désapprobation de l’opinion. Le texte n’est pas parfait mais il est un acte politique important. Pour les écologistes, quelle que soit l’attache qu’ils aient à cette région du monde, il y a unanimité sur la condamnation de l’attaque, que cela soir au niveau des partis nationaux à l’échelle internationale (le parti vert turc, le parti vert américain, les partis verts européens), du parti vert européen, des députés. La négociation de cette résolution a été menée par Dany Cohn Bendit comme vice-président du groupe Vert au Parlement européen et Nicole Kiil-Nielsen, membre de la délégation UE/Palestine. En 2002, le Groupe Vert du Parlement Européen mené avec Alima Boumediene-Théry comme rapporteuse, avait voté la résolution sur la suspension de l’accord UE/Israël qui n’a pas été suivi d’effet par le Conseil européen et les États nations.
Une politique non-violente, est une politique exigeante qui demande à être précis dans ses analyses et actes. Elle est difficile à mener. Elle nécessite de la patience et de la persévérance, de juger la proportionnalité des actes au résultat attendu et réalisé, et le plus difficile, être capable d’une analyse critique et de réviser en permanence ses actions en cas d’échec. Elle n’est pas sans risque comme l’a montré l’attaque de la flottille et les morts. La non-violence n’est pas le pacifisme qui est le refus absolu de toute violence comme l’a montré et écrit Gandhi en Inde. Dans des cas extrêmes, à titre défensif, il peut y avoir usage de la violence.
La lutte des palestiniens n’est pas une lutte locale. C’est une lutte internationale. Nous devons, nous parti européen, assurer cette internationalisation de la lutte en restant constant, s’opposer aux accusations d’antisémitisme. Ce n’est pas toujours facile mais la persévérance est cruciale dans la réussite de cette lutte qui doit encore gagner en soutien populaire. Le CRIF nous a souvent mis au pilori en critiquant notre soi-disant discours ambigu, en « jouant » sur le vert de l’Islam et le vert de l’écologie. Je dois souligner par ailleurs que l’ancien responsable de la commission transnationale, Patrick Farbiaz, a gagné un procès pour diffamation contre le site Internet Proche Orient.Info.
La bataille de la communication est cruciale. L’État d’Israël est très actif dans ce domaine, utilisant de tous les médias (papier, radio, télévision, internet…), de tous les méthodes de désinformation dans une logique très orwellienne, visant à délégitimer la résistance non violente comme de nombreux témoignages l’ont montré aujourd’hui.
L’autre élément important est la coordination de la résistance non violente entre palestiniens, avec les israéliens, à l’échelle internationale. L’unité populaire est une condition de la réussite de la lutte non-violente. Une politique sérieuse nécessite une pluralité de mode d’action. Le centre palestinien pour l’étude de la non-violence a rapporté 26 types d’actions non violentes lors de la première Intifada. La diversité est aussi une condition de réussite. Coordination et communication sont intrinsèquement liées car la lutte non violente est une lutte positive et active. Elle vise pour nous, non palestinien et non israélien, à assurer la légitimité des palestiniens non violents par rapport à celle de l’État d’Israël. C’est une bataille médiatique de tous les instants.
L’autre front important de la lutte non-violente est la question économique. C’est en cela que nous nous engageons pleinement dans la campagne Boycott – Désinvestissements – Sanctions. Sur ce point, notre position n’est pas le boycott des produits israéliens mais le boycott des produits issus des colonies ou ceux dont on ne peut pas assurer la traçabilité. Notre position actuelle n’est pas une campagne contre Israël comme cela avait pu être le cas contre l’Afrique du Sud. Cette position peut évoluer mais aujourd’hui, l’affaiblissement économique d’Israël est incertain du fait du soutien financier des États-Unis, de l’accord d’association Israël-Union européenne, des exportations incontrôlables de technologie d’armements et de sécurité.
Cette campagne doit viser à montrer du doigt la politique de colonisation des territoires palestiniens du gouvernement israéliens, ainsi que toutes les entreprises occidentales qui contre toute morale, ne visent qu’à faire des profits. Cela ne peut être que dans un deuxième temps, une fois avoir réussi à sensibiliser l’opinion mondiale qu’une action efficace pourrait être d’élargir le boycott et de mettre au ban des nations, l’État d’Israël comme ce fût le cas pour l’Afrique du Sud.
Mais aujourd’hui, il faut approfondir le lien entre résistance non-violente et obligation de l’Union européenne et de ses États membres à faire respecter le droit international, et à lutter en particulier contre l’impunité pour renforcer cette résistance non-violente. Ainsi, dans l’attente, il faut suivre l’application de la dernière résolution du Parlement européen. Le Conseil d’association UE-Israël, l’organe bipartite chargé de superviser l’accord d’association, doit se réunir et l’application de l’article 2 de cet accord sur le respect des droits humains provoquerait la suspension de l’accord. En attendant, les coordinateurs de la Commission du Commerce International du parlement européen viennent de décider hier de geler le calendrier pour le rapport sur l’évaluation de la conformité et l’acceptation des produits industriels (ACAA).
En France, il faut continuer la campagne contre l’implantation de l’entreprise AGREXCO dans le port de Sète. La société AGREXCO, contrôlée à 50% par l’État israélien, commercialise surtout des fruits, des légumes et des fleurs provenant des colonies de la vallée du Jourdain. Un ancien conseiller régional Vert, Sylvain Pastor, passe en procès jeudi prochain, suite à l’accusation d’antisémitisme par Georges Frêche lors d’une séance du conseil régional du Languedoc, débattant de l’installation d’Agrexco dans la région. Par ailleurs, Alima Boumediene-Thiery est aussi jugé avec d’autres militants pour une action de la campagne BDS en septembre.
Pour conclure, ce qui se joue aujourd’hui dans cette région du monde, c’est notre capacité collective à trouver une solution démocratique et non violente à un conflit qui porte en lui des éléments universels. Pour nous, c’est un devoir et c’est notre responsabilité d’agir. De ce résultat peut dépendre l’avenir de la paix, de toutes les démocraties, voir de la survie de l’humanité si on ne dénucléarise pas la région.
Je vous remercie de votre attention.
Jérôme Gleizes, le 25 juin 2010
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