Daniel Lagot, président de l’ADIF,

Association pour la défense du droit international humanitaire, France

Où en est-on neuf mois après ? Outre le « Tribunal Russell sur la Palestine », tribunal d’opinion non officiel lancé en mars, une plainte a été déposée auprès de la CPI, Cour pénale internationale, par un collectif d’avocats et d’organisations avec l’appui de l’Autorité palestinienne ; une pétition a été envoyée fin septembre à l’Assemblée Générale des Nations unies, lui demandant de créer un tribunal ad hoc pour la Palestine ; le Conseil des droits de l’homme a approuvé le 16 octobre le « rapport Goldstone » publié fin septembre à la suite de la mission confiée en avril à un groupe d’experts. Le rapport accuse Israël mais aussi les « groupes armés palestiniens ». Il souhaite que le Conseil de sécurité demande à Israël et aux autorités de Gaza de mener des enquêtes sérieuses sur les crimes commis de part et d’autre et, à défaut de résultats au bout de six mois, qu’il saisisse la CPI.

Le but de cet article n’est pas de revenir sur l’ampleur des crimes israéliens. Il est de donner une information précise sur la situation juridique et ce qu’on peut attendre de ces initiatives. La section 1 présente le « droit international humanitaire » et les interprétations qui en sont données par les différentes parties à propos de Gaza. Les sections 2 et 3 discutent la plainte auprès de la CPI et la pétition, la section 4 présente les recommandations du rapport Goldstone, et la section 5 les conclusions de l’auteur sur la question posée dans le titre de cet article.

1. Le droit international humanitaire et Gaza

Le droit humanitaire dans les conflits armés est un ensemble mal défini de règles issues de traités, qui n’ont cependant pas toujours été ratifiés par tous les pays, ou supposées représenter un consensus théorique même si certains ont une pratique différente (« droit coutumier »). On peut distinguer :

i) les règles protégeant les personnes au pouvoir d’une partie au conflit ou d’une puissance occupante. C’est le cas des Conventions de Genève (1949), ratifiées par tous les pays, qui définissent des « infractions graves », plus tard appelées crimes de guerre : homicide, causer intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé, torture, traitements inhumains, détentions illégales, destructions de biens non justifiées par des nécessités militaires,….

Selon Israël, Gaza n’est plus en son pouvoir depuis qu’il a quitté ce territoire : il faudrait donc juger de violations éventuelles du droit humanitaire sur la base de ce que dit ce droit au cours des hostilités (voir point ii) ci-dessous), en l’occurrence entre Israël et le Hamas. Le rapport Goldstone estime, lui, qu’Israël contrôle toujours dans la pratique la vie à Gaza, qui resterait donc territoire occupé malgré une administration palestinienne sur place sans grands moyens : les Conventions devraient donc également s’appliquer. Israël aurait commis un grand nombre de leurs infractions graves en attaquant Gaza et pourrait aussi être accusé de crimes contre l’humanité : attaques généralisées contre des populations civiles. D’autres crimes de guerre, sur lesquels il y a un large consensus, incluent « le fait d’affamer délibérément des civils en les privant de biens indispensables à leur survie, y compris en empêchant délibérément l’envoi de secours », comme l’indique un article de la CPI. Le rapport Goldstone estime que la « survie de la population » est menacée par le blocus, ce que conteste Israël.

ii) les règles au cours des hostilités entre parties : il y a consensus sur les principes (attaquer uniquement des cibles militaires,…), mais la version qui en est donnée dans le Statut de la CPI, ratifié par 110 pays, sous l’influence occidentale (y compris des Etats-Unis et Israël qui ont participé à sa rédaction même s’ils ne l’ont pas ratifié à ce jour), est moins contraignante et plus ambiguë que celle du Protocole I de 1977 additionnel aux Conventions de Genève, ratifié par 168 pays mais pas par les Etats-Unis ou Israël et de manière restrictive par les pays européens.

Les différences portent entre autres sur les pertes civiles acceptables lors d’opérations contre des cibles militaires et le Statut de la CPI reste par ailleurs ambigu sur la définition des objectifs militaires :

– pour le Protocole, sont des crimes de guerre « les attaques contre la population ou des personnes civiles » : il précise que la présence de non civils isolés « ne prive pas la population de sa qualité civile » et « en cas de doute, une personne doit être considérée comme civile ». Les attaques contre des cibles militaires sont des crimes de guerre si elles sont menées en sachant qu’elles vont causer des pertes civiles incidentes « excessives par rapport à l’avantage militaire direct et concret attendu ».

La CPI restreint les crimes de guerre aux « attaques délibérées menées intentionnellement contre la population ou des personnes civiles en tant que telles », sans les précisions du Protocole, et aux attaques menées en sachant qu’elles vont causer des pertes civiles « qui seraient manifestement excessives par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire… ». La notion d’ « ensemble » peut correspondre à une réserve des pays européens lors de leur ratification du Protocole : pour eux, « l’avantage militaire doit désigner celui de l’ensemble de l’attaque et non de ses parties isolées ou particulières », donnant au mot attaque le sens d’un ensemble d’opérations plus ou moins important.

– s’agissant de biens de caractère civil (infrastructures, biens économiques,…), les objectifs militaires sont, selon le Protocole, ceux dont la destruction apporte, dans les circonstances du moment, un avantage militaire précis. Israël, à la suite des Etats-Unis, les élargit à ceux dont la destruction apporte un avantage certain dans le cadre de « l’ensemble de l’opération militaire enclenchée », donc ceux qui pourraient même indirectement être utiles à l’adversaire tout au long du conflit. Le Statut de la CPI ne donne pas de définition, ne fait aucune référence au Protocole et laisse l’ambigüité à ce sujet.

Selon Israël, les biens visés à Gaza étaient des objectifs militaires, et ses bombardements n’auraient pas visé les civils en tant que tels, mais les combattants du Hamas qui se seraient cachés au sein de la population, y compris dans des écoles, hôpitaux,…, pour lancer leurs attaques et auraient aussi utilisé des ambulances. Il reconnaît la possibilité d’erreurs de tirs ou d’attaques suite à une information erronée sur une présence ennemie, mais sans intention de viser les civils, et déclare faire des enquêtes sur des cas particuliers éventuels. Il a par ailleurs assimilé les forces de police à Gaza à des forces militaires du Hamas, point de vue qui n’est pas celui de la plainte auprès de la CPI ou du rapport Goldstone. Les pertes civiles incidentes, elles, ne seraient pas manifestement excessives par rapport à l’avantage militaire espéré de l’ensemble de l’opération Plomb durci : assurer sa sécurité.

Selon la plainte auprès de la CPI, de très nombreuses attaques de civils ont eu lieu. En fait, « il y avait uniquement un but civil, causer des pertes humaines chez les civils et des destructions … Sinon, pourquoi bombarder aux heures de sortie des écoles, les centres de sécurité civile, les écoles de l’ONU, les biens économiques, les réserves alimentaires, le tiers des terres cultivées,… ? ». L’analyse est voisine dans le rapport Goldstone, qui n’a pas par ailleurs confirmé d’attaques palestiniennes à partir d’hôpitaux, mosquées, écoles,…ou d’utilisation d’ambulances, sans pouvoir cependant les exclure. Utiliser les civils pour protéger des cibles militaires ou l’emploi indu de signes protecteurs (Croix-Rouge,…) est interdit ou est un crime de guerre selon le Protocole ou la CPI. Le rapport considère cependant qu’il n’y a pas eu de manière générale utilisation des civils par les groupes palestiniens, étant donné les conditions à Gaza qui ne leur permettaient pas de s’isoler des civils, tout en regrettant l’absence de mesures de précaution suffisantes de leur part. Mais il dénonce l’utilisation de boucliers humains palestiniens par l’armée d’Israël et son non respect des mesures de précaution et de la règle selon laquelle « en cas de doute, une personne doit être considérée comme civile ».

Le rapport rejoint la position d’Israël à propos des tirs palestiniens vers des zones civiles en Israël en estimant qu’il s’agit de crimes de guerre qui ont causé des dommages matériels et psychologiques et auraient causé des pertes en vies humaines plus importantes en l’absence des mesures de protection prises par Israël (qui ont cependant laissé de côté la population d’origine palestinienne selon le rapport, ce qu’il dénonce). Mais, contrairement à Israël, il retient la thèse du Hamas selon laquelle ces tirs ont été le fait de groupes indéterminés, tout en reprochant au Hamas de ne pas avoir empêché les actions de ces groupes et de ne pas avoir mené d’enquêtes adéquates en vue de poursuivre leurs responsables.

Armes utilisées

Des traités généraux, tels que le Protocole de 1977 ou une convention de 1980 sur les armes classiques, interdisent ou limitent les méthodes de guerre, donc indirectement l’emploi de certaines armes, pouvant causer des dommages graves aux populations ou à l’environnement ou frapper sans discrimination. Ils n’ont cependant pas été ratifiés par tous les pays, en particulier par les plus puissants militairement tels qu’Israël, et les interprétations qui en sont données à propos de telle ou telle arme sont variables. Ces traités ou d’autres interdisent ou limitent aussi l’emploi de certaines armes spécifiques. Beaucoup n’ont pas non plus été ratifiés par les Etats les plus puissants, dont Israël.

Pour la CPI, les seules armes dont l’emploi est en soi un crime de guerre sont à peu près celles qui étaient déjà interdites à La Haye en 1899 : armes empoisonnées, certains types de balles, gaz asphyxiants, toxiques ou similaires. D’autres pourraient s’ajouter si elles font l’objet d’ « interdictions générales » et d’amendements au Statut. Il n’y en a pas eu à ce jour, qu’il s’agisse des armes à sous munitions, des bombes au phosphore, des armes à uranium appauvri,…La plainte auprès de la CPI et le rapport Goldstone dénoncent leur emploi par Israël, qui estime s’être conformé au droit international.

2. La plainte auprès de la CPI

Pour ses promoteurs, il est nécessaire, avant d’envisager d’autres voies, d’utiliser les possibilités existantes, à savoir la CPI, créée par un groupe d’Etats en 1998 pour juger les responsables des crimes de guerre, contre l’humanité ou génocide les plus graves, si les tribunaux des pays concernés ne peuvent pas ou ne veulent pas poursuivre leurs nationaux de manière adéquate. Elle peut agir sur demande d’un Etat partie (ayant ratifié le Statut) ou du Conseil de sécurité (cas du Darfour), qui peut aussi bloquer ses actions pour un an renouvelable selon le Statut. Le Procureur peut aussi initier une enquête de sa propre initiative si un des Etats concernés est Etat partie, ce qui implique acceptation de la compétence de la Cour, ou déclare accepter sa compétence en l’occurrence.

Israël n’est pas Etat partie et n’a pas déclaré accepter sa compétence. L’Autorité palestinienne a, elle, déclaré l’accepter en se revendiquant comme Etat, dont elle estime avoir les attributs. Le Procureur, puis la Cour, devront en décider. Ils devront aussi décider dans ce cas si elle a autorité sur Gaza (ce qui peut poser problème bien que des dirigeants du Hamas aient approuvé la plainte). Dans différentes circonstances internationales, l’Autorité palestinienne a été implicitement considérée comme Etat, sans cependant de reconnaissance « explicite » à ce jour. Le représentant de la Palestine avait demandé en 1989 à ratifier les Conventions de Genève en tant qu’Etat de Palestine. La Suisse, dépositaire, avait refusé « en raison de l’incertitude quant à l’existence ou non d’un Etat de Palestine » ; il n’y a pas eu de changement depuis. Un autre problème est la rétroactivité. Lorsqu’un État adhère au Statut, la compétence de la Cour ne peut s’exercer que pour les crimes commis après cette adhésion (art. 11). Dans le cas d’une reconnaissance de compétence, les promoteurs de la plainte s’appuient sur le fait que l’article 12-3 est rédigé de façon qui apparemment n’exclut pas la rétroactivité, même s’il peut s’agir d’une « erreur » des rédacteurs. Mais d’autres interprétations sont possibles.

Si la Cour déclare la plainte recevable à cet égard, il faudrait de plus que le Procureur estime satisfaites les conditions suivantes selon le Statut pour qu’il ouvre une enquête : cas d’une gravité suffisante, correspondant à la définition des crimes du Statut, absence de poursuites adéquates par Israël même. Dans le passé, le Procureur a fait sur ces points une interprétation restrictive du Statut. Il pouvait agir de sa propre initiative à propos des crimes de la Grande-Bretagne, Etat partie en Irak : bombardements ayant causé de graves pertes civiles). Il a refusé en soulignant les différences du Statut avec le Protocole de 1977 et le fait que la justice britannique avait arrêté deux de ses soldats pour assassinat délibéré de civils ; on pouvait donc lui faire confiance… Il pourrait aussi poursuivre les hauts responsables des Etats-Unis pour les crimes (torture, bombardements,…) commis en Afghanistan, Etat partie. Il dit depuis 2001, qu’il étudie le dossier et, en juillet 2009, qu’il « étudie les crimes des talibans ». Il a cependant déclaré qu’il pourrait envisager des poursuites à propos de Gaza.

Dans un scénario « pessimiste », il rejetterait comme insuffisamment fondées les accusations de crimes contre l’humanité, ou de crimes de guerre liés au blocus. Quant aux bombardements, il admettrait la thèse d’Israël : les dirigeants n’auraient pas ordonné d’attaques délibérées de civils et les pertes civiles incidentes globales n’auraient pas été « manifestement » excessives dans le but d’assurer la sécurité d’Israël en faisant cesser les tirs palestiniens vers Israël. La justice israélienne elle-même poursuivrait probablement certains subalternes dans des cas trop flagrants d’attaques délibérées de civils, ce qui pourrait satisfaire le Procureur. Les dirigeants du Hamas seraient, eux, peut-être poursuivis à propos des tirs vers Israël, même si le Hamas affirme ne pas en être responsable.

Dans un scénario « optimiste », les dirigeants israéliens seraient au contraire mis en cause sur la base de différents articles du Statut. Ce pourrait être le cas à propos du blocus (y compris avant les événements de décembre-janvier 2009), des obstacles mis par Israël aux envois de secours, d’infractions graves aux Conventions de Genève si la thèse selon laquelle Gaza est toujours territoire occupé est retenue. La thèse de crimes contre l’humanité pourrait aussi être retenue. Alternativement, le Procureur pourrait retenir la thèse selon laquelle ce sont essentiellement des objectifs civils qui ont été visés dans le cadre d’une politique décidée par les dirigeants, ou bien estimer que les attaques ont été menées en sachant qu’elles causeraient des pertes civiles « manifestement excessives par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire attendu ». Nous donnerons notre avis personnel dans la section 5.

3. La pétition adressée à l’Assemblée générale des Nations Unies

Cette pétition « demande solennellement que l’Assemblée générale de l’ONU utilise son pouvoir de créer des organes subsidiaires pour mettre sur pied un Tribunal pénal ad hoc (sur le modèle de ceux créés par le Conseil de sécurité pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda) et juger les crimes commis par Israël en Palestine », notamment à Gaza. Selon ses promoteurs, s’il est important que la mobilisation de l’opinion permette une application large de la compétence universelle des juridictions nationales pour crimes de guerre et contre l’humanité, et une réforme du Statut de la CPI, ces actions s’inscrivent « dans le temps long » et « les règles de la CPI rendent très incertaines les démarches entreprises à ce jour contre Israël ». Il fallait donc proposer « quelque chose d’effet immédiat », en l’occurrence obtenir de l’Assemblée générale que, face au veto des Etats-Unis au Conseil de sécurité, elle décide elle-même la création d’un Tribunal ad hoc « sur la base de l’article 22 de la Charte de l’ONU ».

En fait, c’est au Conseil de sécurité que la Charte confie le pouvoir de prendre toutes mesures pour maintenir ou rétablir la paix t la sécurité internationales. Le Conseil avait estimé nécessaire, pour rétablir la paix, la création des tribunaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda. L’Assemblée a, elle, pour rôle de « formuler des recommandations » aux Etats membres ou au Conseil. Elle peut créer dans ce but (art. 22) des « organes subsidiaires », ce qu’elle a fait en créant entre autres le Conseil des droits de l’homme. Tant que le Conseil de sécurité est saisi d’une question, « elle ne doit faire aucune recommandation, à moins qu’il ne le lui demande ». Elle a cependant voté en 1950 la résolution 377, où elle se donne le pouvoir de recommander des actions collectives aux Etats membres si elle estime que le Conseil ne remplit plus ses fonctions « du fait que l’unanimité n’a pas pu se réaliser parmi ses membres permanents ». Destinée au départ à contourner un veto de l’Union soviétique au Conseil, cette résolution a été utilisée par la suite par exemple pour le boycott international de l’Afrique du Sud ou pour demander à la CIJ, Cour internationale de justice de l’ONU, un avis consultatif sur le mur en Palestine occupée : l’avis, en 2004, le déclare illégal. La Cour s’est interrogée à cette occasion sur la compatibilité de la 377 avec la Charte : elle a estimé son emploi acceptable.

L’article 22 en lui-même ne permet de créer un « tribunal » pouvant prononcer des jugements ayant force exécutoire : il permet de créer un nouvel organe subsidiaire pouvant aider l’Assemblée à évaluer les crimes commis. Par la résolution 377, elle pourrait de plus recommander des actions collectives aux Etats membres des Nations Unies, telles qu’un boycott d’Israël et l’arrestation de dirigeants israéliens. Deux tiers des votes sont cependant nécessaires selon la Charte pour les questions importantes. La résolution 377 a déjà été utilisée, on l’a vu, à propos de la Palestine. Le résultat avait été intéressant mais limité.

La création d’un nouvel organe subsidiaire sera probablement difficilement envisageable après le rapport Goldstone, issu lui-même d’un organe subsidiaire existant qui recommande d’ailleurs aussi le recours éventuel à la résolution 377 (voir ci-dessous) tout en mettant la priorité sur des enquêtes à mener par Israël même et sur des actions éventuelles du Conseil de sécurité dans un délai assez long. La pétition peut-elle favoriser une évolution plus rapide ? Les 40.000 signatures obtenues fin septembre sont un résultat appréciable, mais très insuffisant dans ce but selon les promoteurs eux-mêmes de cette initiative. Ils auraient décidé fin septembre d’intensifier leur campagne de signatures.

  1. 4. Les conclusions et recommandations du rapport Goldstone

La mission avait pour mandat « d’enquêter sur toutes les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire qui auraient pu être commises dans le contexte des opérations militaires à Gaza en décembre 2008 et janvier 2009, que ce soit avant, pendant ou après ». Initialement envisagée pour examiner les crimes israéliens, le président du Conseil des droits de l’homme l’avait étendue, pour obtenir le soutien de certains pays, aux crimes commis du côté palestinien. Le rapport, qui situe les événements à Gaza dans le cadre du problème Israël-Palestine, conclut que de graves violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme ont été commises des côtés israéliens et palestiniens. A propos du droit humanitaire, elles pourraient être jugées dans les deux cas comme des crimes de guerre, voire contre l’humanité. Du côté palestinien, il ne met cependant pas directement en cause le Hamas, mais des « groupes armés ». Il reproche par ailleurs à Israël et aux autorités palestiniennes, à Gaza et en Cisjordanie, des atteintes aux droits de l’homme (manifestations réprimées, arrestations d’opposants, mauvais traitements, atteintes à la liberté d’expression,…).

Il recommande au Conseil des droits de l’homme d’approuver le rapport (ce que ce Conseil a fait le 16 octobre) et de saisir le Conseil de sécurité. Au Conseil de sécurité, il recommande de demander à Israël de mener des enquêtes indépendantes selon des standards internationaux, avec des poursuites correspondantes, dans les trois mois. Il devrait, selon le rapport, établir un comité d’experts pour en juger et un autre pour évaluer les enquêtes à mener par les autorités de Gaza sur les crimes des groupes palestiniens. Dans les deux cas, en l’absence de résultats adéquats, le Conseil de sécurité devrait demander dans les six mois à la CPI d’intervenir. Le rapport demande aussi à la CPI de déterminer rapidement si la déclaration de l’Autorité palestinienne est recevable.

A l’Assemblée générale des Nations Unies, il recommande de demander à être régulièrement informée par le Conseil et de « considérer si une action supplémentaire dans ses pouvoirs serait requise dans l’intérêt de la justice, y compris selon la résolution 377 ». Il lui recommande aussi d’établir un fonds d’indemnisation des victimes palestiniennes, de demander à la Suisse l’organisation d’une conférence sur l’application des Conventions de Genève, et d’initier une discussion sur certaines armes, bombes au phosphore, métaux lourds,…en demandant à Israël un moratoire sur leur emploi.

Le rapport recommande à Israël de cesser le blocus, de revoir ses procédures militaires avec le CICR, le Conseil des droits de l’homme…, de respecter la liberté de mouvement des palestiniens, libérer les prisonniers, autoriser les visites des familles, respecter la liberté d’expression, les institutions de l’ONU en Palestine,… ; aux groupes armés palestiniens, de renoncer aux tirs vers des zones civiles en Israël et de prendre des mesures de précaution pour éviter les dommages pour les civils palestiniens pendant les hostilités, de libérer le soldat Gilad Shalit pour raisons humanitaires et d’autoriser les visites du CICR à ce prisonnier ; aux autorités palestiniennes en Cisjordanie et à Gaza, de relâcher les prisonniers politiques et garantir le respect des droits de l’homme.

Enfin, il recommande aux Etats d’appliquer la compétence universelle prévue par les Conventions de Genève, et à la communauté internationale d’augmenter l’aide aux palestiniens, de garantir le rôle du droit international dans les initiatives de paix, d’établir un programme de l’ONU sur l’environnement à Gaza et au Sud d’Israël, en vérifiant la présence de phosphore blanc, métaux lourds, produits chimiques,…, de s’assurer que l’aide parvienne à la population de Gaza et qu’un effort ait lieu en faveur des personnes handicapées, amputées ou blessées par des munitions dangereuses.

5. Conclusion

Les différentes initiatives visant la justice pour Gaza peuvent, selon certains, se nuire les unes aux autres : les efforts auprès des Nations Unies pourraient retarder une action de la CPI et réciproquement, le rapport Goldstone rendrait plus difficile une action rapide de l’Assemblée générale,… Sans entrer dans ce débat, on peut a priori se réjouir du large écho de la plainte auprès de la CPI et de la teneur générale du rapport Goldstone à propos des crimes israéliens, tout en regrettant qu’il ait mis en fin de compte sur un même plan Israël et les groupes de résistance palestiniens. Si les tirs vers des zones civiles en Israël peuvent être jugés comme des crimes de guerre, les crimes israéliens sont sans commune mesure. Accuser les palestiniens serait plus facile si Israël avait respecté le Protocole de 1977 et si les groupes palestiniens avaient eu d’autres moyens pour tenter de limiter les souffrances causées aux populations palestiniennes en l’absence d’action de la « communauté internationale ».

Sur le fond, les chances de voir les dirigeants israéliens poursuivis semblent toujours bien limitées. Il semble difficile de placer trop d’espoirs dans le Conseil de sécurité, et la majorité des deux tiers nécessaire à une action adéquate de l’Assemblée générale ne sera pas facile à obtenir. Quant à la CPI, elle peut déclarer irrecevable la plainte. Si elle la déclare recevable, ce qui serait une façon pour elle de « prouver » qu’elle ne poursuit pas seulement « les autres », ou si elle était saisie par le Conseil de sécurité, on peut craindre, étant donné la régression de son Statut par rapport au Protocole de 1977 et sa dépendance envers les pays occidentaux, que cela conduise au mieux à la poursuite de quelques subalternes dans des cas trop flagrants d’attaques visant des civils « en tant que tels ». Lancer un mandat d’arrêt contre le président soudanais est une chose, poursuivre les dirigeants d’Israël ou des Etats-Unis en est une autre et on en est probablement encore assez loin….

Quant au rapport Goldstone, il demande principalement, en fin de compte, une action des autorités israéliennes elles-mêmes ou, à défaut, de la CPI…Reste la compétence universelle : on peut espérer au mieux que des responsables israéliens hésiteront à se rendre dans certains pays par « précaution », même s’ils ne risquent pas grand-chose. Ce serait déjà un résultat appréciable.

Nous souhaitons pour terminer insister à nouveau sur le « piège » que représente la CPI, en conduisant les uns et les autres à se concentrer sur les attaques délibérées de civils, qui ne sont pas faciles à prouver même si cela semble possible dans le cas de Gaza. Il est encore moins simple de prouver la responsabilité des dirigeants à cet égard. Un vrai droit humanitaire devrait, dans la ligne du Protocole de 1977, condamner de manière beaucoup plus générale les responsables de bombardements causant de graves pertes civiles et tout d’abord les dirigeants des pays qui pratiquent systématiquement ces méthodes. L’action menée par les promoteurs de la plainte auprès de la CPI est importante, légitime et justifiée. Espérons qu’ils seront néanmoins attentifs à agir avec fermeté, à ne pas « légitimer » la Cour, sous sa forme actuelle, comme une authentique cour de justice internationale, ce qu’elle n’est certes pas à ce jour, et à ne pas donner trop d’espoirs qu’elle puisse rendre une vraie justice : il faudra probablement pour cela encore d’autres combats.