Clôture (provisoire) du colloque sur Philippe Lacoue-Labarthe au TNS samedi 24 octobre 2009 de 20h à 21h30.

Jean Luc Nancy point d'orgue au colloque sur Lacoue-Labarthe
Jean Luc Nancy point d’orgue au colloque sur Lacoue-Labarthe

Philippe, par Jean-Luc.

On était aux anges -qui stationnaient plus qu’ils ne passaient- en cette salle Hubert Gignoux du TNS, samedi soir, pendant 90 minutes, alors que Jean-Luc (Nancy), mettait, non pas un terme, au colloque sur Philippe Lacoue-Labarthe, mais posait un point-virgule, après deux jours de contributions sur Lacoue, cette intériorité pensante, dont le fantôme hantait le lieu.

Moment rare où l’autre de Philippe, le Nancy de Nancy-Lacoue, survivant, lui survivant comme se survivant par un intrus, l’évoquait, -sa voix- le convoquait et l’invoquait, même. Et personne ne pouvait échapper à la pensée, oh, prématurée, de savoir quel non-sujet, quel type, serait à la place, comme si c’était possible autrement que spatialement, de Jean-Luc, le jour où, ou au lendemain de.

Ce pourquoi, cette attention soutenue, qui n’osa évidemment pas, à la fin, intervenir après lui, et silencieusement, tournaient les caméras et autres enregistreurs saisissant le vif.

J L Nancy remercie J Rogozinski au TNS

Mais ceci est écrit d’après l’écho, seulement, de la soirée d’hier, avant toute répétition mécanique. Y sont déposées les bribes, survivantes, elles-aussi, de l’oralité, ruminées, d’une nuit ayant fait son travail de dépôt, d’enfouissement, d’émergence possible.

Philippe, donc, le titre de l’évocation, mais aussi le nom- prénom- de Lacoue pour Jean-Luc, son nom, si on peut dire de famille, une famille inédite, ni classique, ni décomposée, ni même recomposée, une famille dont le nom reste encore à trouver, une galaxie pas encore connue ou reconnue dans le ciel sociologique.

Philippe, ce nom, que son porteur n’aimait pas, tant il est difficile, né en 1940, d’y être inscrit. Nom qui, malgré sa grécité cavalière, ne lui agréait pas; nom pourtant de ce qui s’appellerait l’intime, si précisément, en cette configuration, l’intime et l’extime, comme la vie et la pensée, ne se réinventaient pas dans leurs rapports.

Et Jean-Luc de rapporter encore leur rencontre, effet de la tuchè (le hasard), et du kairos (l’occasion, qui a fait ici deux larrons), l’improbable prolongation de séjour et auto-assignation commune à résidence à Strasbourg, (en place de Paris) où l’hiver était si froid, sur l’invitation de Lucien Braun qui avait pressenti quelque chose, encore à venir, leur opus, leur inédite communauté de vie et de travail dans, et de la pensée, à l’heure de La fin des conceptions du monde et le commencement de la pensée (Heidegger), leur situation à la frontière de la philosophie et de la littérature.

Alors même qu’on commençait, inutilement, à s’inquiéter de cet autobiographique en commun, Nancy rassura le public; il ne s’agirait pas de cela. De quoi alors?

D’aventures de la vie et de la pensée unies, de typographies, de typologies, de caractères frappés, non dans le plomb, mais dans la chair humaine, du Dasein, un, souligna-t-il. Il nous restitua Philippe, sa voix, son père, sa mère, son protestantisme, à qui la grâce n’est pas donnée, comme au catholique Nancy, son questionnement sans certitudes finales, son combat avec et contre Heidegger, dont l’œuvre de 1927, Sein und Zeit échappe pour toujours à l’infamant stigmate nazi, sa mimesis déconstruite, son radicalisme politique loin de la social-démocratie, etc.

Philippe, en ce TNS, pour lequel il avait travaillé, sur Sophocle, Hölderlin. Philippe qui fit œuvre de traduction, c’est-à-dire de passage improbable d’un monde à un autre monde. Philippe pour qui la musique, dont l’écho ne fait pas retour comme dans le miroir, celle de Coltrane comme de Schoenberg (Moïse et Aaron) et bien d’autres, se substituait au trop visuel de la figure, dont il a dit, comme Barthes, du langage, avec la même exagération, qu’elle était « fasciste ». Philippe et Adorno, Celan, Derrida, Artaud, plus caché, dont il refusait de parler.

Philippe qui, enfin, et en fin, avait accepté de se dessaisir, de se désubjectiver, de se laisser couler dans la mort, –on est toujours déjà mort– qu’on ne rencontre jamais.

Jean-Luc Nancy, en cette extrémité, de la vie de Philippe, et de son intervention, manifesta une fois de plus sa géniale, dans la modestie, capacité d’improviser, mais, comme en jazz, cela suppose beaucoup de travail préalable, avec sous les yeux, ses notes, de sa voix douce, grave, lentement, en pesant les mots, en rectifiant, tout en allant là où il voulait aller, laissant le temps à la pensée, la sienne, et celle du public, de suivre les infinis méandres du sens, jamais figé, ouvrant toujours et encore de nouvelles voies, sans jamais achever, partition ininterrompue, sauf par le respect de l’horaire imparti par le TNS.

Il se défendit de conduire celui qui ne pouvait désormais plus répondre,

ne répond pas

ne répond pas

vers une réponse à la question qui s’énonce, ailleurs, moins philosophiquement, « Et D. dans tout ça ? ». On sentit la différence entre les deux. Une sorte d’espoir, malgré tout, chez l’un, un refus des espérances chez l’autre, un questionnement laissé ouvert en vue du néant. Nancy sembla affirmer qu’une simple adresse au Nom, imprononçable, même s’il n’y a personne (ou Personne) pour répondre, le soutenait de fait. Vaste question !

JCM 251009