Jerusalem, 21 octobre

‘Pauvre petit Israel, entoure par des millions de Musulmans menaçants, maltraite par les Americains, condamne aux Nations Unies et auquel on veut faire des proces en Europe…’

Chers amis, j’avais remarque cette phrase il y a quinze jours dans le courrier des lecteurs du Jerusalem Post (edition en anglais) propose dans l’avion. En achetant ce journal certains des jours suivants, ainsi que l’edition anglaise de Ha’aretz, j’ai retrouve a de multiples reprises ce sujet aborde, generalement comme ici sur le mode de la complainte, mais parfois aussi de la critique a l’egard du pouvoir, comme de la part de Gideon Levy, le courageux et clairvoyant journaliste du Ha’aretz oppose a l’occupation qui conclut : ‘Israel est en train de chuter vers le statut de paria international, l’abomination des nations’.

Le rapport Goldstone et ses suites font l’objet chaque jour de plusieurs articles, et les ‘initiatives anti-israeliennes’ recentes (Canada, Etats-Unis, Suede, Norvege, Turquie) sont souvent evoquees. Une chaine de television israelienne a montre la semaine derniere une action de boycott des produits israeliens dans une grande surface de la region parisienne. Ailleurs (Jerusalem Post du 16 octobre), une pleine page est consacree, apres l’evocation de l’international chorus of opprobrium, au phenomene note comme le plus inquietant : ‘une part croissante de la communaute juive americaine est en train d’abandonner Israel’. Sont citees notamment l’association Jeuner pour Gaza (www.fastforgaza.net) animee par un groupe de rabbins, la projection au Festival de films juifs de San Francisco du film de Simone Bitton Rachel (Rachel Corrie), et une enquete selon laquelle pour la moitie des juifs americains de moins de 35 ans (qui, est-il note, controleront bientot les finances des federations et seront influents dans les synagogues), la destruction de l’Etat israelien ne constituerait pas une tragedie personnelle…

‘En cette periode ou nous cherchons desesperement des allies, si nous-memes ne sommes pas pour nous, qui le sera ?’ demande un essayiste connu, avant d’appeler le gouvernement a prendre des mesures pour ’empecher de nuire les renegats’, comme l’universitaire Neve Gordon qui s’est vigoureusement prononce en faveur du boycott.

D’autres lecteurs expriment leur indignation a la suite de l’article d’un rabbin reforme (1) qui estimait la politique d’Israel envers les Palestiniens contraire a l’esprit de la fete juive de Succot puisque cette politique les laisse ‘sans maison et sans espoir’ (homeless and hopeless). ‘Nous aussi nous sommes sans maison puisque nous n’avons plus de Temple, pas la moindre petite synagogue sur le Mont du Temple ni meme le droit d’aller y prier chaque fois que nous le desirons…’

Ce qui m’a le plus frappe au cours de cette mini-revue de presse improvisee (plus meme que l’extraordinaire cynisme – meme pas volontaire sans doute – de la derniere citation), c’est le retentissement aupres de l’opinion israelienne des manifestations de boycott, des desinvestissements (comme de la part de la Norvege) et des sanctions culturelles, alors que quand nous les considerons de chez nous (et alors meme qu’on y participe de son mieux), notre conscience de la disproportion entre le niveau actuel de ces actions et celui qui serait (sera, j’espere) necessaire pour influer sur la politique israelienne nous les fait voir plus petites.

L’ami de Ta’ayush (ensemble, en arabe, association d’Israeliens et de Palestiniens creee apres les massacres de Galilee en octobre 2000) que je rencontre a chaque voyage m’a confirme qu’on sent une radicalisation de l’opinion publique, en particulier contre les Palestiniens d’Israel et contre les gens qui s’en prennent a l’armee. Ainsi l’association Breaking the Silence, depuis laquelle des soldats denoncent les exactions ou les crimes dont ils ont ete temoins, toleree depuis sa creation et meme parfois encouragee comme une preuve du haut niveau de moralite de la societe israelienne (‘Voyez comme chez nous on peut tout dire…’), se trouve depuis la denonciation des crimes commis a Gaza resolument rejetee hors du consensus national, et les soldats qui s’y expriment consideres comme des traitres.

L’etrange est que malgre la conjonction de ce durcissement de l’opinion et de la composition de droite et d’extreme-droite de la Knesset (et plus nettement encore du gouvernement), ‘les lois (pour le moment) ne suivent pas’. Par exemple le projet de loi interdisant la celebration de la Naqba a finalement ete retire et remplace par une interdiction concernant ‘seulement’ les etablissements subventionnes par l’Etat (ce qui va poser des problemes par exemple, note mon ami, aux cinq ecoles Hand in Hand – ces ecoles ouvertes a un nombre egal d’eleves (et d’enseignants) ‘juifs’ et ‘arabes’ – puisqu’elles ont recu l’agrement du Ministere de l’education et percoivent donc une aide).

De meme un projet de loi d’inspiration tout a fait bessonnienne (certains des demons d’Israel sont aussi les notres) qui aurait abouti a l’expulsion (le terme anglais est deportation) de plus de 1000 enfants nes en Israel de travailleurs etrangers a souleve beaucoup de protestations (y compris de la part des associations de survivants de l’Holocauste). Des manifestations ont eu lieu, c’etait la premiere fois, m’a dit mon ami, qu’il participait a une manif a laquelle les passants n’etaient pas hostiles : ‘le public israelien n’a pas de sentiments pour les Palestiniens, mais pour les enfants de sans-papiers il en a un peu…’. Le projet de loi a ete reporte d’un an.

Les massacres de Gaza, comme en Europe, ont suscite l’arrivee de nouveaux militants, des jeunes en particulier, dans les associations qui luttent contre l’occupation. C’est le cas pour Ta’ayush; qui se retrouve regulierement aux cotes des Anarchistes contre le mur et des internationaux dans les manifestations contre le mur (Bil’in, Nil’in, Al Masar’a…) Mais ce qu’on prefere, continue mon ami, c’est faire : participer a la cueillette des olives, construire, reparer une route, detruire un blockhaus, accompagner des bergers, prendre des photos d’un site archeologique occupe par des colons… Souvent des actions sur les avant-postes illegaux pour montrer le complet soutien de l’armee dont ils beneficient. Les soldats veulent nous mettre dehors mais on discute : si nous n’avons pas le droit d’etre ici parce que c’est du territoire palestinien, alors eux (les colons) non plus. Et si c’est israelien, pourquoi nous chassez-vous ? On insiste… Parfois on construit un autre avant-poste a cote de celui des colons : lequel interdire ?

Il y a deux mois, Ta’ayush a organise sur un de ces avant-postes un grand pique nique aux couleurs de la Palestine (‘c’est facile en ete !’). Quand l’armee a fini par tout fiche en l’air, ca a fait de belles photos (mon ami tire en arriere par un soldat et s’accrochant a une enorme pasteque…). Il s’agit toujours, bien sur, de rendre ces actions le plus visibles possible.

La resistance non violente pronee et mise en œuvre par les Palestiniens, conclut-il, c’est extraordinaire. Dans la zone ou nous travaillons (toute la partie de la Cisjordanie qui se trouve au sud de Jerusalem), deux organisations palestiniennes s’y consacrent, elles organisent des ateliers (workshops) dans les villages…

Quelques infos concernant le projet d’echanges entre eleves pour finir. J’ai pu me rendre successivement depuis mon dernier message dans l’ecole Hand in Hand de Jerusalem, dans une autre ecole privee (avec agrement officiel elle aussi) installee dans un quartier pauvre de Jerusalem ouest et destinee specialement a des enfants juifs orientaux (que l’on appelle en Israel mizrahi plutot que sepharades, ai-je appris) avec des methodes pedagogiques tres interessantes, et aujourd’hui dans celle de Neve Shalom (oasis de paix), ce village cree pour y accueillir en nombre rigoureusement egal des Israeliens ‘juifs’ et ‘arabes’. Dans chaque cas des perspectives de correspondance, en anglais toujours, alors qu’initialement c’est l’echange de lettres en francais auquel nous pensions. Mais il est evident que cela limiterait enormement les possibilites, puisque tres rares sont les ecoles israeliennes ou palestiniennes dans lesquelles le francais est enseigne des le primaire (il y en a deux parmi celles sur lesquelles nous pouvons compter actuellement, a Jaffa et a Jerusalem est). Il n’est peut-etre pas mauvais, d’autre part, que les eleves qui correspondent se trouvent confrontes de part et d’autre a l’apprentissage d’une langue etrangere (l’anglais en l’occurrence), a egalite devant ses difficultes. Les enseignants de leur cote auront certainement beaucoup a partager sur ce sujet : des documents, des jeux ou des chansons en anglais, des idees pour rendre les enfants plus actifs, des projets…

J’ai rencontre un grand interet de la part des enseignant(e)s que j’ai vu(e)s, beaucoup attendent impatiemment d’etre mis en relation avec le ou la collegue de France (ou de Belgique, deja une candidature !) que je leur ai promis de tout faire pour trouver. Alors si vous connaissez des enseignants qui puissent etre interesses par ce projet, mettez-les en relation avec moi s’il vous plait, surtout des profs d’anglais en college, il en faudrait cinq ou six et nous n’en avons encore aucun…

Je rentre en France demain. Du pain sur la planche donc (et du pied dans la chaussette, comme disait une tante que j’aimais beaucoup).

E.

GAZA

Plus d’1 500 000 personnes entassées sur un bout de terre avoisinant les 360 km², soit près de 4000 hab./km², coincées entre l’Egypte et Israël, vivant (ou plutôt survivant) dans des conditions de vie inhumaines, en manque d’eau, de nourriture, de médicaments… faisant face, sans moyens matériels, à de nombreuses maladies dont un grand nombre infantiles… Voici un sinistre aperçu de ce qu’est la triste réalité des Gazaouis.

R.Zrioui (AFD)

Communiqué Jérusalem

http://sites.google.com/site/cergynaplouse2009/la-palestine-on-en-parle