Chronique – Roland Pfefferkorn – La Marseillaise – jeudi 24 mars

« On est les plus sûrs ! »

« Si on a perdu des marchés et des appels d’offres, c’est parce qu’on est les plus chers. Et si on est les plus chers, c’est parce qu’on est les plus sûrs ! (…) L’EPR, je connais bien le chantier, j’y suis allé plusieurs fois. Je suis désolé de dire ça, mais on a la double coque ! Le principe de la double coque, c’est que si un Boeing 747 s’écrase sur une centrale, le réacteur n’est pas touché ». C’est en ces termes hallucinants que Nicolas Sarkozy s’est exprimé trois jours après le séisme qui a provoqué l’arrêt des systèmes de refroidissement de plusieurs réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima.

Au moment de rédiger ces lignes la situation au Japon reste critique, même si l’information spectacle se focalise aujourd’hui sur d’autres questions. Les risques qui pèsent sur ce pays, et d’abord sur l’agglomération de Tokyo et sur les zones proches de la centrale (35 millions de personnes) sont toujours considérables.

Mais la France, avec le plus fort taux d’implantation de réacteurs de la planète, n’aurait rien à craindre ! Ses 58 réacteurs dans 19 centrales seraient sans danger ! Sans compter un centre de retraitement, une usine de Mox et de nouveaux réacteurs programmés ! La centrale de Fessenheim date de 1977 : il n’y a aucune limitation pour les rejets chimiques liquides, s’agissant des rejets radioactifs liquides et gazeux les normes sont totalement dépassées et obsolètes et de nombreux scientifiques demandent sa fermeture.

Même les travailleurs du nucléaire sont inquiets comme en témoigne un excellent article sur le site de Mediapart dont nous reprenons l’extrait ci-après : « Le métier a profondément changé », dit Bruno Bernard, opérateur à la centrale de Penly (Seine-Maritime). Et la façon dont le sien a évolué ne le convainc pas. « Avant, la bonne marche de la centrale, la sécurité, étaient l’affaire de toute l’équipe. Chacun se sentait investi de l’ensemble. On veillait à tout. On nous a demandé d’abandonner nos méthodes pour nous plier aux normes anglo-saxonnes. Tout devient procédures, consignes. On est noyé sous la paperasse, et totalement déresponsabilisés. Surtout pas d’initiative. Qu’importe ce que l’on fait, si cela respecte la procédure, cela ne pose pas de problème On découvre ainsi des erreurs qu’on ne pensait pas pouvoir être commises. Un jour, cela posera des problèmes. »

Au Japon aussi les avertissements n’ont pas manqués.

« A moins que des mesures radicales ne soient prises pour réduire la vulnérabilité des centrales aux tremblements de terre, le Japon pourrait vivre une vraie catastrophe nucléaire dans un futur proche. » C’est en ces termes que le sismologue Ishibashi Katsuhiko, professeur à l’université de Kobe avertissait le public le 11 août 2007. Ce scientifique faisait partie du comité d’experts chargé d’établir les normes sismiques des centrales nucléaires japonaises. Il en avait démissionné pour protester contre la position du comité. Il estimait que les recommandations fixées par le comité étaient beaucoup trop laxistes.

Ce qui est en train de se produire à la centrale de Fukushima avait été prévu. Ishibashi Katsuhiko avait prévenu les autorités de son pays que les centrales japonaises souffraient d’une « vulnérabilité fondamentale » aux séismes. Mais ses avertissements ont été ignorés par le gouvernement et la firme privée Tepco qui exploite un tiers des centrales nucléaires japonaises, dont celle de Fukushima. Tepco a été au centre d’un scandale après avoir falsifié des documents d’inspection pour dissimuler des problèmes survenus sur certains de ses réacteurs, notamment sur les circuits de refroidissement de la centrale de … Fukushima.

L’accident qui vient de se produire à Fukushima n’est donc pas une véritable surprise. C’est la reproduction, en beaucoup plus grave, d’événements qui se sont répétés plusieurs fois depuis 2005.

Et qui peuvent se produire ailleurs…

Feuille2ChouRadio

De retour du Japon Roland Pfefferkorn professeur de sociologie

à l’Université de Strasbourg témoigne