Affaire DSK : Bernard-Henri Lévy étrillé par la presse américaine 

20.05.11 | 13:54 | LEMONDE.FR Thomas Baïetto

 

AFP/ERIC FEFERBERG
Bernard-Henri Levy, le 10 mars, à Paris

Dans les médias anglo-saxons, les déclarations de soutien de ses amis à Dominique Strauss-Kahn provoquent de vives critiques. Leur cible principale est Bernard-Henri Lévy, qui a d’abord publié une tribune sur le site américain The Daily Beast, lundi 16 mai, avant d’en mettre en ligne une version française sur son site personnel.

Dans cette tribune, M. Lévy s’étonne du fait que la femme de chambre ait pu se trouver seule dans la suite 2806, “contrairement aux usages qui, dans la plupart des grands hôtels new-yorkais, prévoient des ‘brigades de ménage’ composées de deux personnes, dans la chambre d’un des personnages les plus surveillés de la planète”. Il se montre également particulièrement critique avec la juge qui a envoyé M. Strauss-Kahn en prison, et en vient à réclamer un traitement spécial compte tenu du statut de l’accusé: “J’en veux, ce matin, au juge américain qui, en le livrant à la foule des chasseurs d’images qui attendaient devant le commissariat de Harlem, a fait semblant de penser qu’il était un justiciable comme un autre.”

Une prise de position qui n’a pas eu l’heur de plaire dans le monde anglo-saxon. Depuis lundi, les éditorialistes se déchaînent, critiquant son point de vue et sa personnalité.

“LA TRISTE ET TROP COMMUNE ERREUR DE BLÂMER LA FEMME”

Premier reproche adressé à M. Lévy, le peu de considération dans lequel il tient la femme de chambre qui accuse M. Strauss-Kahn. Pour Melissa Bell, journaliste au Washington Post, il commet “la triste et trop commune erreur de blâmer la femme”. Maureen Dowd, éditorialiste pour le New York Times, feint de prendre le parti de M. Lévy, pour mieux le caricaturer:“Elle l’a vraiment cherché. C’est le rêve que fait toute jeune veuve qui travaille dur, en craignant Dieu, en se brisant le dos pour faire de basses besognes dans un hôtel de Times Square pour élever sa fille adolescente, justifier son statut d’immigrante et profiter des opportunités offertes par l’Amérique, elle rêve de voir un fou, un vieux satyre ridé qui surgit tout nu de la salle de bains, se jette sur elle et l’entraîne dans la chambre, à la manière d’un homme des cavernes.”

Pour Caroline Weber, professeure de littérature française à Barnad College et à Columbia, qui s’exprime sur le site du New York Times, le portrait de DSK fait par BHL “séducteur, sûrement ; charmeur, ami des femmes” , ne fait là que reproduire une vieille croyance de la classe politique française : “la profonde vénération qu’éprouveraient les femmes pour les prouesses sexuelles masculines”. Et de rappeler qu’Anne Sinclair elle-même avait estimé qu’il était “important pour un homme politique de séduire”. Mais pour l’auteure de cette analyse, “avec des amis comme DSK, le deuxième sexe n’a définitivement pas besoin d’ennemis”.

D’autres journaux attaquent BHL sur son argumentation autour de la “brigade de ménage”. Wendy Kaminer, avocate et écrivaine, explique sur The Atlantic qu’elle a fréquenté ce Sofitel et qu’elle n’a jamais vu une telle brigade à l’oeuvre. Tom Scocca, sur Slate, va plus loin et demande au philosophe où il veut en venir avec cet argument : “Est-ce que cela veut dire que cette femme de chambre, un agent de la conspiration antisocialiste et transatlantique pour faire tomber Strauss-Kahn, s’est arrangée pour qu’il n’y ait pas de témoin de l’incident qu’elle était sur le point de provoquer ? Ou simplement qu’une femme qui entre seule dans une chambre d’hôtel s’offre automatiquement à qui peut s’y trouver ?”

“UN MILLIARDAIRE NARCISSIQUE À LA CHEMISE DÉBOUTONNÉE”

Autre sujet qui agace les éditorialistes anglo-saxons : la justice aurait-elle dû faire preuve de plus d’égards à l’endroit de DSK, comme le suggère BHL ? “Alors que Bernard-Henri est scandalisé qu’une simple femme de chambre puisse attirer des ennuis judiciaires à un ‘grand’ homme comme Strauss-Kahn simplement en l’accusant, de manière crédible, d’agression sexuelle, je suis fier de vivre dans un pays où une femme de ménage peut débarquer un dirigeant international d’un avion en partance pour Paris”, répond Jonah Goldberg dans la National Review. Andrew Sullivan, auteur britannique et blogueur sur The Daily Beast, y voit un simple réflexe de survie : BHL prend “la défense de sa classe sociale”.

Certains éditorialistes s’attardent sur la personnalité du Français. Matt Welch, rédacteur en chef du magazine Reason, s’en prend violemment à celui qu’il appelle le “milliardaire narcissique à la chemise déboutonnée”. Un des éditorialistes de The Economist le qualifie même“d’auteur du pire livre jamais écrit sur les Etats-Unis [American Vertigo] et lui reproche de chanter les louanges de DSK en faisant peu de cas de la plaignante.

Enfin, ils sont quelques-uns à rappeler le rôle de Bernard-Henri Lévy dans la reconnaissance des rebelles libyens par la France. Tom Scocca en profite ainsi pour ironiser : “Si BHL avait défendu la cause libyenne comme il défend la cause DSK, les marines seraient en train de défendre [le régime de Khadafi].”