PAS DE QUARTIER POUR LES INÉGALITÉS:
La mise en opposition, bien trop fréquente à gauche, entre les luttes dites « sociales » et les luttes spécifiques des populations discriminées est une impasse mortifère. Il s’agit en fait d’aspects d’une seule et même chose : la lutte pour l’égalité.
C’est dans les quartiers populaires que la question de l’égalité se pose avec le plus d’acuité : que le chômage et la précarité atteignent les niveaux les plus élevés, que la misère et les difficultés de la vie quotidienne sont les obstacles les plus importants à la participation de toutes et de tous à la vie de la société. C’est là que l’exclusion sociale se redouble de l’exclusion politique la plus caractérisée. Le taux d’abstention record qu’on y enregistre à chaque consultation électorale n’en est qu’un témoignage parmi d’autres.
Comment ne pas voir que les populations de ces quartiers sont l’objet de discriminations et d’inégalités de traitement qui redoublent leur exclusion sociale ? Ces quartiers sont aussi ceux où les violences policières, le racisme quotidien, les stigmatisations de tous ordres viennent s’ajouter au délabrement urbain, à l’abandon scolaire, au démantèlement des services publics, à la précarité d’un avenir bouché. Et comment s’étonner de ce que ces mêmes populations, et singulièrement leur jeunesse, restent à l’écart des combats politiques d’une gauche qui ne répond pas à leurs préoccupations ?
Les renoncements successifs de celle-ci, au pouvoir comme dans l’opposition, ont à juste titre été vécus comme autant d’abandons. Loin de soutenir les revendications spécifiques des quartiers populaires, la gauche ajoute trop souvent sa voix au discours dominant de stigmatisation. Les militantes et les militants qui agissent contre les violences policières sont laissés seuls à leurs combats. Le discours sécuritaire est devenu partie intégrante de celui de bien des responsables de la gauche institutionnelle. Les mêmes mêlent également trop souvent leur voix à l’islamophobie ambiante ; et jamais ils ne se proposent de la combattre. On en entend même aujourd’hui affirmer que certains électeurs du Front National – qui par hypothèse acceptent l’idée obscène de « préférence nationale » – pourraient être exonérés de toute imputation de racisme par la dégradation de leur situation sociale.
Disons le nettement, ce n’est pas avec de telles analyses que la gauche retrouvera le chemin des quartiers populaires qu’elle a désertés, ni n’établira avec leurs populations des relations de confiance et de travail en commun pour une véritable alternative. C’est au contraire en renouant avec ses combats pour l’égalité.
L’égalité, l’égalité réelle, l’égalité de traitement par l’État, l’égalité de dignité dans les discours et dans les pratiques, l’égalité dans les organisations et dans les luttes, c’est ce que demandent les quartiers populaires. Et l’égalité ne se résume pas à une prétendue « égalité des chances », comme si la vie était un jeu de hasard. Bien des promesses ont été faites, qui n’ont jamais été tenues. La plus symbolique d’entre elles, dès 1981, avait été de donner aux résidents étrangers la pleine citoyenneté à travers le droit de vote. Il ne s’agit pas de parler en termes généraux de « lutte contre les discriminations », sans jamais les nommer ni les analyser concrètement, sans jamais proposer concrètement de moyens pour y mettre fin.
Les renoncements successifs, la défaite idéologique de la gauche, a rendu possible les dérives accentuées du pouvoir en place, du ministère de l’identité nationale aux provocations racistes de l’actuel ministre de l’Intérieur. Plus rien ne sépare aujourd’hui le discours de la droite classique de celui du Front National : il ne se joue entre eux qu’une surenchère dramatique sur le dos des immigrés, de leurs enfants et de leurs petits enfants, à qui l’on enjoint de « s’intégrer » à une société dont ils sont pourtant déjà partie prenante, et qui les rejette. Quand elle ne se joint pas à ce chœur, la gauche reste muette.
Ce n’est qu’en rompant concrètement avec les restes persistants d’une idéologie coloniale, trop souvent drapée sous les dehors du discours républicain que l’on peut éviter une césure radicale de la population. Ce n’est qu’en assumant concrètement l’appartenance des quartiers populaires et de celles et ceux qui y vivent à la communauté humaine et politique du pays. Les énergies de ces populations ne seront pas mobilisées pour la défense de politiques qui ne prennent pas en compte leurs revendications spécifiques et leurs luttes. C’est de la responsabilité de toutes celles et de tous ceux qui militent dans ce pays pour une alternative égalitaire, réellement sociale, à ce monde pourrissant.
Pour conclure, je souhaite que le prochain FSQP, qui aura lieu en automne 2011 à Saint-Denis, puisse être une étape décisive, de construction et de convergence des mouvements sociaux et politiques pour qui la question des quartiers populaires est centrale, vers une alternative égalitaire et partagée.
Farid Bennaï, Militant FSQP
Forum social des quartiers populaires
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