Halte au démantèlement des filières bilingues

lu dans les DNA


Éducation / Enseignement bilingue

Paritarisme : un vif débat

Le projet de l’académie de Strasbourg d’expérimenter dans quelques classes du premier degré un bilinguisme composé d’un tiers d’enseignement en allemand et de deux tiers en français (DNA du 16 juin) a suscité une vague de réactions, le plus souvent hostiles à toute idée de remise en cause du paritarisme.

Gérard Cronenberger

Président de l’Association des élus pour la promotion de la langue et de la culture alsaciennes et vice-président du Comité fédéral des associations d’Alsace-Lorraine pour la promotion de la langue régionale. Ironie du sort, c’est à la maison de l’Alsace à Paris où il accompagne des collégiens bilingues pour une représentation, que le maire d’Ingersheim a appris la nouvelle. « C’est une régression inadmissible. Un retour au jacobinisme le plus étroit. On casse la parité horaire pour des arguments fallacieux. Ça ne coûte pas un poste de plus. Le bilinguisme est reconnu comme nécessaire par les acteurs économiques. Dans le bassin de la Regio, 10 000 emplois échappent aux Haut-rhinois parce qu’ils ne maîtrisent pas l’allemand. Je suis très étonné par la position des élus : elle est en totale contradiction avec ce qu’ils disent sur le terrain. Philippe Richert, président de la Région, nous avait promis, en tant que ministre, de conforter le bilinguisme et de lui donner un statut. Nous sommes à contre-courant de la Bretagne ou de la Corse, qui ont ouvert des classes immersives (NDLR: seule la langue régionale est enseignée dès la maternelle). Nous allons réagir. »

Karine Sarbacher

Présidente régionale de l’association ABCM (Association pour le bilinguisme dès les classes maternelles) : « Je n’étais pas au courant, je suis choquée par cette décision qui n’était pas à l’ordre du jour. Elle va à l’encontre de la politique des collectivités territoriales qui font la promotion du bilinguisme sur le terrain. Récemment, nous avons été reçus par Charles Buttner et Guy-Dominique Kennel, les présidents des conseils généraux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, qui ont exprimé leur souci de développer le bilinguisme. Ce n’est pas comme ça qu’on aura de vrais germanophones sur le marché du travail. »

Charles Buttner

Président du conseil général du Haut-Rhin. Partisan du bilinguisme et d’un renforcement des compétences régionales en matière d’enseignement : « Il faut prendre en compte une double complexité : la difficulté de trouver des enseignants à même d’enseigner des matières en allemand et la croissance du bilinguisme en général qui fait qu’il y a de plus en plus de sites avec des classes qui ne sont pas complètes. Il s’agit d’une expérimentation qui ne va pas dans le sens d’un coup de canif mais vers une meilleure rationalisation de l’enseignement et des moyens mis en œuvre. Sur le plan budgétaire, les collectivités sont arrivées aux limites convenues et finançables. Passer à huit heures dans deux disciplines où l’on parle plus l’allemand, c’est aller vers plus de densité dans l’expression orale et en même temps faire face à la pénurie de maîtres. Ce n’est pas une régression ; il faut rester optimiste. »

Christian Moser

Secrétaire départemental 67 du syndicat enseignant UNSA et délégué au conseil académique des langues : « Les difficultés que nous dénoncions sont enfin prises en compte, mais il n’y a pas de véritable état des lieux de la filière bilingue pour en corriger les effets pervers, comme l’inégalité sociale et géographique. Même si ce nouveau dispositif n’est pas forcément une mauvaise chose, tout dépend comment on va l’appliquer. On va changer le système sans véritable audit du système existant qu’il faut améliorer. Il faut tout mettre sur la table, y compris la formation des enseignants, notamment dans le second degré.

Les élèves de CM2 ont un très bon niveau de compréhension en allemand, mais pour l’expression cela pêche. On ne donne pas suffisamment de place à l’expression. Le 1/3 – 2/3 permettra-t-il de régler ce problème ? Ce n’est pas sûr. Le rectorat se sert des difficultés et des effets pervers que l’on dénonce pour des motifs budgétaires. Si l’objectif de ce nouveau dispositif est de gommer les effets pervers du bilinguisme, il faut un véritable audit ».

Yves Rudio

Président de l’association Lehrer : « Le texte qui définit l’enseignement bilingue n’autorise pas ce changement-là. Il faudra le faire acter par le conseil académique des langues régionales. Ce ne sera plus du bilingue si çela devait passer. Il faudra qu’on en discute avec le rectorat ».

Claude Froehlicher

Président d’Eltern Alsace : « C’est la rupture du pacte sans concertation préalable alors que nous sommes un partenaire de l’Éducation nationale. La déperdition des effectifs après le primaire, évoquée par le recteur, est fortement due au manque d’offre bilingue dans les collèges de rattachement. La filière bilingue démarrant en maternelle, il faut 20 ans pour que la filière se mette en place. Pour le problème budgétaire, je demande à voir les chiffres. À ce que je sache, les enseignants allemands ne sont pas mieux payés que leurs collègues, et l’éternel argument de la difficulté de recrutement devient insupportable. On ferme les portes aux locuteurs allemands non parfaitement francophones, mais aussi aux professeurs d’allemand sur le reste du territoire français. La remise en cause du principe « un maître une langue » en classe bilingue est dramatique et ridicule. Avec le système d’un enseignant par classe, il faudra quasiment trouver deux fois plus d’enseignants germanophones et on nous explique qu’aujourd’hui déjà on n’en a pas assez. Ou alors, le nouveau dispositif permettra de mettre un enseignant d’allemand sur trois classes… »

Thierry Loth

Président de l’Association de parents d’élèves APEPA : « Les bras m’en tombent. On aurait voulu tuer le bilingue qu’on n’aurait pas fait mieux. Le bilingue embête l’Éducation nationale qui n’arrive pas à le gérer. Le bilingue ne marche que parce qu’il y a un maître, une langue, mais l’Éducation nationale ne veut pas recruter les enseignants en allemand. Dans cette affaire, le silence des collectivités territoriales est grave… Je me demande si ce nouveau dispositif n’est pas un écran de fumée pour nous occuper et cacher la forêt. C’est un casus belli. Les prochaines réunions vont être chaudes ».

Pierre Klein

Président de la Société des amis de la culture bilingue en Alsace : « L’option est prise au mieux d’une relative maîtrise de la langue allemande, d’une simple familiarisation au pire, et non plus celle de l’équivalence de compétences. C’est aussi une marche arrière… Il nous semble évident que l’on veut faire des économies là justement où un renforcement était devenu indispensable compte tenu des bassins économiques et d’emploi dans lesquels l’Alsace est inscrite… Mais il paraît que l’administration scolaire peut le plus avec le moins. Parions que demain, on nous fera croire que ce nouveau cursus pourra progressivement se substituer à l’existant. Nous irons de régression en régression… Attendons de voir comment va réagir la classe politique en charge de la défense des intérêts des Alsaciennes et Alsaciens ».

Propos recueillis par A. Muller, F. Buchy, et J-F Clerc