Une bataille qui ne doit pas faire oublier l’essentiel.
Le discours vibrant de Mahmoud Abbas à New York lui était sûrement indispensable pour redorer un blason bien terni après des années de soumission à la politique américaine. Mais sur le terrain, rien ne change, au contraire.
La « communauté internationale » et la Palestine.
Si la Palestine se trouve aujourd’hui dans une situation de détresse qui dure, elle le doit largement aux décisions de l’ONU et des grandes puissances. Faut-il rappeler la longue liste de ces décisions ? En 1947-48, il y a consensus pour que le génocide nazi et l’antisémitisme européen soient payés par le peuple palestinien. L’ONU vote une partition très inégale du pays puis reconnaît Israël comme Etat juif sur 78% du territoire palestinien. Dès 1949, Israël viole les conditions de l’armistice qui stipulaient le retour des réfugiés palestiniens, détruit leurs villages et confisque leurs maisons. L’ONU accepte d’avaliser ce nettoyage ethnique et crée l’office des réfugiés (l’UNRWA). 60 ans plus tard, ils sont plus de quatre millions, éparpillés et vivant souvent dans des conditions misérables. La communauté internationale souhaite qu’ils disparaissent et renoncent à leur droit au retour.
Après 1967, l’ONU demande l’évacuation des territoires occupés. Depuis, l’occupant y a installé plus de 500000 colons. Aucune sanction ! Israël a envahi plusieurs fois le Liban. L’ONU a envoyé des troupes (la FINUL) qui ont été humiliées par les Israéliens mais n’ont jamais tiré le moindre coup de feu contre l’envahisseur. L’ONU a avalisé le blocus de Gaza et criminalisé le Hamas. Au bout du compte, les seuls sanctionnés par l’ONU, ce sont les Palestiniens.
Hypocrisie, complicité et impunité
La palme revient bien sûr à Obama. Pour reprendre une caricature parue dans Politis, il est passé du discours du Caire et de « Yes we can » à « Sorry we can’t ». Il a suivi avec ardeur le lobby d’extrême droite (l’AIPAC) et s’est soumis sans difficulté à un Congrès qui a acclamé Nétanyahou. À peine avait-il promis son veto au conseil de sécurité que Nétanyahou a immédiatement annoncé la construction de 1100 nouveaux logements dans la colonie de Gilo. Et il a donné des armes aux colons. Il aurait tort de se gêner, Obama a définitivement accepté que les dirigeants sionistes lui dictent leurs volontés.
Le Congrès américain vient de supprimer la petite obole (200 millions de dollars) allouée à la Palestine pour rendre la situation moins invivable. Dans l’opinion juive américaine, le mouvement J-street s’est prononcé contre l’entrée de la Palestine à l’ONU. Seul, « Jewish voices for peace » continue un combat courageux pour les droits du peuple palestinien.
L’Union Européenne qui est le principal partenaire économique d’Israël a soutenu ce pays pendant la tuerie de l’opération « Plomb durci ». Juppé a tout tenté pour empêcher le départ de la flottille pour Gaza et Papandréou l’a bloquée à Athènes. Sarkozy propose que la Palestine ne puisse en aucun cas porter plainte auprès de la Cour Pénale Internationale pour les crimes de guerre israéliens. Il laisse les fascistes de la LDJ partir dans les colonies pour casser du Palestinien. Et il a permis que des centaines de militants internationaux en partance pour la Palestine soient bloqués dans les aéroports français. De nombreux parlementaires français (UMP mais aussi PS) se sont prononcés contre la candidature palestinienne.
Le suivisme de l’Autorité Palestinienne vis-à-vis des Occidentaux a, du coup, quelque chose de stupéfiant. L’Occident a toujours demandé que les Palestiniens capitulent sur leurs revendications essentielles et il est illusoire d’essayer de leur expliquer qu’ils se trompent. Pour des raisons militaires, stratégiques, économiques et idéologiques, Israël est un pays occidental. C’est l’impunité qui permet à la direction israélienne de poursuivre ce qui lui a si bien réussi depuis des décennies : la fuite en avant coloniale et le fait accompli.
Quel Etat palestinien ?
La candidature palestinienne a un intérêt propagandiste : dénoncer partout le scandale de l’occupation, forcer les Etats à suivre une opinion publique mondiale de plus en plus sensibilisée. Mais, comme l’a dit Ziyad Clot dans son livre : « il n’y aura pas d’Etat palestinien. » Vote favorable ou veto américain, comment imaginer que les 500000 colons acceptent de partir ou de devenir citoyens palestiniens ? Comment penser qu’un gouvernement israélien les y force et démantèle les colonies et les « nouveaux quartiers » de Jérusalem ? Bref, on le met où, l’Etat palestinien, pour que ce ne soit pas un bantoustan non-viable ? La Palestine a été atomisée en plusieurs entités : la Cisjordanie, Gaza, Jérusalem-Est, les réfugiés et les Palestiniens d’Israël. Il y a le danger que la perspective d’un Etat palestinien limité à 22% de la Palestine historique n’abandonne ces deux dernières entités. En Palestine, les réserves sont nombreuses devant cette candidature : peur de la disparition de l’OLP qui représente tous les Palestiniens, refus de se lancer dans un « remake » d’Oslo alors que ce processus a tourné à la farce tragique.
À la fête de l’Humanité, le cinéaste anticolonialiste Eyal Sivan disait clairement qu’on assistait aux derniers soubresauts de l’idée de deux Etats. On va probablement changer de période avec une lutte pour l’égalité des droits dans un espace unique.
En fait, cette candidature a un seul intérêt : changer le rapport de force, prouver au monde entier qu’Israël viole en permanence les droits fondamentaux et pousser un maximum de citoyens et de pays à mettre fin à l’impunité de l’occupant.
Dire ce qui est à l’œuvre et sanctionner.
Dans son discours à l’ONU, Mahmoud Abbas n’a pas utilisé les mots pour caractériser ce qui est à l’œuvre : nettoyage ethnique il y a 60 ans, occupation, colonialisme, apartheid, crimes de guerre …Il n’a pas appelé à sanctionner Israël ou à juger ses dirigeants coupables. En France, il aura suffi que France 2 diffuse un documentaire objectif sur cette guerre (« un œil sur la planète ») pour que le CRIF, imitant l’AIPAC, lance un tir nourri et traite les journalistes de nazillons.
Il n’y a rien à attendre des dirigeants occidentaux. Les tâches du mouvement de solidarité restent plus que jamais les mêmes : le BDS (boycott, désinvestissement, sanctions), une nouvelle flottille, un soutien quotidien aux prisonniers palestiniens en grève de la faim ou aux comités populaires luttant contre le mur et les arrachages d’oliviers…
Il est temps d’affronter les complices de la colonisation. La candidature à l’ONU aura au moins cet avantage. Par leur vote, certains gouvernements vont dévoiler leur connivence. Il faudra la leur faire payer.
Pierre Stambul