Par Dominique Vidal *

* Historien et journaliste. Vient de diriger le livre collectif

Palestine-Israël : un État, deux États ? chez Sindbad/Actes Sud.

Est-ce leur méconnaissance du sujet ? Sont-ce leurs parti-pris politiques et idéologiques qui les aveuglent ? A moins que certains ne se vivent comme les combattants d’une « cause » supérieure à toute déontologie ? En tout cas force est de constater que la couverture médiatique (et politique, d’ailleurs) de l’offensive palestinienne au sein de l’Organisation des Nations (ONU) unies laisse – c’est un euphémisme – à désirer.

Nombre de confrères ont ainsi qualifié d’« échec palestinien » l’incapacité du  Comité d’admission du Conseil de sécurité, avouée le 11 novembre dernier, à se mettre d’accord pour recommander la candidature de la Palestine comme Etat membre à l’Assemblée générale de l’organisation.

Si échec il y a, c’est d’abord celui du Conseil de sécurité, en premier lieu des Etats-Unis, qui ont menacé de recourir au veto pour barrer la route à la Palestine – ce qui est parfaitement illégal en matière d’admission de nouveaux membres au sein de l’Organisation. C’est aussi celui de la France, dont une attitude positive – comme à l’Unesco – aurait dynamisé les instances onusiennes et placé Barack Obama au pied du mur. Le 29 novembre 1947, en partageant la Palestine alors sous mandat britannique, l’ONU créait, en même temps qu’un « État juif », un « État arabe » : qu’elle soit incapable, soixante-quatre ans plus tard, de tenir ses engagements et d’accueillir la Palestine en son sein en dit long sur la faillite de l’institution, dont une réforme démocratique s’impose à l’évidence.

Mais, pour les Palestiniens, quel est le bilan de la bataille engagée le 23 septembre dernier avec le dépôt de leur candidature et le discours de Mahmoud Abbas ? S’en tenir au constat du blocage actuel au sein du Conseil de sécurité masquerait l’essentiel, à savoir que leur initiative a d’ores et déjà fait bouger les lignes :

– elle a replacé la question de Palestine, grande oubliée du « printemps arabe » comme du « mouvement des tentes » en Israël, au centre de l’attention internationale ;

– elle lui a redonné toute sa légitimité, avec la standing ovation réservée au président palestinien, mais surtout l’entrée en fanfare de la Palestine en tant qu’Etat membre à l’Unesco, par 107 voix contre 14. Et ce rapport de forces peut encore s’améliorer : le Comité des Affaires sociales, humanitaires et culturelles des Nations unies ne vient-il pas d’adopter le 22 novembre 2011 –  par 166 voix contre 5 ([1]) – une résolution réaffirmant  « le droit à l’autodétermination du peuple palestinien et à un État indépendant » et exigeant des États qu’ils l’« aident à réaliser ce droit »?

– elle a mis à nu l’hypocrisie des Occidentaux, à commencer par celle d’un Barack Obama capitulant devant Benyamin Netanyahou pour d’évidentes et misérables raisons électorales internes. Cruelle est la comparaison entre son superbe discours du Caire du 4 juin 2009 et sa pathétique allocution du 21 septembre 2011, à peine applaudie, dans laquelle il n’a même pas réitéré la demande d’un gel de la colonisation et d’un retour aux frontières de 1967… L’isolement, pour cause d’alignement sur Israël, d’un président américain accueilli hier avec tant de sympathie dans le monde est-il supportable pour un État qui prétend reconquérir pour son pays un leadership largement ébranlé aujourd’hui ?

– Nicolas Sarkozy ne se sort pas non plus grandi de cette aventure. Qui a pris au sérieux sa proposition d’un strapontin pour la Palestine, en lieu et place d’un vrai siège, doublée de l’exigence que les Palestiniens renoncent par avance au principal avantage d’un statut d’observateur – la possibilité de saisir la Cour internationale de justice (CIJ) et la Cour pénale internationale (CPI) ? Et que dire d’un État votant à l’Unesco pour l’admission de la Palestine et s’abstenant sur la même question au Conseil de sécurité ? Où est la cohérence de cette démarche, sinon celle, politicienne, d’une manœuvre dont le premier temps sert de cache-sexe au second ? Car la différence n’est pas seconde : à l’Unesco on accueille, à l’ONU on reconnaît et on admet des États ;

– la bataille palestinienne a enfin remobilisé les Palestiniens de Cisjordanie, descendus par dizaines de milliers dans les rues, avec le soutien – selon les sondages – de 80 % de l’opinion. Et ils en auraient sans doute fait autant à Gaza si le Hamas ne les en avait pas « dissuadés »…

A New York, cela dit, l’essai reste à transformer. La Palestine pourrait, certes, se contenter de solliciter de l’Assemblée générale l’octroi du statut de membre observateur pour lequel la majorité simple suffirait – laquelle existe d’ailleurs depuis 1988. Mais elle a tout intérêt à s’accrocher à l’exigence du statut d’État membre et à reposer, autant de fois que nécessaire, la question au Conseil de sécurité. Et tel semble être le choix de l’OLP.

Ce cap paraît d’autant plus judicieux que le grand écart entre les discours lénifiants de Washington et de Paris sur le droit des Palestiniens à un État, présenté comme le meilleur « service » à rendre à Israël, et leur refus de reconnaître cet État au Conseil de sécurité deviendra de plus en plus intenable au fur et à mesure que l’une et l’autre capitales s’efforceront de regagner le terrain perdu dans un monde arabe en révolution.

C’est dire que, plus que jamais, la parole est aux peuples :

– d’abord à celui de Palestine : si elle se traduit enfin dans les faits, l’annonce par Mahmoud Abbas et Khaled Meshaal de la constitution d’un gouvernement d’union nationale et de la tenue en mai 2012 d’élections présidentielle et législatives réjouira tous ceux qui savent que la division du mouvement national palestinien constitue, depuis 2006, le principal atout de Benyamin Netanyahou et de ses complices, une « victoire stratégique » comme ils l’affirment. Autant l’on ne peut que se réjouir de la libération de Gilad Shalit et de 1 027 prisonniers palestiniens, autant il serait naïf de ne pas y déceler une dernière tentative israélienne pour remettre le Hamas en selle et le dissuader de se rapprocher du Fatah. En vain, espérons le…

– ensuite à celui d’Israël. Le mouvement sans précédent qui s’y développe depuis cet été – 400 000 manifestants dans les rues des principales villes du pays, soit l’équivalent de 4 millions en France ! – avec le soutien de l’écrasante majorité de la population est porteur d’avenir. Il s’oppose frontalement à la politique néolibérale de Benyamin Netanyahou et exige des coupes franches dans les budgets de la Défense et de la colonisation afin de satisfaire les besoins populaires en termes de logement, d’éducation, de santé, d’aide sociale, etc. Il lui reste à accomplir le plus difficile : trouver un  débouché politique ;

– enfin à tous les peuples qui soutiennent le droit des Palestiniens à l’autodétermination. D’enquête en sondage, tout confirme qu’une large majorité de l’opinion mondiale condamne la politique du gouvernement israélien et exige la création aux côtés d’Israël d’un État palestinien dans les frontières de 1967 qu’elle entend voir reconnaître sans attendre. La responsabilité du mouvement de solidarité, c’est de permettre à cette majorité de s’exprimer publiquement : pétitions, démarches auprès des autorités politiques et de celles et ceux qui aspirent à les remplacer aux prochaines élections, campagnes de Boycott, de désinvestissement et de sanction (BDS), missions sur place, tout est bon qui permet  de faire entendre la voix des citoyens du monde.

Il y a urgence. Un véritable échec de l’offensive palestinienne, un recul de l’ONU devant le diktat – le veto à dire vrai – du gouvernement israélien et de ses derniers alliés ou encore un rejet par ceux-ci des décisions de la communauté internationale sonneraient le glas de la perspective bi-étatique endossée à partir de 1974 par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). La question d’un État binational, théorique jusqu’ici, deviendrait sans doute politique. Elle s’inscrirait à l’ordre du jour régional et international. Et une nouvelle page s’ouvrirait, avec des conséquences que nul ne saurait calculer et encore maîtriser…


([1]) Ont voté contre le Canada, Israël, les îles Marshall, la Micronésie et les États-Unis…