http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2011/12/21/leve1.htm

 

Soumis à des pressions locales et internationales, le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) a organisé une conférence de presse lundi à travers laquelle il a défendu son action, en affirmant que l’armée n’avait pas utilisé la force contre les manifestants, lors des affrontements ayant commencé le week-end. Le conseil a accusé ces derniers de « chercher à détruire l’Etat ».

Les affrontements on fait 12 morts et 850 blessés, selon un dernier bilan lundi du ministère de la Santé. Des sources officieuses font état d’entre 4 et 12 nouvelles victimes.

Les affrontements avaient éclaté vendredi entre les forces de l’ordre et des manifestants qui campaient depuis fin novembre devant le siège du gouvernement pour protester contre la nomination par l’armée comme premier ministre de Kamal Al-Ganzouri, lequel avait déjà occupé ce poste sous Hosni Moubarak. Les manifestants réclamaient également la fin du pouvoir militaire, visant en particulier le chef de l’armée et chef d’Etat de facto, le maréchal Hussein Tantawi. Ils accusent l’armée de perpétuer le système répressif hérité de l’ex-président Hosni Moubarak et de chercher à maintenir son emprise sur le pouvoir malgré les promesses de démocratisation. Le Parquet du Caire a décidé le maintien en détention de 123 citoyens, dont des femmes et des mineurs, arrêtés dans les heurts. Ils encourent des poursuites pour « résistance à l’autorité, violences contre les forces de sécurité, incendie de bâtiments publics et atteinte à des propriétés publiques et privées ».

Au cœur de cette guerre de propagande où les militaires essayent de présenter les manifestants comme des voyous et des fauteurs de troubles, ces derniers ont mis en évidence des photos d’une manifestante voilée, dont les soldats avaient découvert le soutien-gorge et le ventre en la frappant et en la tenant sur la chaussée, alors que d’autres filmaient les corps déformés de manifestants tués. Des photos qu’ils ont fait largement circulé sur les réseaux sociaux et les sites internet provoquant l’indignation générale. Les funérailles d’un dignitaire religieux, le cheikh Emad Effat, président du comité d’Al-Fatwa (avis religieux) à Al-Azhar, et celles d’un étudiant en médecine, Alaa Abdel-Hadi, ont sollicité une large participation des manifestants qui entendaient ainsi prouver que le « profil » des manifestants ne correspond pas à celui dressé par les autorités.

Le CSFA a pour sa part publié sur Facebook et Youtube des images du saccage d’un bâtiment gouvernemental vendredi avec ce commentaire : « N’est-ce pas notre droit de protéger la propriété du peuple ? ». De son côté, la télévision d’Etat diffusait en boucle des images du maréchal Tantawi rendant visite à des blessés dans un hôpital militaire, le maréchal Tantawi avait également décidé d’indemniser les familles des victimes.

Etat d’ébullition

Ce dernier cycle de violence a laissé l’Egypte en état d’ébullition : à l’université du Caire comme à celle d’Aïn-Chams, des manifestations dénoncent le meurtre de jeunes étudiants. Des dizaines de formations libérales et islamistes ainsi que des députés fraîchement élus ont appelé à un sit-in devant la Haute Cour de justice pour réclamer l’arrêt de violence, le jugement des militaires impliqués dans les violences, ainsi que la tenue d’élections présidentielles avant le 25 janvier 2012. Parmi les participants, Ziyad Al-Oleimy, député au futur Parlement et membre de la coalition des jeunes de la révolution, et qui n’a pas échappé aux matraques de la police militaire. Parallèlement, des journalistes, avec d’autres activistes, observent un sit-in devant leur syndicat dénonçant l’intimidation des journalistes et des médias qui ont été pris pour cible lors de ces événements. Les Egyptiennes ne sont pas en reste : elles organisent pour des manifestations exclusivement féminines contre la violence préméditée, qu’elles ont subies.

Côté gouvernement, Al-Ganzouri, a mis en garde contre un risque de « contre-révolution », mais a assuré que « ni l’armée ni la police n’ont ouvert le feu » sur les manifestants.

L’attitude du pouvoir et les déclarations officielles le justifiant ont entraîné une vague de critiques dans les milieux politiques. « Quelle différence entre le discours officiel actuel et ceux de Moubarak ? Ce sont les mêmes mains mystérieuses et les mêmes complots étrangers qui justifient la répression », commente Belal Fadl, chroniqueur. Onze membres du Conseil consultatif tout récemment mis en place par l’armée pour servir de pont de dialogue avec les forces politiques ont présenté leur démission en signe de protestation. « Nous avons fait des recommandations vendredi, mais nous avons été surpris qu’elles ne soient pas suivies, et qu’il y ait encore des victimes samedi », a déclaré le vice-président de ce conseil, Aboul-Ela Madi, dirigeant du parti islamiste modéré Al-Wassat. « Ceux qui cherchent la solution dans les mesures sécuritaires ont tort, tout comme ceux qui pourraient croire que la révolution est morte, ont tort. La brutalité ne fera qu’engendrer d’autres vagues révolutionnaires. Les Egyptiens ne sont plus prêts à accepter l’humiliation et la répression », renchérit encore le politologue Gamal Zahrane. Les salafistes et les Frères musulmans, trop occupés par leurs velléités électorales, ont surtout mis en garde contre toutes tentatives de retarder le transfert du pouvoir.

A l’échelle internationale, les pressions se sont intensifiées au cours de la semaine sur le pouvoir militaire appelé à mettre fin aux violences. Le secrétaire général de l’Onu Ban Ki-moon a accusé les forces de sécurité d’usage « excessif » de la violence à l’encontre des manifestants. La secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton ainsi que le Quai d’Orsay en France ont appelé les autorités égyptiennes à respecter et à protéger les droits de l’homme, y compris ceux d’expression et de réunion.

Sur le terrain, les militaires ont dressé un mur barrant la grande avenue conduisant de la place Tahrir au Conseil des ministres, où la confrontation avait débutée, reprenant ainsi le contrôle des abords du siège du gouvernement. Manifestants et forces de l’ordre échangent des jets de pierres et de projectiles incendiaires par-dessus le barrage. Des manifestants essayent encore d’installer des tentes sur la place Tahrir pour remplacer celles brûlées dans la journée de samedi par les forces de l’ordre. Les initiatives d’apaisement se multiplient sans trop de succès pour le moment .

May Al-Maghrabi