A trois mois des élections présidentielles, le parlement s’apprête à voter une nouvelle loi mémorielle assortissant de sanctions pénales la négation du génocide de 1915 en Anatolie.
Les personnes dont les noms suivent tiennent à mettre en garde les élus et l’opinion publique contre une démarche dont les motifs électoralistes sont tristement évidents.
En premier lieu, dans un régime démocratique, il n’appartient pas aux pouvoirs publics – qu’il s’agisse du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif- de dire la vérité historique et d’imposer aux citoyens une histoire officielle.
La vérité historique est l’affaire des historiens, et de l’opinion publique, qui ratifie ou non leurs conclusions ; elle n’est en aucune façon l’affaire des politiciens.
La prétention de dire la vérité sur l’histoire a été une caractéristique majeure des régimes totalitaires du XXème siècle : une démocratie n’a rien à gagner à s’engager sur cette voie.
En second lieu, les signataires n’ont quant à eux aucun doute sur la réalité du génocide de 1915, ni sur le fait que tôt ou tard l’Etat turc devra reconnaitre les responsabilités en la matière des dirigeants de l’empire Ottoman. Le problème est de savoir comment atteindre cet objectif.
Or il est clair qu’une seule voie permettra d’y parvenir : la poursuite et le développement du travail que, depuis des années déjà, nombre d’intellectuels et de démocrates turcs ont entrepris, en prenant des risques considérables, pour éclairer l’opinion turque, ouvrir le dialogue avec leurs partenaires arméniens, et amener aussi bien la société civile que l’Etat turc à accepter d’assumer son passé. Si l’on souhaite une vraie prise de conscience, permettant un véritable apurement du passé, seule cette méthode permettra d’en créer les conditions, et notre tâche à nous est de soutenir et d’encourager les hommes et les femmes courageux qui se sont engagés dans cette entreprise.
Une intervention extérieure, qui paraîtrait dicter de l’étranger sa conduite au peuple turc, ne peut au contraire que compliquer leurs efforts, en provoquant un sursaut nationaliste qui les rendra pour longtemps inaudibles. La démarches du Parlement français est donc, non seulement intempestive, mais parfaitement contre productive.
Les initiateurs de ces démarches prétendent vouloir défendre la mémoire des victimes du génocide.
Mais la pire insulte que l’on puisse infliger à ces victimes, n’est-ce-pas de les transformer en prétexte et en instruments pour de sordides manœuvres électoralistes ? Que les défenseurs de la mémoire arménienne y songent, et ne se laissent pas manœuvrer par des politiciens qui sont, dans le fond, totalement indifférents au malheur arménien.
Les premiers signataires :
– Emmanuel Terray, Anthropologue, ancien directeur du Centre d’études africaines (EHESS-CNRS), et membre de la LDH
– Bernard Dréano, président du Cedetim
– Jean Bellanger, ancien responsable du secteur immigration de la CGT
– Gilles Lemaire, ancien secrétaire national des Verts
– Ali Kazancigil, politologue, essayiste et co-directeur de la revue géopolitique Anatoli : De l’Adriatique à la Caspienne (CNRS ED)
– Pascal Boniface, enseignant à l’Institut d’Etudes européennes de l’Université de Paris 8.
– Gus Massiah, membre du Conseil scientifique d’Attac-France et membre du Conseil international du Forum social mondial.
– Etienne Balibar, philosophe
– François Gèze, ingénieur civil des Mines (École des mines de Paris, 1969), diplômé de l’École pratique des hautes études (1973), est né en 1948. Il est président-directeur général des Éditions La Découverte
– Gilles Manceron, historien
– Louis Joinet, premier avocat à la Cour de cassation et à la Cour de justice de la République. En poste au Haut-commissariat des Nations-Unies aux droits de l’homme (en 2001).
– Alain Morice, anthropologue, directeur de recherche au CNRS, membre du réseau Migreurop
– Jean-Pierre Thorn, Cinéaste
– Alain Lipietz, économiste, ancien député européen
– Olivier Abel, philosophe
– Patrick Mony, président de l’AFVS (Association des Familles Victimes du Saturnisme) et ancien directeur du GISTI
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