Par E.B. pour la Feuille de Chou
Ce jeudi 12 avril, en soutien au peuple syrien et en l’honneur du 75 ème anniversaire du bombardement de la ville de Guernica, une réplique de l’œuvre éponyme de Picasso, réalisée par des étudiants de l’École des Arts Décoratifs, a été transportée dans les rues de Strasbourg jusqu’au pavillon du Kaysersguet où elle restera exposée jusqu’au dimanche 22 avril inclus.
Voir le diaporama du cheminement de Guernica à travers les rues de Strasbourg
Roger Dale, artiste peintre et enseignant de l’ESADS à l’initiative de ce projet, a souhaité par cette action mettre en parallèle deux événements dramatiques (l’un passé, l’autre présent) dont les images -bien que distantes par l’histoire et la géographie- font étrangement écho.
Le 26 avril 1937, Guernica fut la première ville à subir des bombardements aériens sur des civils; quatre escadrilles de la légion Condor (force aérienne formée de volontaires à partir d’effectifs de la Luftwaffe de l’Allemagne nazie), au service de Franco, y testèrent leurs nouvelles armes.
Vidéo:
Guerre civile espagnole: le bombardement de Guernica
50 tonnes de bombes explosives puis incendiaires furent lâchées pendant 3 heures, un jour de marché, sur le cœur de la ville de 7000 habitants, faisant 1654 victimes (dont beaucoup de femmes et d’enfants), plus de 800 blessés, et détruisant 70% des habitations.
Diaporama:
Guernica 1937-2010: deux temps de pause, une prise de vue
Le 1er mai suivant, Picasso, à qui le gouvernement républicain espagnol avait passé commande d’une peinture pour le pavillon à l’Exposition Universelle de Paris de juillet 1937, esquisse les premiers éléments d’une œuvre qui « exprime clairement» son « horreur de la caste militaire qui a fait sombrer l’Espagne dans un océan de douleur et de mort. »
Ainsi, mettant son engagement et son génie créatif au service l’un de l’autre, Picasso va élaborer en quelques semaines « une arme offensive et défensive contre l’ennemi », synthétisant en une seule toile, un vecteur d’informations pertinent et efficace qui fera connaître au monde les enjeux politiques du conflit espagnol, et une œuvre, symbole des horreurs de la guerre, à jamais bouleversante.
À Otto Abetz, l’ambassadeur du régime nazi à Paris qui lui aurait demandé devant une photo de la toile de Guernica : « C’est vous qui avez fait cela ? », Picasso aurait répondu : « Non… c’est vous! ».
Aujourd’hui, c’est la ville de Homs, “capitale de la révolution” syrienne qui, comme Guernica en son temps, Beyrouth à une époque ou Gaza toujours, connaît de même sort de “ville-martyre”, subissant depuis un an les violents bombardements, les pilonnages destructeurs et les tirs incessants de l’armée de Bachar al-Assad : mêmes images de chaos et d’enchevêtrement de corps et de gravas, mêmes visages de mères aux expressions douloureuses, mêmes regards vides face à l’espoir qui s’amenuise et à l’absence de réaction de la Communauté internationale.
Souhaitons au peuple syrien, qu’au fond d’un atelier à l’abri des snipers, de jeunes artistes, conscients du potentiel de leurs armes, s’emparent du pinceau aiguisé de Picasso et du tranchant des vers de Paul Eluard.
La victoire de Guernica
I
Beau monde des masures
De la nuit et des champs
II
Visages bons au feu visages bons au fond
Aux refus à la nuit aux injures aux coups
III
Visages bons à tout
Voici le vide qui vous fixe
Votre mort va servir d’exemple
IV
La mort coeur renversé
V
Ils vous ont fait payer le pain
Le ciel la terre l’eau le sommeil
Et la misère
De votre vie
VI
Ils disaient désirer la bonne intelligence
Ils rationnaient les forts jugeaient les fous
Faisaient l’aumône partageaient un sou en deux
Ils saluaient les cadavres
Ils s’accablaient de politesses
VII
Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde
VIII
Les femmes les enfants ont le même trésor
De feuilles vertes de printemps et de lait pur
Et de durée
Dans leurs yeux purs
IX
Les femmes les enfants ont le même trésor
Dans les yeux
Les hommes le défendent comme ils peuvent
X
Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges
Dans les yeux
Chacun montre son sang
XI
La peur et le courage de vivre et de mourir
La mort si difficile et si facile
XII
Hommes pour qui ce trésor fut chanté
Hommes pour qui ce trésor fut gâché
XIII
Hommes réels pour qui le désespoir
Alimente le feu dévorant de l’espoir
Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l’avenir
XIV
Parias la mort la terre et la hideur
De nos ennemis ont la couleur
Monotone de notre nuit
Nous en aurons raison.
Paul Eluard, Cours naturel (1938)