Source: Acrimed

Le problème, c’est de savoir si à partir d’une opinion de gauche, le journaliste a une attitude critique ou s’il se contente de rester aux émotions primaires qui l’ont poussé vers cette opinion.

http://www.atlantico.fr/decryptage/conviction-politique-journaliste-pas-importance-preuve-esprit-critique-francois-closets-330447.html

Atlantico : Les étudiants de deux écoles de journalisme (CFJ et Celsa) viennent d’organiser en interne des sondages sur les intentions de vote lors de la présidentielle, dont ils ont publié les résultats sur Twitter. Dans les deux cas, près de 40% des sondés votent François Hollande, la majorité étant très largement à gauche (aucun vote à droite dans le cas du CFJ). Comment expliquer que les jeunes journalistes soient à ce point en décalage avec le reste de la population ?

François de Closets : A priori, le journaliste est attiré par l’imprévu, parce ce qui ne devrait pas se passer. Il est donc naturellement attiré par ce qui ne va pas, ce qui le place en position de contestataire. D’autre part, il est enclin à aller “au secours de la veuve et l’orphelin”, ce qui est un peu la marque de fabrique de la gauche.

Cette tendance vient de l’émotion née de l’injustice, sur laquelle est porté le journaliste. Il est donc normal que les journalistes, surtout jeunes, aient un tropisme de gauche, dans la mesure où la gauche symbolise le progrès et la droite le conservatisme.

Dans tout journaliste sommeille un Zola : je m’indigne, je dénonce, j’accuse. Les grandes plumes de droite ont moins marqué que celles de gauche, que ça soit pour dénoncer le bagne ou l’affaire Dreyfus. Un jeune se retrouve plus dans ces combats que dans la plume de Maurras.
Le décalage dans ces intentions de vote entre ces futurs journalistes et le reste de l’opinion publique française ne pose donc pas de problème pour vous ?

Tout dépend de la manière dont il évolue. Il faudrait faire le même sondage auprès des journalistes de plus de 50 ans !
Un journaliste commencerait donc sa carrière à gauche pour la finir à droite ?

Non, être de gauche à 50 ans, ça ne veut pas dire qu’on n’a rien compris. Par contre, on prend de la distance. Il n’y a pas de tendance naturelle à devenir de droite, on peut très bien rester de gauche. Le problème, c’est de savoir si à partir d’une opinion de gauche, le journaliste a une attitude critique ou s’il se contente de rester aux émotions primaires qui l’ont poussé vers cette opinion.

Lorsque j’écris un livre, beaucoup de gens se disent que si j’écris telle ou telle chose, je suis de droite. Du coup, quand j’écris des chapitres qui leur paraissent de gauche, ils sont étonnés. C’est absurde. Si je prends la distance suffisante, tantôt mon analyse sera de gauche, tantôt de droite. C’est cela le journalisme. Le bulletin glissé dans l’urne n’a rien à voir là-dedans.

Il faut juste réussir à passer de l’émotion à la réflexion. Il y a une gauche réfléchie et une gauche émotionnelle, tout comme il y a une droite réfléchie et une droite émotionnelle.
Les écoles devraient-elles revoir leur mode de recrutement pour assurer un meilleur pluralisme ?

Le recrutement n’est pas un problème. Le tout est de savoir si, dans les écoles de journalisme, on apprend aux élèves à prendre une distance critique vis-à-vis de la réalité ou si on les laisse être emportés par l’émotion immédiate.

Par exemple, il est vrai qu’il est pathétique de voir une famille expulsée. Mais quand on réfléchit, on voit que si on interdit les expulsions et qu’on bloque les loyers, il y aura encore plus de mal logés.

Le rôle des écoles de journalisme n’est pas de vérifier que leurs élèves pensent à droite ou à gauche, c’est de ne pas les laisser au niveau émotionnel et symptomatique et de les mener à un niveau critique et analytique. Que cela conduise à des analyses qu’on qualifierait de droite ou de gauche, le journaliste n’a pas à s’en soucier.

Propos recueillis par Romain Mielcarek