Lettre à Roland Ries, sénateur-maire de Strasbourg

Durban II Ries Strasbourg

Jean Claude Meyer

Monsieur le sénateur-maire, et cher camarade ex-syndicaliste,

J’ai vu sur CIS online que vous participiez en l’introduisant à une réunion ce dimanche à 15 h au Conservatoire de musique et de danse.

Je crains que cette réunion ne soit l’occasion d’entendre des messages mensongers sur la conférence Durban II de Genève en avril dernier.

C’est pourquoi je me permets de vous donner à lire un article paru dans Politis, rédigé par Michèle Sibony, vice-présidente de l’UJFP, dont je suis le représentant en Alsace.

Meilleures salutations

J C Meyer

Des Boycotteurs très présents

Michèle Sibony UJFP30 avril 2009 Politis

Officiellement absent de la Conférence de Genève sur les droits de l’homme, Israël a en réalité exercé sur cette manifestation un contrôle de tous les instants.

Nous avons décidé à quelques militants associatifs, de l’ AIC, ATMF, CCIPPP,CMF, FTCR, et UJFP (1) de nous rendre à la conférence de réexamen de Durban à Genève, unis par un sentiment mêlé d’inquiétude et de nécessité. Notre message commun était clair: le refus de l’exception. La Conférence de réexamen de Durban contre le racisme et pour le respect des droits de l’homme dans le monde ne pouvait faire l’impasse de ces violations, du racisme colonial, et ces discriminations légales contre les citoyens palestiniens d’Israël. Le dire ensemble nous semblait important. Mais perdus dans ce cadre immense, et en l’absence de la plupart des ONG et associations françaises du mouvement social qu’allions nous pouvoir y faire d’autre que constater et surtout, en témoignant, tenter de lutter contre la lourde artillerie médiatique qui conditionnait depuis des mois les esprits sur cet événement?

Nous avons vite compris où nous étions: Dès le 19 avril, une Conférence alternative était organisée à Genève avec des invités de choix, dont Caroline Fourest, venue défendre les thèses du choc des civilisations, et désigner l’ennemi musulman. Puis une manifestation contre l’antisémitisme visant directement la Conférence suivie d’une veillée d’arme le 20 et d’un meeting le 22 devant le Palais des Nations avec Nathan Charanski, l’ex dissident soviétique passé à l’extrême droite israélienne, ministre des relations avec la Diaspora et Alan Dershovitz célèbre avocat américain aujourd’hui néo conservateur.

Mais c’est avec l’ouverture de la Conférence des États que nous avons mesuré l’ampleur de l’opération. Dès le matin des groupes sionistes manifestent devant les entrées du Palais des Nations, scotch noir sur la bouche, avec pancartes et tracts dénonçant une conférence conduite selon eux par les États racistes ne respectant pas les droits humains. Ils appellent à quitter la Conférence en soutien aux États luttant vraiment contre le racisme et pour ces droits, États-unis, Canada, Israël et quelques pays européens. Israël bien qu’ officiellement absent de la Conférence y a assuré sa présence et son contrôle avec un lobby de près de 1500 personnes entourées et protégées par une forte présence de barbouzes israéliennes, et l’arrogance de colons en territoire conquis: l’Union des Étudiants Israéliens, l’ Union des Étudiants juifs de France, des groupes d’étudiants américains, anglais, et aussi des chrétiens sionistes. l’accréditation a été retirée le 3e jour de la conférence à Coexist et l’UEJF en raison de leur comportement «délinquant» pour dénoncer le racisme de la conférence dans toutes les commissions susceptibles d’aborder le colonialisme israélien, les violations des droits humains en Palestine ou les discriminations et le racisme vis à vis des Palestiniens citoyens d’Israël. La méthode est binaire et mono thématique: chaque fois qu’il sera question de la Palestine, le lobby présent opposera une batterie de questions: Quid du Darfour, du Congo, du Sri Lanka, des Droits des femmes et des homosexuels en Iran etc…? et quid de l’ Antisémitisme?

Plus grave encore, le fruit d’un lobbying coordonné par UN Watch – ONG au service de la cause auprès des groupes africains entre autres, les persuadant que ce sont les Palestiniens et leur problème qui veulent monopoliser l’attention et sont indifférents aux autres discriminations.

Pour comprendre ce qui se passe il faut obstinément dé-construire la massive propagande à l’œuvre, qui présente l’ensemble de l’opération comme l’ attaque d’un Sud antisémite, essentiellement arabo-musulman, opposé à la liberté d’expression, et pour l’essentiel contre la démocratie qui est évidemment représentée par tous les pays absents. Or en réalité c’est l’inverse qui s’est passé. depuis le lendemain de Durban 1 jusqu’à Genève, la conférence contre le racisme a été soumise aux lignes rouges des démocraties du Nord: ne pas condamner Israël et ne pas évoquer la Palestine, quitte à imposer même pour y parvenir qu’aucun pays n’y soit nommément désigné.

Depuis Durban huit années ont passé, huit années d’ultra libéralisme néo conservateur qui ont imposé l’ unilatéralisme comme mode de négociation, la guerre préventive et la recolonisation comme modalité de pacification, laminé les droits civiques, le droit international, et les institutions de l’ONU, réuni dans l’OTAN la nouvelle direction mondiale, provoqué une crise économique mondiale majeure.

Genève est le sinistre reflet de cette période, et de la violence sans merci de la rencontre Nord Sud contemporaine. C’est la confiscation de cet espace d’expression des peuples du tiers monde, ceux qui souffrent jusque dans nos contrées, du racisme et des violations des droits humains. Dans le Forum de la société civile, ceux là ont demandé que des sanctions de ces violations visent aussi les pays d’accueil des millions de réfugiés. Mais au total l’imposture médiatique de Genève aura consisté à faire croire à un boycott d’Israël et d’un certain nombre d’Etats, alors que ceux-ci ont été omniprésents, qu’ils ont imposé un diktat préalable sur texte de la déclaration finale, vidant comme une coquille le cadre de travail, et exercé un contrôle permanent à l’intérieur comme à l’extérieur de la conférence.

(1)Alternative Information Centre -jérusalem/Bethléem,

Association des Travailleurs Maghrébins de France,

Campagne Civile pour la Protection du Peuple Palestinien,

Collectif des Musulmans de France,

Fédération des Tunisiens Citoyens des deux Rives,

Union Juive Française pour la Paix

La conférence du suivi de Durban

Genève 20 au 24 avril 09

L’instrumentalisation de la lutte contre le racisme, une manière de diviser le monde

Mireille Fanon-Mendès France

Fondation Frantz Fanon

membre de l’UJFP

5 jours d’une conférence, très formelle sans aucune remise en cause de la façon dont certains pays l’ont boycottée ou ont tenté de le faire.

5 jours qui ont été l’occasion pour la plupart des Etats présents de focaliser, avec l’aide des médias, l’attention du monde sur les propos du Président de l’Iran et qui ont permis aux pays européens, la France en tête, de quitter la salle des Assemblées, sous le regard ahuri des ONG présentes. Rien, en effet, dans les propos du Président ne concernait la remise en cause de l’extermination juive.

Rien, sauf qu’ont été dénoncés le racisme et la xénophobie légalisés de l’Etat d’Israël à l’égard du peuple palestinien. Rien que de très exact. Curieusement, une demi heure après l’intervention d’Ahmadinejad, le texte transmis par le secrétariat de la conférence contenait certaines phrases qui n’avaient été ni entendues ni traduites[1]

De là à penser que tout était prévu d’avance il n’y a qu’un pas. En effet, Ahmadinejad avait rencontré juste avant de prendre la parole, la Haut commissaire aux Droits de l’Homme, Madame Navi Pillay. Renseignement pris, il avait été convenu qu’il ne tiendrait aucun propos négationniste. Il a tenu, le temps de sa déclaration, ses engagements.

Dès lors, comment le secrétariat a-t-il pu distribuer un texte en partie non prononcé? Quel jeu, dans cette partition, a joué la conférence et plus largement le Haut Commissariat des Droits de l’Homme, organe subsidiaire de l’Assemblée générale des Nations unies?

Il suffit de signaler aussi que contrairement à Durban en 2001[2], où les Etats avaient accepté qu’il y ait un forum des ONG, lors de la conférence de suivi, à Genève, aucun forum n’a pu être organisé. Il a fallu la volonté de quelques ONG[3] pour imposer un forum de la société civile qui n’a existé qu’en amont de la conférence, sur une durée de 3 jours. Ce forum a émis une déclaration finale qui n’a pu être transmise aux Etats. Ces derniers avaient refusé, avec la dernière énergie, l’existence d’un forum des ONG au prétexte que c’étaient elles qui avaient fait échouer le processus de Durban.

Or, ce qui s’est joué à Durban[4] n’était ni plus ni moins que l’instrumentalisation du racisme à des fins de division du monde. D’un côté les soutiens de l’Etat d’Israël, dont de nombreux pays occidentaux mais aussi arabes et africains, et de l’autre ceux qui affirment que le racisme et la discrimination sous toutes leurs formes, la xénophobie et l’intolérance associés doivent être combattus partout dans le monde afin de gagner l’universalité des droits humains pour toutes et tous.

C’est sur cette rupture que les Etats occidentaux et leurs alliés voulaient renforcer la division du monde. C’était compter sans la volonté des ONG, de certains Etats et celle de Mary Robinson[5], grâce à qui, malgré la violence des Etats, il a été possible d’obtenir la Déclaration et le Programme d’action de Durban[6].

Durant tout le processus de préparation de cette conférence de suivi, les Etats occidentaux n’ont eu de cesse de le faire échouer. L’antisémitisme a été porté sur le devant de la scène de façon à paralyser tous les Etats qui auraient quelque velléité de critiquer la politique raciste, discriminatoire et xénophobe de l’Etat d’Israël à l’égard aussi bien des citoyens palestiniens de 1948 que des Palestiniens des territoires illégalement occupés.

Ainsi, si cette volonté se manifestait alors il était facile à ces Etats de demander l’annulation, pure et simple, du processus de suivi du dit Durban.

Il faut d’ailleurs signaler que l’utilisation de la référence à Durban[7] n’est pas innocente et participe de la volonté de montrer que c’est à partir de ce lieu, quelques jours avant le 11 septembre[8], que s’est jouée la division du monde, avec d’un côté ceux qui soi-disant combattent le terrorisme et de l’autre, ceux qui sont prétendus le nourrir.

Il est curieux que les Etats puissants utilisent le Conseil des Droits de l’Homme, donc ce qui vise à l’universalité des droits humains, pour toutes et tous, partout dans le monde, quels que soient le régime politique et la religion, pour renforcer leur position de dominants et exclure tous les Etats qui ne répondent pas à leurs exigences ou qui veulent que toutes les voix des victimes, y compris celle du peuple palestinien, soient entendues, sans oublier celles dont on ne parle plus comme la voix du peuple tchétchène ou celles que l’on refuse d’écouter, ainsi des peuples autochtones et des Dalits.

Avec cette conférence de suivi se confirme le fait que les Etats puissants ont imposé, à l’ensemble du monde, leurs conceptions de la lutte contre le racisme, les discriminations et la xénophobie avec un terrain dont les limites ne comprennent aucune critique à l’égard d’Israël et d’où la question de la diffamation religieuse a été écartée.

Dès lors, nous sommes bien loin de l’universalité des droits -pour laquelle une grande partie de la société civile se mobilise et que la plupart des Etats prétendent revendiquer pour leur peuple- d’autant que les Etats s’inscrivant contre cette organisation du monde peinent à faire entendre leur voix, par manque de volonté politique ou par peur de représailles.

Force est de constater que ce sont, en fait, les droits humains qui sont fortement questionné et plus généralement les organes onusiens créés par les Nations unies pour obtenir leur respect et leur effectivité qui sont remis en cause et après de telles conférences, même si la Déclaration finale est à peu près correcte et a au moins le mérite d’affirmer le bien fondé de la déclaration et du plan d’action de Durban 2001, nous sommes en droit de nous interroger sur la pérennité de ces organes et sur le rôle que leur fait jouer une grande partie de la communauté internationale.

Forum formel, communauté internationale en désaccord sur la nature du racisme, de la discrimination et de la xénophobie à dénoncer, société civile exclue et dont la participation s’est limitée à assister au défilé des déclarations de certains Etats. Seules cent vingt ONG ont pu s’adresser aux Etats, dans une salle relativement vide.

Ce forum montre que la division du monde se construit sur la base de principes concernant le racisme très différents d’Etat à Etat mais aussi de l’instrumentalisation qui en est faite au détriment des peuples.

Cette division du monde, organisée à partir de la lutte contre le racisme, la discrimination, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, vient renforcer le discours élaboré à partir de septembre 2001 pour lutter contre le terrorisme, avec la mise en place d’un discours sur les «bonnes valeurs» et les dites bonnes pratiques de la démocratie prise en otage par les Etats dominants.

Ce nouvel ordre du monde vient de conforter son équilibre en s’adjoignant, en ce temps de crise économique mondiale, un nouveau pilier, celui qui clame, haut et fort, que la seule issue possible à cette crise, repose sur la restauration du système tel qu’il était juste avant la crise.

Tout cela est évidemment à mettre en relation avec le relégitimation de l’OTAN, par le retour de la France en son sein par exemple, mais surtout de son élargissement à l’Europe centrale et orientale, dans le but de définir un « nouveau concept stratégique » pour l’OTAN.

Ce concept, adopté en 1999 lors du Sommet du cinquantenaire précise, -§ 56- sa nature et son objectif : « la sécurité de l’Alliance doit s’envisager dans un contexte global… les forces de l’Alliance peuvent être appelées à opérer au-delà des frontières de la zone de l’OTAN. » Ainsi s’opère un changement de cadre, la mission de l‘OTAN, jusqu’ici organisme de défense régional, devient le bras armé de la mondialisation.

Tout est dit, l’OTAN est en passe de devenir et ce contre l’Organisation des Nations unies un élément essentiel du réseau d’organisations mis en place par les grandes puissances qui décident de la guerre et de la paix, des choix politiques et économiques, des respects ou non des droits humains ou syndicaux, de la survie de la planète.

L’Alliance atlantique qualifiée de « symbole d’une identité occidentale », constitue dans le domaine politico militaire, comme le sont le Conseil de sécurité, le G8 et maintenant le G20 ou le Groupe de la Banque mondiale, dans les domaines politiques, économiques et financiers, un directoire où les Puissances imposent leurs visées hégémoniques et le maintien du nouvel ordre social mondial.

Dès lors, cette conférence de suivi de Durban et la façon dont elle s’est déroulée, avec la mise au ban de la société civile, porte en elle tous les dangers pour les Peuples des Nations unies qui vont avoir de plus en plus de mal à faire valoir ce qu’ils affirment dans le Préambule de la Charte des Nations unies.

L’axe du bien veut bien pratiquer la tolérance mais à partir de sa propre conception ethno-centrée. Il veut bien vivre en paix avec l’autre dans un esprit de bon voisinage mais à condition qu’il puisse piller, utiliser les ressources naturelles de l’autre sans que celui-ci y trouve à redire.

Avec cette conférence de suivi, l’ensemble du monde a perdu bien plus qu’il ne croit. Nous sommes face au danger. Une façon d’y échapper serait de revenir aux principes contenus dans la Charte des Nations unies pour la préservation de la paix et de la sécurité internationales.

L’applicabilité et l’effectivité des normes impératives partout et par tous permettrait d’allier, de rallier et de relier tout ce qui se trouve, de par la volonté des puissants, désolidarisé. C’est à partir d’un vrai désir de justice de paix et de sécurité internationale qu’il nous sera donné de faire peuple et nation, d’entrer en dignité face au monde, car nous serons autant de femmes et d’hommes debout.

26 avril 09


[1] Voir le site de la conférence: http://www.un.org/french/durbanreview2009

[2] 3ème conférence mondiale contre le racisme sous l’égide des Nations unies.

[3] Dont United against racism, Youth united against racism, et toutes celles qui ont rejoint ce forum dès le vendredi 17 avril

[4] Voir Politis du 29 mai 2008, Pour une nouvelle conférence de Durban

[5] À l’époque Haut commissaire aux droits de l’Homme et secrétaire générale de la Conférence de Durban, 2001

[6] Publié par le département de l’information de l’ONU, New York, 2002, www.un.org

[7] Durban est donné comme si c’était la première conférence mondiale contre le racisme, c’est inexact, c’était la troisième et celle qui vient d’avoir lieu à Genève est la quatrième

[8] La conférence de Durban a pris fin le 9 septembre 2001