Lettre ouverte au Premier Ministre
Monsieur le Premier Ministre,
Voilà désormais 6 mois que votre Gouvernement est en place. La charge est lourde, le contexte difficile. Nous ne sommes pas de ceux qui dressent dès maintenant des appréciations définitives ou entretiennent des polémiques. Pour autant, nous devons vous exprimer notre très grande déception sur la politique que votre Gouvernement conduit jusqu’ici à l’égard des étrangers.
Sur cette question du « vivre ensemble » – l’une des plus sensibles – les premières annonces et décisions nous ont laissés perplexes. Les pratiques qui ont suivi nous sont insupportables.
En juin, conformément aux engagements du Président de la République, une circulaire annoncée par le ministre de l’Intérieur prétendait interdire le placement d’enfants en rétention administrative. Elle exclura Mayotte – département français – qui concentre à lui seul plus de 90 % des placements d’enfants. Etrange conception de la République et du principe d’égalité des droits…
En juillet, nous exprimions une demande urgente pour que les taxes exorbitantes que doivent payer les étrangers lors de la délivrance d’un titre de séjour soient drastiquement révisées dans le projet de loi de finances rectificative. La réforme que nous appelions relevait à l’évidence des mesures de justice fiscale tant annoncées les mois précédents. Trois mois plus tard, les modifications que vous acceptez dans le projet de loi de finances 2013 sont marginales et ne changent rien à l’injustice qui frappe des personnes en situation de précarité.
En août, deux ans après un discours de Grenoble internationalement condamné, votre Ministre de l’Intérieur a cru opportun de remettre sur le devant de la scène médiatique la question des campements de Roms et de relancer ainsi la stigmatisation de ces quelques milliers de personnes. Les évacuations qui ont suivi, violentes, brutales, répétées, ont soulevé un tollé jusqu’à la Commission européenne. Votre décision de convoquer une réunion interministérielle en plein mois d’août et d’édicter une circulaire signée de sept ministres semblait traduire votre volonté de mettre un terme à cet emballement et de clore ce chapitre déjà sombre. Deux mois plus tard, force est de constater que les évacuations continuent dans les mêmes conditions, avec le même zèle destructeur et la même indifférence des services de l’Etat à l’égard de la souffrance des familles et des enfants.
En septembre, les migrants exilés dans le Calaisis ont retrouvé les pratiques et le rythme connu naguère des expulsions de squat, des violences et des destructions de leurs maigres affaires. 10 ans après la fermeture du centre de Sangatte, la seule réponse apportée par l’Etat semble rester celle du harcèlement policier et du mépris de la notion élémentaire de protection des personnes.
En octobre, le premier projet de loi annoncé par votre Gouvernement sur l’immigration porte sur la création d’une « garde à vue » spéciale pour les étrangers. Sans doute un arrêt récent de la Cour de Cassation rend la tâche difficile aux fonctionnaires de police. Mais quel symbole ! Celui d’un Gouvernement dont le premier projet de loi adopté sur le statut des étrangers propose une nouvelle disposition destinée à faciliter les expulsions du territoire…
Certes, une circulaire vient d’être diffusée pour faciliter l’accès à la nationalité française en revenant sur des obstacles instaurés par le Gouvernement précédent. S’il faut s’en féliciter, ne nous leurrons pas ! Elle ne saurait donner le change au reniement inavoué de votre Gouvernement à la promesse présidentielle concernant le droit de vote des étrangers aux élections locales. Elle ne saurait non plus masquer le report de mois en mois de la circulaire de régularisation des sans-papiers, elle aussi promise par le Président de la République – il évoquait des critères prenant en compte l’insertion par le travail ou l’activité, la famille, la scolarité et l’ancienneté de séjour.
Et nous ne pouvons oublier l’absence totale de calendrier, de contenu et de méthode de travail pour préparer la réforme législative qui s’impose sur le statut des étrangers et le droit d’asile. Après les lois de 2003, 2007, 2008, 2011, toutes inspirées par la séduction que voulait exercer l’ancienne majorité sur l’électorat le plus réfractaire à l’immigration, une nouvelle législation est indispensable pour réparer la dégradation du statut des étrangers et corriger ses effets sur leur précarité sociale. Qu’en est-il de vos intentions ? A ce jour, seul le silence fait face à nos questions…
La mise en œuvre d’une politique d’immigration et d’asile équilibrée est complexe dans le contexte actuel. Mais cela ne justifie pas que des mesures de justice et d’apaisement pourtant annoncées soient abandonnées avant même d’être créées ; cela ne justifie pas que la seule parole de votre Gouvernement sur le sujet soit celle du ministre de la police ; cela ne justifie pas que vos instructions soient négligées par certains services de l’Etat et que des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants soient encore traités indignement.
Monsieur le Premier Ministre, nous attendons que des convictions fortes soient exprimées, nous attendons un programme concret, des mesures claires et ambitieuses. Il ne vous est plus possible de continuer à gérer l’héritage des lois antérieures conçues pour « cliver » les uns contre les autres.
Les attentes sont fortes, ne les décevez pas !
Guy Aurenche, Président du CCFD Terre Solidaire
Christophe Deltombe, Président d’Emmaüs France
Pierre-Yves Madignier, Président d’ATD-Quart Monde
Patrick Peugeot, Président de la CIMADE
François Soulage, Président du Secours Catholique
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