7 novembre 2012 par W.R.  civitas – la madeleine

Ils s’appellent eux-mêmes « catholiques réactionnaires ». Doux euphémisme pour ce que nous avons pu entendre lors de la « conférence » donnée à La Madeleine ce jeudi 18 octobre, salle Simon Moulin. Pendant plus d’une heure et demie le président de CIVITAS déroule une rhétorique qui fait passer les homos pour des dégénérés, des pervers, des sous-hommes qu’il faudrait soigner, à qui il refuse le droit de vivre comme tout le monde. Au deuxième rang, Éric Dillies, numéro deux du FN dans la région, boit du petit lait… Ambiance, dans les égouts d’un lobby de dangereux fanatiques.
« L’Institut CIVITAS est un mouvement politique inspiré par le droit naturel et la doctrine sociale de l’Église et regroupant des laïcs catholiques engagés dans l’instauration de la Royauté sociale du Christ sur les nations et les peuples en général, sur la France et les Français en particulier » [1]. Sébastien Leprêtre [sic] a dû apprécier cette présentation pour autoriser une réunion intitulée « NON au “mariage” homosexuel » de « l’Institut Civitas » dans une salle polyvalente de son hôtel de ville. Lui qui est à la tête d’un conseil municipal qui refuse que puissent être célébrés les PACS dans cette même salle, comme nous le raconte un habitant de La Madeleine qui voulait fêter son union avec un autre homme : « Le monsieur chargé de la réservation des salles était très gêné de me dire qu’on ne pouvait pas louer de salles pour les PACS. En effet, sur le site de la mairie, la municipalité a fixé des critères restrictifs pour la location des salles : baptême, mariage, communion, noce d’or. Un ensemble de fête familiales – et catholiques.  » C’est donc bien volontiers que Leprêtre a dû recevoir Civitas. Souvenez-vous : ce sont eux qui avaient menacé de s’en prendre au théâtre de La Rose des Vents à l’occasion de la représentation de la pièce « Sur le concept du visage du fils de dieu », l’hiver dernier, pour « réparer publiquement la profanation ». Eux encore, qui avaient lancé un appel à soutenir « SOS tout-petits » dans leur « travail contre les organisateurs de l’avortement  »…
La phobie du lobby
À peine à l’entrée de la réunion, ça parle déjà de « messes en latin », et d’un certain « Benedetti » [2]. Une bagnole de flics passe, ils font un tour, regardent si tout se passe bien : tout se passe « bien ». On a déjà l’estomac noué à l’idée du nid dans lequel on fourre les pieds. Dans la salle : BFM TV, France Inter, France Culture, La Voix du Nord. Le coup médiatique est réussi, pour un groupe qui se plaint de subir l’omerta prétendument imposée par un « lobby homosexuel ».
Il y a environ soixante-dix personnes dans la salle. Des petits vieux, des jeunes avec leur mèche de cheveux bien plissée, des pulls à carreaux… Alain Escada, président de Civitas, est introduit par une personne du Mouvement Catholique des Familles [3]. Chaude ambiance. Et ça commence sans ménagement. L’homme vient débattre entre « fidèles de la doctrine catholique  » afin de s’opposer « aux attentes des lobbies homosexuels  », véritable « terrorisme intellectuel  » ; homosexualité qui « contrevient au bon sens » pour « défigurer l’image de la famille » et remettre en question « un droit naturel ». Ce lobby irait de « l’alliance révolutionnaire » — extrême gauche et autres tenants de la « révolution sexuelle des années soixante » —, jusqu’à « l’industrie pornographique », en passant par les loges franc-maçonnes, Pierre Bergé — mécène du Magazine Têtu et fondateur de la maison Yves Saint Laurent —, etc. Il martèle : « Avec l’élection de François Hollande », ce lobby est maintenant au pouvoir, surtout depuis que Jean-Marc Ayrault a nommé un « homosexuel assumé à la tête de son cabinet  »… Escada enchaîne, en confiance devant son public, sur ces « lobbies  » qui exerceraient un « totalitarisme permanent », œuvrant à « renforcer la normalisation de choix privés qui dérogent à la norme humaine ». Quelques personnes, venues interpeller l’homme et l’audience sur la violence et l’absurdité du discours, applaudissent théâtralement pour souligner l’effroi qui les parcoure.
Pot-pourri
C’est un homme de l’amalgame, cet Escada, un foutriquet fourbe qui mange à tous les râteliers. Et pas des plus reluisants. Pour appuyer son procès en hérésie, toutes les références sont bonnes : du PS (Jospin refusant le mariage homosexuel et lui préférant le PACS), de l’UMP, des pseudos « intellectuels » ou « journalistes »… Philippe Ariño [4], Jacques Julliard, ou Jacques Attali — « pour qui la prochaine campagne présidentielle portera sur la polygamie » —, sans oublier Éric Zemmour — qu’on ne vous présente pas —, Benoît XVI bien sûr. Dixit le « Saint-Père » sur le mariage homosexuel : « Tout catholique doit s’y opposer de manière incisive ».
Escada évoque un autocollant réalisé par son Institut : « Aujourd’hui le mariage homosexuel, demain la polygamie », disait-il. C’est pourtant le fruit « d’un raisonnement logique ». Dans son esprit « catholique », «  le mariage c’est l’union de deux personnes » et ces personnes doivent être « un homme et une femme » ; remettre en question ce dernier point mène nécessairement à la remise en cause du premier. Imbattable. Escada est persuadé que la Gay Pride est « une manifestation contre l’Église ».
« Voilà la vérité »
Il invoque « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Car vous vous doutez bien qu’il redoute comme la peste l’homoparentalité, et l’adoption par des couples de personnes du même sexe. Après avoir « dénoncé » des études menées « par des chercheurs homosexuels » et « phagocytées par des lobbies homosexuels », Escada donne sa version du réel : « instabilité chronique des couples homosexuels, troubles dans la construction psychique de l’enfant, déconstruction de la sexualité de l’enfant, des effets masculisants, féminisants  »… Comprendre : les homosexuel-les sont des déséquilibrés mentaux, des bombes pathogènes à retardement. Discours abominable mais « scientifique » à en croire une soi-disant « étude » hollandaise selon laquelle « 85% des couples hétérosexuels se disent monogame, contre 2% des couples homosexuels ». Des inepties outrageantes, folles. Escada évoque également une « étude texane »… « Relations incestueuses », viols d’enfants, tout y passe. L’homoparentalité serait génératrice de plus de troubles que tout ce que les familles hétéros peuvent produire : « dépression, suicide, auto-mutilation, abus sexuels ». Les contestataires dans la salle expliqueront plus tard en prenant la parole que ce n’est pas ce que dit cette étude américaine, que les propos en sont dévoyés… L’homme, lui, rompu à ces exercices de com’, n’en démord pas, sourit. Un sourire qu’on voudrait lui arracher. Il affirme tranquillement que les mouvements LGBT soutiennent la pédophilie, en évoquant des « groupes » revendiquant « le droit à la sexualité des enfants  ». À vomir.
« Sauvons les homosexuels »
Chahuté pendant le débat, après avoir récité son pamphlet, Escada nie toute stigmatisation, toute haine : « Nous sommes la voix du bon sens  ». « Quand la religion s’efface, il ne reste plus rien […]. La chrétienté a garanti l’équilibre de la société pendant des siècles  ». « Qu’une sainte jeunesse se lève !  » s’enflamme-t-il. Effrayant. Il avance alors le chiffre de « 1500 maires opposés au projet de loi sur le mariage homosexuel  ». Malgré le fait que ce soient 1500 maires de trop, sur 36000 communes, ça fait quand même ridicule. La « conférence » terminée, le « débat commence ». Escada est vite débordé par les prises de paroles de ses opposant-es. Intervient un homme en robe noire et au col blanc, un cureton : « Je n’avais pas prévu de parler mais…  » Il est membre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, très en accord avec les idées d’Escada, et prêche à Croix et à La Madeleine. Sa voix est mielleuse : « Nos amis homosexuels nous font du souci, je ressens leur peine dans mon cœur ». On croirait un mauvais acteur doublé d’un séducteur pervers : «  Mais l’homosexualité est un péché qui éloigne de Dieu  », sermonne-t-il d’un coup. « Sauvons les homosexuels » pour les faire entrer « dans la lumière ». On touche le fond.
L’étau des intégrismes
Alors pour poursuivre sa campagne à travers la France, CIVITAS a imprimé un million de tracts. Tout cela finit par une belle petite prière chantée en latin. Sur le départ, une dame nous interpelle : «  Vous savez pour tous ces tracts, vous devriez en prendre pour qu’ils ne soient pas distribués. » « Figurez-vous qu’on y a pensé ; Et vous ? » « Moi c’est ce que je vais faire  ». Tout bas, elle s’explique : « Je suis catholique, mon fils est homosexuel  ». Elle est venue là, mais « c’est n’importe quoi », nous dit-elle en baissant la tête. Elle ne veut pas cautionner ce que nous avons entendu. Voilà une croyante de plus prise en étau par les intégristes de sa religion. Si seulement on pouvait vivre notre vie sans avoir à subir ça…
Notes
[1] Civitas-institut.com, Qui sommes-nous ?
[2] S’agit-il Yvan Benedetti, ex-bras droit de Bruno Gollnisch au FN, responsable des Jeunesses Nationalistes ? La coïncidence est troublante : droites-extremes.blog.lemonde.fr/ « Malgré l’interdiction de la manif, les Jeunesses Nationalistes réussissent leur coup », 28/09/12.
[3] « Son action s’inscrit dans le combat de la Tradition Catholique pour Tout restaurer dans le Christ. » Ça se passe de commentaires.
[4] Florilège de cet « intellectuel » : « Par pitié, ne soyez pas “sympas” avec nous les personnes homosexuelles ! Ne cherchez pas à nous faire plaisir ! Arrêtez de nous ménager ! Responsabilisez-nous plutôt ! C’est le meilleur moyen de nous respecter et de nous reconnaître vraiment. Ne nous enlevez pas notre identité. Réveillez les victimes de nous-mêmes que nous sommes devenus ! » ; « J’ai toujours été de tendance gauche, politiquement. Et c’est d’ailleurs pour ça que je vais voter Sarkozy ». araigneedudesert.fr, « SVP, ne nous donnez pas le mariage ».