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Les délires “sado-maso” de Tomi Ungerer, par José Meidinger

Il est capable de dessiner les pires délires « sadomaso » ou de croasser de plaisir devant les ébats de ses grenouilles érotiques, avant de retomber, vieillard indigne, dans l’innocence de son enfance, de ses innombrables albums pour bambins sages, dont « Les Trois Brigands » et « Jean de la Lune » qui ont fait le tour du monde. Tout à la fois faux modeste et fier-à-bras, comme Artaban, il est le seul artiste français à se voir dédier un musée de son vivant où près de 8 000 de ses dessins et œuvres sont réunis.

Il ? Je ne l’ai volontairement pas nommé jusque-là. J’étais sûr, en effet, que son nom ne vous dirait rien, car peu de Français de l’intérieur – c’est comme ça qu’on vous appelle en Alsace — connaissent cet illustrateur et satiriste talentueux. Tomi Ungerer, c’est de lui qu’il s’agit, célèbre à l’étranger, bizarrement méconnu chez nous où les artistes de ce gabarit ne sont pourtant pas légion. Bien au-dessus du lot cependant, si on le compare à Wolinski, Siné ou Charb que Nicolas Gauthier a écharpé à juste titre sur Boulevard Voltaire.

C’est vrai que Tomi Ungerer, jouant dans une division nettement supérieure, a toujours boudé le parisianisme à la mords-moi le crayon, pour aller vivre de son stylomine aux États-Unis, au Canada et en Allemagne. La notoriété tient parfois à peu de choses : Ungerer partage avec Albert Schweitzer et Victor Schoelcher, l’illustre inconnu qui a aboli l’esclavage, le handicap du patronyme impossible, du nom à coucher dehors que personne ne retient.

Aujourd’hui, Tomi Ungerer se rappelle enfin à notre bon souvenir hexagonal — il était temps, à 81 ans ! — grâce à l’adaptation pour le cinéma de son célèbre « Jean de la lune », un dessin animé qui semble enchanter petits et grands. Notre caricaturiste surdoué sera-t-il enfin apprécié à sa juste valeur ? Tomi ne s’en soucie guère, préférant s’identifier au héros de son conte en avouant qu’il a passé toute sa vie « à tomber de la lune ». Une vie peuplée de dessins qui décoiffent, dénoncent ou dérangent, mais également d’aphorismes ou de bons mots, comme celui sur l’histoire de sa région natale, entre la France et l’Allemagne : « L’Alsace a ceci de commun avec les cabinets qu’elle est toujours occupée ! » Pour lui, la satire comme la caricature sont des domaines où « l’artiste, à la fois briquet et lance-flammes, découvre la jouissance de l’incendiaire. »

Autre dessinateur alsacien de talent – allez, on va dire français — encore plus confidentiel que Tomi Ungerer mais dont la notoriété est immense Outre-Atlantique : le Strasbourgeois Frédéric Back, deux Oscars à Hollywood pour deux films d’animation — « Crac, la chaise berçante » et surtout « L’Homme qui plantait des arbres », lu par Philippe Noiret et qui a obtenu plus de 40 prix à travers le monde. Il est vrai que ses compatriotes ont des circonstances atténuantes : Frédéric Back a quitté l’Alsace « occupée » en 1940 pour émigrer au Québec où il est entré à la télévision canadienne comme illustrateur, créateur d’effets visuels, de décors et de maquettes. C’est là qu’il a fait toute sa carrière. Télérama et Arte ne l’ont pas encore vraiment découvert…
José Meidinger, le 23 janvier 2013