zapi
“L’Alsace est une terre hospitalière.
On connaît son histoire tourmentée et si riche et ce qu’en dit Tomi UNGERER, le célèbre illustrateur :
«L’Alsace a été vendue à la France.
Elle a été vendue à l’Allemagne.
On aurait dû la vendre aux Juifs comme ça elle serait restée dans la famille».

Si on accède à Strasbourg par avion, on atterrit sur la piste de l’aéroport d’Entzheim dont on peut rappeler qu’ elle a été réalisée par un des 70 Kommandos autrement dit un des camps de travail annexe du camp de concentration du Struthof situé en territoire annexé à 65 km à l’ ouest de Strasbourg , entre 41 et 44.

A proximité de l’aéroport se trouvent les locaux de la ZAPI :
« Zone d’attente pour les personnes en instance ».

PAF

Je me suis toujours interrogé sur le sens de ces abréviations qui ont un effet euphémisant incontestable en réduisant dans l’esprit du vulgaire, pour le coup, la portée de la violence infligée à l’étranger retenu.

Le sigle ZAPI nous donnerait presque envie « d’aller y passer le week-end ».

Il s’agit de zones destinées à empêcher les personnes arrêtées à leur arrivée à l’aéroport et retenues (« en instance » diront les autorités) d’entrer sur le territoire français.
Elles sont enfermées dans des locaux qui sont des zones de non-droit au moins pendant 96 heures .
« Néanmoins, le maintien au delà de 4 jours n’est possible que s’il est autorisé par le juge des libertés et de la détention .»

A Paris à l’aéroport de Roissy, les locaux d’hébergement (si les retenus doivent y passer plusieurs nuits) appartiennent au groupe hôtelier Accor.

Lors du « Procès de l’enfermement des enfants » qui a eu lieu à l’Institut Catholique, rue d’Assas à Paris le samedi 14 mai , j’ai proposé que l’on débaptisât les ZAPI en « Camp d’attente pour personnes en instance » ce qui pourrait donner CAPI et j’ai même suggéré d’aller plus loin, en transformant l’appellation en « Camp d’Attente pour personnes obligées », ce qui donnerait CAPO!!.

J’ai été confronté moi-même en mai 2009 à une situation bouleversante au cours de laquelle j’ai fait le constat de l’internement de 3 nourrissons dans la ZAPI d’ Entzheim ; trois nourrissons entre 6 mois et 22 mois à qui les autorités, durant les 36 heures de leur rétention n’avaient donné que de l’eau et du sucre! .

Ils appartenaient à un groupe de Philippins en situation irrégulière qui avaient vécu clandestinement en France dans la région parisienne, pendant une dizaine d’années pour certains.
Ils pensaient que la conséquence de leur travail , au noir, les autorisait légitimement à partir en vacances en Hollande où ils s’étaient rendu comme des fleurs, si j’ose dire, en car,collectivement.

Arrêtés à la frontière entre l’Allemagne et la Hollande, il avaient été renvoyés à Strasbourg, protection de l’Espace Schengen oblige !.

On mesure la qualité de l’accueil d’un pays et la qualité de l’accueil d’une corporation professionnelle à sa capacité à prendre en charge les marginaux, j’en suis convaincu.

Or aujourd’hui on se rend compte que toutes les enquêtes confirment que dans 1 cas sur 2, les « bénéficiaires » (6) de la CMU se voient refuser un premier rendez-vous chez un spécialiste, en France.

La question est de savoir comment après l’expérience traumatique collective du nazisme et l’adhésion en masse des médecins aux structures totalitaires de l’Allemagne à partir de 1933, comment donc après 10 ans d’études en France, les médecins- spécialistes parviennent à reconnaître les pauvres …pour ne pas les soigner.

Sans aucun doute l’enseignement distillé dans les facultés de médecine permet-il implicitement aux futurs spécialistes d’acquérir une expérience qui les aguerri dans cet exercice et leur permet de ne soigner que les patients qui leur ressemblent en terme d’appartenance à une classe sociale proche de la leur.

En effet, accueillir de manière inconditionnelle toute la misère du monde dans nos cabinets, ce serait impossible probablement, mais ne sommes-nous pas tenus de le faire plus largement qu’aujourd’hui ?

Et de militer pour la disparition concertée de Médecins du Monde !

S’agissant notamment des traumatisés du monde entier, ne serait-il pas important d’apprendre à reconnaître les effets de leurs souffrances ?
Qui parmi nous est sensible aux effets morbides de leurs nuits peuplées de cauchemars leur interdisant donc de venir à nos rendez-vous le matin et leur imposant de n’accéder au cabinet qu’ à des moments où la douleur les épargne un peu, c’est-à-dire à partir du début de l’après midi ?

J’ai déjà abordé ailleurs ce que cette situation m’a imposé en termes pratiques, à savoir d’ouvrir mon cabinet sans rendez-vous pour ces raisons cliniques qui font que ces traumatisés ressemblent beaucoup aux toxicomanes, dans leur rapport au temps. (9)
Temps qui s’impose à eux comme une forme de supplice chinois !

Par ailleurs, j’ai reconnu une similitude et je l’avais déjà exprimé à Budapest entre le vécu des internés des camps de concentration et celui des traumatisés d’aujourd’hui.

Je suis donc intervenu le 14 mai 2011 au Procès de l’Enfermement des Enfants et ai évoqué que compte-tenu du traumatisme subi, dans une indifférence quasi générale jusqu’à présent, le plus préoccupant sera l’absence de troubles psychopathologiques observés chez les enfants.

Quid de la transmission des parents retenus à leurs enfants enfermés avec eux des effets d’humiliation et de culpabilité, des troubles de la parentalité et de la conjugalité ?

J’ai suggéré que nous aurions à observer et traiter, chez nombre d’enfants, les effets de l’obsessionnalité, du conformisme et d’une capacité d’hyper-adaptation sociale avec une vision manichéenne du monde.

Les effets de la sidération linguistique liés au fait de ne pas comprendre la langue française quand on est confronté à la violence des autorités, réduit ces personnes à la situation que vivent dans le quotidien les sourds-muets.

Et je peux manquer de me projeter à l’époque du nazisme où dès 34 ceux-ci ont été stérilisés pour rendre le corps collectif plus sain.

N’oublions jamais que les sourds-muets ont été les premières victimes du projet médical totalitaire nazi !

Sachant, bien sûr, que comparaison ne vaut pas raison.

Mon questionnement renvoie encore au fait que dans un contexte social déterminé le médecin n’est pas libre ; en tout cas pas aussi libre qu’il le croit et ses décisions vont être surdéterminées par la commande sociale qu’il a intégrée implicitement …notamment sur les bancs de la faculté.

Il est donc, d’une certaine manière, « sous surveillance » et d’un point de vue anthropologique on peut se demander comment il se représente ces patients marginalisés tout comme on peut se demander comment les médecins allemands ayant adhéré au nazisme se représentaient les juifs avant de décider de leur mise à mort.

J’ai tranché il y a longtemps dans le sens où je suis convaincu que « ces collègues » se représentaient les juifs comme des lapins ou des cobayes.

En est-il autrement s’agissant de la manière dont les médecins d’aujourd’hui se représentent les marginalisés dont sont les ex-occupants des ZAPI accédant parfois péniblement à leur cabinet de médecine libérale ?

Georges Yoram Federmann
Strasbourg ,le 24 mai 2011.