samedi 9 janvier 2010, par Tariq Ramadan
On avait pu croire que le pire fut atteint avec l’offensive meurtrière et criminelle des forces israéliennes sur Gaza il y a un an. C’était sans compter sur la capacité créatrice du « pire encore » qu’allait nous offrir l’Etat égyptien et la délégation des « autorités religieuses » d’al-Azhar. Au nom de « la sécurité nationale », contre « le terrorisme », et, enfin, pour lutter contre « la corruption », la « contrebande » et « le trafic de drogue » des « indisciplinés » de Gaza, le gouvernement égyptien a décidé de construire un mur souterrain de plus de vingt mètres de profondeur afin d’empêcher que les « Gazaouis » continuent leurs actes « illégaux » de construction des « tunnels de la contrebande ». Le gouvernement égyptien n’a bien sûr aucune intention de cloîtrer les habitants dans leur enfer ; il s’agit, à l’évidence, d’une question de sécurité nationale ! Cela est tellement vrai que le comité des savants d’al-Azhar a cautionné ladite décision en affirmant qu’il était « islamiquement légitime » (« conforme à la sharî’a ») de protéger ses frontières (ceux ci répondaient à une fatwa de l’Union mondiale des savants musulmans qui disait exactement le contraire, à savoir que cette décision était « islamiquement inacceptable »).
Quelle honte ! Comment ose-t-on jouer avec la justice, instrumentaliser ainsi le pouvoir et la religion. Le peuple palestinien, et au premier rang duquel les habitants de Gaza, vivent un déni de dignité et de droit, ils n’ont plus accès à la nourriture, à l’eau et aux soins, et voilà que le gouvernement égyptien se fait l’allié de la pire politique israélienne : isoler, étrangler, affamer, étouffer les civils palestiniens après les avoir décimés par centaines. Il est question de faire plier la résistance et d’acculer les leaders. Le gouvernement égyptien a bloqué les différents convois qui cherchaient à secourir le peuple palestinien avec l’espoir de lever le blocus sur Gaza. La mobilisation qui a permis à des centaines de femmes et d’hommes du monde entier de se réunir à Rafa a essuyé refus sur refus de la part du pouvoir du Caire, le tout agrémenté de quelques humiliations ciblées.
Quelle honte vraiment ! Le gouvernement israélien peut sourire. Au même moment, on nous annonce un lancement nouveau et « prometteur » du « processus de paix » !! Toutes les parties y trouveraient leur compte, nous dit-on, et les Etats-Unis, soutenus par l’Arabie Saoudite et … l’Egypte, ont grandement participé à l’élaboration de ce « programme complet ». Beau « processus de paix » au nom duquel il aura fallu soumettre des civils à des mois de boycott avant d’inviter leurs leaders à des tables de négociations « très libres » et « très respectueuses ». Le gouvernement israélien peut sourire, à l’évidence : il gagne encore du temps et ne perd sur aucun dossier. Sa politique de peuplement sera temporairement gelée…sauf les constructions déjà engagées. Belle négociation en vérité !
Il faut le dire et le répéter : le « mur-égyptien-de-sécurité-nationale » est une honte. Les autorités religieuses qui l’ont, de surcroît, légitimé ont agi comme ces fameux « ulamâ » (savants musulmans) ou « conseils islamiques » soumis qui aux pouvoirs, qui aux dictatures, qui aux forces coloniales ou qui encore aux quelconques Républiques peu cohérentes et manipulatrices des religieux. Que peut-il rester de leur crédibilité avec l’émission d’une telle « fatwa politique » qui ajoute à la dictature du pouvoir la caution islamique de la lâcheté des savants (ulamâ) ? Le silence eut été préférable.
Il faut dénoncer l’inacceptable et demeurer aux côtés de celles et de ceux qui résistent dans la dignité. S’il est une chose que les gouvernements israéliens successifs savent, et avec laquelle nous sommes d’accord, c’est que le peuple palestinien ne cédera pas. Et pour ceux qui auraient quelques doutes, ajoutons à cette certitude, une seconde vérité du temps : l’Histoire est du côté des Palestiniens et ce sont eux qui représentent pour aujourd’hui et pour demain l’espoir des valeurs humaines les plus nobles. Résister à l’oppresseur, défendre ses droits légitimes et sa terre, et ne jamais céder à l’arrogance et aux mensonges des puissants. Quant aux pouvoirs israéliens, égyptiens ou autres, ou encore les fatâwâ (plur. de fatwa) des ulamâ appointés, ils passeront, ils passeront très certainement et seront heureusement oubliés. Heureusement. Le devoir de mémoire se meut en invitation à l’oubli quand il s’agit des noms et des agissements des dictateurs, des traitres et des lâches.
C’est bien que des musulmans relèvent l’incurie de leurs propres coreligionnaires.