Le CRIF est mort, et il ne le sait pas…
Schlomo ben Jacov

Roger Cuckierman

Crif et Chuchotemants

Le retour du dérapant Roger à la tête du Conseil représentatif des institutions juives de France fait jaser.

DEPUIS plusieurs mois, d’éminentes personnali­tés de la communauté juive de France appelaient à une rénovation du Crif. En privé, elles s’en prenaient, sou­vent avec vigueur, à une insti­tution « ne représentant plus qu’elle-même et à bout de souffle ». C’est sans doute pour cette raison que Roger Cuckierman en est redevenu le président, le 26 mai. Quasi oc­togénaire, déjà président de l’institution pendant six ans, de 2001 à 2007, décrédibilisé par ses nombreuses déclara­tions à l’emporte-pièce et sa ca­pacité, tout à fait inédite, à se mettre les politiques à dos, il était en effet le candidat idéal.

La campagne a été courte, et aucun débat n’a été orga­nisé, car M. Cuckierman ne le souhaitait pas.

Le choix du conservatisme

Le président sortant, Richard Prasquier, n’y a rien trouvé à redire. Au Crif, tout le monde se connaît et cha­cun déteste les éclats de voix.
L’important, c’est de se mettre d’accord. Cuckierman avait pro­mis à Prasquier qu’il ne criti­querait pas son bilan, ses at­taques violentes contre Stéphane Hessel, ses diatribes contre le journaliste Charles Enderlin, accusé d’avoir monté de toutes pièces l’affaire du petit Mohammed al-Durah.

Parfait petit arrangement entre amis et transition sans bruit.

« Chez nous, désormais, on débat moins qu’au Medef ou qu’à l’UOIF », ironise un membre du bureau. Au Crif et dans les associations qui le
composent, c’est bien simple, on ne parle plus de rien. Les dirigeants de l’UEJF (Union des étudiants juifs de France) ont voté pour Cuckierman, sans que leur base ait jamais été ap­pelée à en discuter … La dé­mocratie, c’est si compliqué.

En mars, pourtant, un texte circulait, qui se promettait de bouger les lignes, de mettre les pieds dans le plat. Tout plutôt que ce silence pesant, cette chape de plomb. Que devait être le Crif, quelle devait être sa mission? Quel discours tenir sur le développement de l’islam radical, après l’affaire Merah ? Est-il possible, comme le souhaite l’avocat de gauche Michel Zaoui, ancien membre du bureau, de se montrer cri­tique à l’égard d’Israël sans être accusé de traîtrise?

L’« appel pour une refondation du Crif» avait été signé par des personnalités importantes, comme David de Rothschild, président de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, l’es­sayiste Alain Finkielkraut, Sid­ney Toledano, pédégé de Dior, Nicole Guedj ou Pierre Bes­nainou, président du FSJU (Fonds spécial juif unifié). Il y était question de « force de pro­position dans le débat natio­nal ». Les signataires suggé­raient aussi de« se situer dansl’anticipation et la réflexion », mais également de« s’entourer d’un comité de sages pour nour­rir la réflexion et inspirer son action ».

Il n’en sera rien … « Tétanisé par l’affaire Bernheim, l’esta­blishment askhénaze, qui tient les rênes du Cri!, a fait le choix du conservatisme », analyse un excellent connaisseur de l’ins­titution. Ce fut donc « Roger “, Roger est un ancien banquier, ex-président du directoire de la Compagnie financière Ed­mond de Rothschild, entre autres. Rassurant, certes, mais à condition que Roger fasse preuve d’un tantinet de rete­nue dans les dîners. Car, quand Roger se lâche, il dérape facilement. Au dîner annuel du Crif, en 2005, Roger n’y était pas allé avec le dos de la cuillère, interpellant Jean­ -Pierre Raffarin sur la politique étrangère de la France, « in­compatible avec une politique de lutte contre l’antisémi­tisme ».

Fait unique, les nombreux ministres présents étaient res­tés les bras croisés, sans ap­plaudir, quand Cuckierman avait regagné sa table. Fillon, alors ministre de l’Education, n’avait pas caché son agace­ment: « Notre politique étrangère ne peut pas se réduire à la seule question des relations avec Israël” Et Chrirac avait alors fait savoir que ce discours était “contraire à la courtoisie républicaine” . Alain Finkielkraut, estomaqué, avait quant à lui, jugé le dîner “légérement grotesque”. Cukierman avait, en effet, seulement oublié que Chirac avait le premier dénoncé la responsabilité de l”Etat dans la déportation des Juifs français.

Deux ans auparavant, le même Roger avait fustigé une « alliance brun-vert-rouge », qui « donne le frisson », provoquant la fureur des écologistes, de la LCR et de José Bové, explici­tement visés. Mais il serait in­ juste d’oublier la déclaration la plus ciselée du nouveau pré­sident du Crif, prononcée en avril 2002, après l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle. Roger, très en forme, avait dit espé­rer que la victoire du leader du FN au second tour « servirait à réduire l’antisémitisme musulman et le comportement anti-israélien parce que son score est un message aux mu­sulmans leur indiquant de se tenir tranquilles ». Un séna­teur socialiste membre du co­mité directeur du Crif, Michel Dreyfus-Schmidt, l’avait trouvé “indigne de représenter la communauté juive de France”

Consternation de l’Elysée

Im­pavide, Cukierman avait conservé ses fonctions. Après sa réélection, l’Elysée a fait connaître sans la formuler of­ficiellement sa consternation.
Sentant le malaise ambiant, Cuckierman a fait une conces­sion de taille : il ne fera qu’un seul mandat.

Merci, Roger.

Anne-Sophie Mercier