21368_213629965455993_930510523_n

Mohammed Belaidi le premier sur la droite avec les membres de l’équipage du Potez 540 N avec lequel il trouva la mort

 

Etranges étrangers, qui moururent pour la République Espagnole, oubliés par l’Espagne et le Monde ; Ils s’appelaient Saïd, Safi et Mohamed… ils ne monnayaient pas leur courage. Nous leur devons honneur, ils ontété, comme beaucoup d’autres combattants de la liberté, simplement oubliés. A nous de les honorer.

Dans son livre « Islam y guerra civilespañola : moros con Franco y con la Republica« (Madrid, 2004)., l’historien espagnol Francisco Sánchez Ruano (1) nous apprend, à travers une recherche minutieuse et un luxe de détails, que le mythe qui place les «moros»(les Arabes) du côté de Franco seulement, doit être nuancé, car plus de 1000 volontaires des Brigades internationales du camp républicain provenaient depays arabes.

Le plus fort contingent de ces combattants arabes venus défendre la République espagnole était constitué de 500 Algériens.

 

Le contexte de l’époque

Avant de traiter plus précisément l’apport de ces derniers, il convient de reprendre brièvement le contexte de l’époque. Le mois d’avril 1931 voit l’avènement de la 2e République espagnole (la 1re République eut une existence éphémère, à la fin du 19e siècle), laquelle connaît une période marquée par un gouvernement de droite, à partir de 1933. Cependant, les élections de 1936 donnent la victoire à la gauche, unie dans le Front populaire (Frente Popular). Au niveau international, Hitler et Mussolini sont au pouvoir,et Staline est à la tête de l’Union soviétique de l’époque. L’armée espagnole est formée de troupes stationnées en Espagne même, mais aussi au nord du Maroc, placé sous protectorat espagnol. A l’annonce de la victoire des forces de gauche, la Phalange espagnole (organisation de type fasciste, calquée sur les Chemises noires de Mussolini) regroupe les opposants au nouveau gouvernement républicain et déclenche le soulèvement des troupes espagnoles du Maroc, sous le commandement de Franco.

 

La guerre civile en Espagne (1936-1939) et les Brigades internationales

Le débarquement des troupes rebelles sur le sol ibérique signifie le début de la guerre civile espagnole qui durera jusqu’en 1939, se terminera par la victoire militaire de Franco, mais fera des dizaines de milliers de victimes. Les deux forces en présence, le camp républicain et le camp franquiste reflètent deux conceptions du monde irréconciliables. Le premier représente les aspirations portées par les organisations syndicales et ouvrières, les socialistes, les communistes, les anarchistes… Le deuxième défend les intérêts des grosses puissances et les valeurs fascistes… De fait, l’Allemagne nazie appuiera les troupes de Franco, tandis que les républicains seront soutenus par l’Union soviétique. Pour leur part, Londres et Paris suivront une politique de non-intervention dans le conflit espagnol. Le mouvement de sympathie qu’avait engendré le régime républicain espagnol dans le monde se concrétisera par la constitution des Brigades internationales qui,comme leur nom l’indique, mobilisèrent quelque 12 000 volontaires venus de plusieurs parties du monde soutenir les troupes régulières, fidèles à la 2e République. Selon Francisco Sánchez Ruano, on dénombrait jusqu’à 53 pays d’origine des miliciens qui combattaient au sein des Brigades internationales. Cités par ordre d’importance numérique, pour les chiffres inférieurs à 1000 volontaires l’Algérie se situe à la 13e place sur 41 pays.

1010321_213632615455728_996411428_n

Front du Jarama . Membres du Batallon 6 Février (XV B.I a ce moment là) ou étaient enrôlés bon nombre d’algériens et de marocains , qui formaient avec d’autres volontaires arabes les brigades XIII y XIV B.I

 

Les Algériens dans le camp républicain

Les 500 volontaires algériens provenaient d’Algérie, encoresous colonisation française, mais aussi de la communauté algérienne émigrée en France, notamment à partir de Paris, Lyon, Toulouse, Marseille, Bordeaux… La grande majorité des Algériens enrôlés dans les Brigades internationales étaientdes militants syndicaux, des socialistes, des communistes, des anarchistes, quise sont retrouvés aux côtés des Anglais, des Espagnols, des Yougoslaves, des Américains, des Marocains, des Français, des Russes, des Polonais, etc. de mêmes tendances idéologiques. En face, Franco disposait des troupes rebelles constituées de soldats espagnols et de soldats de carrière marocains engagés,les «moros», dont le nombre augmentera au fur et à mesure du déroulement de la guerre, suite à leur enrôlement, parfois de force, entrepris par le bord franquiste au Maroc. Le terme de «moro» restera ainsi lié jusqu’à l’heure actuelle, dans l’inconscient collectif espagnol, à ces soldats marocains de l’armée franquiste, tout en désignant l’Arabe en général et notamment le Maghrébin, pour l’Espagnol moyen

D’autre part, le terme prend ses racines plus loin dansl’Histoire puisqu’il désigne à l’origine les musulmans (Maures) chassés par la reconquête espagnole au 15e siècle… Dans le cas concret de la guerre civile de1936-1939, ceci a abouti à une vision réductrice de l’Histoire, construite surle mythe du «moro» aux côtés de Franco, un «moro» coupable de tous typesd’atrocités : pillage, viols, assassinats… Sànchez Ruano tente donc, à bonescient, de démanteler ce mythe et détruire les stéréotypes montés autour, en dévoilant «l’autre face» du «moro» dans la guerre civile espagnole, avec les preuves qu’il apporte sur la participation des Arabes à la défense de la 2e République espagnole, à travers leur engagement dans les Brigades internationales.

 

Oussidhoum, Belaïdi,Balek, figures algériennes des Brigades internationales

Pour illustrer son propos, le premier exemple qu’il donneest celui de Mohamed Belaïdi, un mécanicien algérien qui tenait le poste demitrailleur dans les bombardiers de l’escadrille d’avions que dirigeait André Malraux, l’écrivain et homme politique français, au sein des forces républicaines. M. Belaïdi perdit la vie l’hiver 1937, dans le ciel de Teruel (nord del’Espagne), quand son avion fut abattu par 7 avions de chasse allemands. Dans le film réalisé par A. Malraux sur la guerre d’Espagne, projeté à Paris pour la première fois en 1937, on peut voir le cercueil du milicien algérien recouvertd’un drapeau frappé du croissant musulman. Une mitrailleuse apparaît aussi posée sur le cercueil. Selon Sánchez Ruano, ce fut là l’unique film produit parle camp républicain où apparaît un volontaire arabe ou berbère musulman, membre des Brigades internationales. S’il y a peu d’Espagnols et d’Algériens qui savent que 500 Algériens ont servi dans ces brigades, beaucoup s’interrogeront sur leur présence dans la guerre civile espagnole.

Quand on le lui a demandé, Belaïdi répondit : «Quand j’ai suque des Arabes combattaient pour Franco, j’ai dit à ma section socialiste qu’ondevait faire quelque chose, sinon que diraient les camarades ouvriers des Arabes…?» D’autres cas peuvent être rapportés, comme celui de Rabah Oussidhoum, lequel s’est distingué par sa bravoure dans de nombreuses batailles, notammentla bataille de Lopera (région de Cordoue), et surtout celle de Segovia (régionde Madrid) où il commandait le 12e bataillon, nommé «Ralph Fox» en l’honneur de l’écrivain anglais mort à Lopera. Comme Belaïdi, on interrogeait aussi Oussidhoum sur sa présence dans les Brigades internationales et il répondait :«Parce que tous les journaux parlent des «moros» qui luttent avec les rebelles (de Franco). Je suis venu démontrer que tous les Arabes ne sont pas fascistes.» Oussidhoum tomba au champ d’honneur en mars 1938 dans son ultime bataille, à Miraflores (région de Saragosse).

“Le peuple de mon pays est autant opprimé que l’est aujourd’hui le peuple espagnol par le grand Colonisateur qui le détruit et le ruine. Je  donnerais jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour que les algériens, les tunisiens et les marocains puissent un jour arrivera secouer ce joug et retrouver leur liberté”L.Balek, brigadiste algérien 

Pour ses chefs et ses compagnons, il laissera l’image d’un véritable héros dans les batailles où il s’est engagé, en Andalousie, dans la région d’Aragon et dans la région de Madrid. Citons encore le cas d’autres Algériens comme Mechenet Essaïd Ben Amar ou Améziane Ben Améziane, deux militants anarchistes dont le deuxième, mécanicien de profession, combattait sous les ordres de Durruti (leader anarchiste espagnol de l’époque). Dans un«Appel aux travailleurs algériens», Améziane écrit : «Nous sommes 12 de la CGTdans le groupe international… face à la canaille fasciste. Miliciens si, soldats jamais ! Durruti n’est ni général ni caïd mais un milicien digne denotre amitié.» Ces quelques exemples montrent que la majorité des volontairesalgériens provenaient des organisations syndicales, des partis socialistes oucommunistes ou du mouvement anarchiste, mais on connaît d’autres cas demilitants du Parti du Peuple Algérien (PPA) engagés aux côtés des républicains,comme ceux de Aïci Mohand ou S. Zenad, que cite Sánchez Ruano, en précisant queleur décision fut individuelle. En effet, les dirigeants nationalistesalgériens montraient leur appui au Front populaire espagnol surtout en matièrede propagande antifranquiste sans être pour autant partisans décidés de l’envoide volontaires au front.

1044275_213641542121502_48952593_n

Volontaires brigadistes iraquiens Nuri AnwarRufail(gauche) y Setti Abraham Horresh (dte). Retrouvés grâce recherches de S. Bofarulldans les archives moscovites du Komintern.

Mais le président de la République espagnole, Manuel Azaña,enverra une lettre de remerciements à Messali Hadj pour une contribution matérielle reçue du PPA. Les Algériens enrôlés dans les rangs des Brigades internationales montraient, à travers leur position internationaliste, une détermination aiguisée par la conviction politique que la victoire du camp républicain impulserait l’émancipation des peuples maghrébins et du peuple algérien en particulier, comme l’exprimait clairement un autre Algérien, L.Balek, commandant d’une compagnie républicaine, qui disait dans un meeting :«Le peuple de mon pays est aussi opprimé que l’est aujourd’hui le peuple espagnol par le Grand Colon qui le ruine. Je donnerai jusqu’à l’ultime goutte de mon sang pour que les Algériens, les Tunisiens et les Marocains puissent arriver un jour à secouer leur joug et recouvrer la liberté.» L’erreur de la majorité des dirigeants républicains fut de sous-estimer cette soif d’émancipation des volontaires arabes venus combattre à leurs côtés.

Sánchez Ruano revient sur cette idée en avançant que les volontaires musulmans des Brigades internationales furent des «soldats de l’ombre» occultés par le nombre de «moros» de Franco, accusés (dans beaucoup decas à tort) d’exactions de toute sorte. Selon lui, beaucoup d’hommes politiques républicains, de partis et d’organisations républicaines sont tombés dans l’erreur de mettre sur le même plan les arabes combattant dans les files franquistes et ceux des Brigades internationales, sans penser que ces derniersétaient là pour des libertés qu’on leur refusait dans leur pays : Maroc, Algérie Tunisie, Syrie…

Quoi qu’il en fût, comme tous les volontaires des Brigades internationales, ces Arabes et musulmans, parmi eux les 500 Algériens, signèrent une déclaration avant de monter au front, qui se terminait ainsi :«Je suis ici parce que je suis volontaire et je donnerai, s’il le faut, jusqu’àla dernière goutte de mon sang pour sauver la liberté de l’Espagne et la liberté du monde entier.» Des hommes comme Rabah Oussidhoum et Mohamed Belaïdi n’ont pas failli à cet engagement, au prix de leur vie.

Par M’hamed Elmansouri

69205_213643542121302_1041110201_a

(1) SANCHEZ RUANO, Francisco

Né à Valence le 19 octobre 1937 – Étudiant ; professeur etjournaliste – Madrid (Nouvelle Castille)

En prison préventive depuis le 29 août 1962, l’étudiant ensciences politiques Francisco Sánchez Ruano avait été traduit devant le conseilde guerre summarissime qui s’était ouvert à Madrid le 20 octobre 1962, contre onze jeunes antifranquistes accusés d’être sympathisants ou membres des Jeunesses libertaires (FIJL) – ce que la plupart n’étaient pas – et d’être les auteurs ou les complices des attentats à la bombe commis entre le 5 juin et lafin août 1962 à Madrid, Barcelone, Valence et San Sebastian.

Le 12 août 1962, jour d’un attentat contre la basilique Santa Cruz, Francisco Sánchez Ruano avait été vu avec un groupe de touristes àla Valle de los Caidos. Bien qu’il n’ait rien à voir avec cet attentat et qu’il était précisé dans le réquisitoire que “il n’était pas possible de prouver qu’il avait eu une participation directe, matérielle ou morale, avec cet évènement”, il fut condamné à 28 ans de prison.

Les autres accusés traduits devant ce conseil de guerre étaient : Nicolas León Estella, Ricardo Metola Amat, Helios Sala Martin, José Martínez Rodríguez,Rafael Asenjo Barranco, Antonio Astigarraga De La Puerta, Lucio de La Nava Hernández, Eugenio Cordero Regis, Francisca Román Aguilera et Alejandro Mateo Calvo.

Francisco Sánchez Ruano, après avoir été interné à Burgos,Carabanchel, Soria, Jaén et Palencia fut remis en liberté conditionnelle le 29 avril 1973 après avoir passé dix ans et demi derrière les barreaux.

En 1986, devenu professeur et journaliste, intellectuelengagé mais critique des anarchistes , Francisco Sánchez Ruano présenta devantla Commission Européenne des Droits de l’homme, une requête contre l’Etat espagnol pour la condamnation de 1962 prononcée par un conseil de guerre illégalement constitué et dont, selon la législation franquiste elle-même, les sentences étaient nulles et non avenues.

Los dela sierra – mardi 26 février 2013 par  R.D.

 

Œuvre : – Islam y guerra civil española : moroscon Franco y con la Republica. Prólogo de Abdelmajid Benjelloun (Madrid,Esfera de los Libros, 2004). Hélas pas encore traduit en français à ma connaissance .. Un volontaire?

En cours d’édition :une biographie de Ali Bey, qui sera publié prochainement a à Rabat et

” Un peuple dansdeux villes. Hornachos et Rabat” sur les corsaires mauresques qui fondèrent Rabat au XVIIe siècle.