L’encre du Journal officiel était à peine sèche que se négociaient déjà, dans des entreprises, des accords déclinant la loi sur la sécurisation de l’emploi, promulguée le 14 juin 2013.

Ce texte, qui transpose l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, signé par le patronat et la CFDT, la CFTC et la CGC, réforme en profondeur certains aspects du droit social.

Il prévoit une nouvelle procédure pour “sécuriser” les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE, plans sociaux), nécessitant désormais un accord et/ou une homologation de l’administration. Le texte prévoit aussi un dispositif de “maintien de l’emploi”, permettant, par le biais d’un accord majoritaire limité à deux ans, de sauvegarder des emplois en échange de concessions de la part des salariés.

UN ENJEU POLITIQUE FORT

Pour François Hollande, la mise en pratique de cette loi est un enjeu politique fort. Avant sa promulgation, le projet de loi a été très critiqué, durant près de six mois par le Front de gauche et par les syndicats non signataires de l’ANI, FO et la CGT. Il manifeste la volonté du président de parier sur le dialogue social, pour trouver de nouvelles pistes en faveur de l’emploi, quitte à demander des sacrifices aux salariés.

Précédemment, sous la présidence Sarkozy, des accords patronat-syndicats, baptisés “compétitivité emploi”, ont été signés (Plastic Omnium, Renault, Sevelnord, Continental, etc.). Mais ils ont été négociés sans cadre juridique particulier. Nicolas Sarkozy voulait les encadrer et les développer. Mais la négociation interprofessionnelle lancée début 2012 n’a pas abouti à un accord global.

La loi du 14 juin 2013 est, elle, en train d’être étudiée sur le terrain. Des négociations sont en cours chez Sanofi, Ricoh ou encore Canon, pour mettre au point un plan social nouvelle formule.

Les débats sont parfois agités. Comme chez Natixis (Natixis SA et ses filiales), la banque d’investissement du groupe Banque populaire-Caisse d’épargne. Un projet d’accord sera soumis à la signature des syndicats en septembre, axé sur la gestion des carrières, en particulier sur la mobilité interne volontaire.

La direction voulait inclure les mobilités internes collectives imposées. “Si des métiers disparaissaient en nombre dans une entité, il était prévu de gérer le problème par la mobilité interne pour éviter un PSE”, indique une source proche de Natixis. Sauf que, en cas d’échec des reclassements, des licenciements individuels pour motif économique intervenaient.

Face au tollé syndical, la direction a renvoyé ce sujet à une négociation ultérieure.“Nous sommes conscients que les métiers évoluent, mais nous n’avons aucune raison de signer pour un dégraissage, note Francis Vergnaud, délégué syndical central SNB-CGC, premier syndicat de la banque. D’autant qu’on vient de verser2 milliards d’euros de dividendes aux actionnaires.”

A notre connaissance, seuls deux accords ont d’ores et déjà été signés chez des sous-traitants automobiles : Walor, le 19 juillet, et Behr, le 26 juillet. Tous deux portent sur le volet “maintien de l’emploi” et prévoient que les salariés qui refusent leur application s’exposent à un licenciement individuel économique.

Entreprise de 102 salariés implantée à Legé (Loire-Atlantique), Walor avait présenté en février 2013 un plan social visant à supprimer 26 emplois – le troisième en 6 ans –, découlant de la délocalisation de productions en Roumanie. Pour éviter cette nouvelle saignée, la CFDT, seul syndicat représenté dans l’entreprise, a demandé une négociation. L’accord trouvé garantit le maintien de l’emploi sur deux ans grâce à de nouveaux projets.

RENONCEMENT À CERTAINS ACQUIS

En contrepartie, le calcul des primes est revu et l’organisation du travail revue sur la base de cycles, dont certains impliquent de travailler un week-end sur quatre, avec une ou deux nuits incluses. “Le travail du week-end peut poser problème, notamment dans les familles monoparentales, admet Luc Chéreau, secrétaire général de l’Union Mines Métaux CFDT des Pays de la Loire. Mais nous avons réussi à échapper au PSE.” Reste à savoir combien de salariés refuseront l’application de l’accord, et seront licenciés.

Même question chez Behr France, à Rouffach (Haut-Rhin). Le 30 août, les 1 200 salariés de cette filiale de l’équipementier allemand Mahle-Behr recevront une proposition d’avenant à leur contrat de travail pour l’application de l’accord. Ce dernier, qui s’applique jusqu’en 2015, prévoit le renoncement à 5 jours de réduction du temps de travail (sur 15), ainsi que le gel des salaires en échange de la garantie de l’emploi. Curiosité : les syndicats réformistes, CFDT, CFTC et UNSA, avaient, dans un premier temps rejeté ces dispositions, alors que la CGC et la CGT – cette dernière n’étant pas signataire de l’ANI – y était favorable.

Quant aux instances locales de la CGT, leur avis était, selon Youssef Zehri, délégué syndical CGT de Behr France, “mitigé”. Mais, lors d’un référendum, 66 % des salariés avaient voté pour l’accord. “Ce que veulent les salariés, c’est garderleur emploi, quitte à perdre quelques acquis, assure M. Zehri. Et nous, on suit ce qu’ils veulent.”

Finalement, moyennant des dispositions supplémentaires, tous les syndicats ont signé. Dans le quotidien Les Echos du 31 juillet, Henry Baumert, le PDG de Behr France, se réjouit de cet accord qui va permettre selon lui “de rattraper une compétitivité perdue par rapport à l’Allemagne”“On pense avoir fait notre job au mieux”, estime pour sa part M. Zehri.

http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/08/07/flexisecurite-premiers-accords-dans-les-entreprises_3458412_3234.html