Tout sauf les Roms : de l’assisté, le SDF est devenu le bon compatriote qu’il faut défendre. C’est ce qu’entend très souvent un militant lillois pour le droit des Roms.
Ah, le bon vieux SDF bien de chez nous… Avec la crise, il parvient presque à revêtir un aspect folklorique et pittoresque ! Sa petite barbe jaunie par la clope, sa bouteille de Villageoise, ses blagues graveleuses ou sa démence rigolote. Finalement, ça fait parti du patrimoine, c’est bien de chez nous, ça respire le bon Français !
Depuis un an que je milite pour le droit des Roms dans la Métropole Lilloise, je n’ai jamais autant entendu cette phrase : « Mais pourquoi vous ne vous occupez pas de NOS SDF français ? »
Cette phrase, je ne l’entends plus seulement de la bouche de militants d’extrême droite, mais aussi de personnes précaires, de travailleurs sociaux ou d’étudiants de tout poil.
Il me paraît urgent, dans ce climat, d’apporter une réponse à cet argument massue qui donne lieu à des situations comme celle de Saint-Maur (Val-de-Marne) où le maire UMPa expulsé des Roms pour y mettre des SDF « locaux ».
Comment clouer le bec à des militants qui défendent le droit à la dignité humaine et au logement digne pour tous, dont les Roms ? Agiter l’épouvantail du SDF français, bien sûr.
Ça tombe sous le sens : il faut aider nos compatriotes en souffrance en priorité. Le SDF devient un prétexte bien utile pour ne pas s’intéresser aux Roms qui sont des citoyens européens en errance (subie), qui n’ont de droits nulle part, et valsent (sans mauvais jeu de mot) d’expulsions en expulsions.
Finalement, à entendre ces bons patriotes, qui au passage ne font rien pour défendre « nos SDF français », il faudrait les laisser ces derniers dans la rue. Cela ferait un rempart tout trouvé à l’immigration. Après tout, tant que le bruit et l’odeur restent bien français, c’est moins dérangeant.
Ce qui est intéressant à observer dans cet argumentaire d’un genre nouveau, c’est le glissement sémantique qui s’opère pour qualifier le SDF. De l’assisté, bon à rien, déchet de la société, alcoolique, on va vers le compatriote qu’il faut défendre.
Du parasite de la société, il devient le frère français, le camarade dont il faut s’occuper. Surprenant quand on connait les idéologies véhiculées jusqu’ici à propos des sans-abris et marginaux. Là encore, si le bon SDF français peut être un rempart aux Roms et autres, il mérite bien qu’on lui donne son RSA.
Bien sûr il faut aider et se préoccuper des SDF. Bien sûr des militants se battent depuis des années contre le mal-logement, contre la misère, pour la réquisition des logements, pour une augmentation des moyens à long terme et non pour l’urgence des situations. Les SDF sont bien souvent isolés, en rupture, n’ont plus recours à leur droit, sont isolés et nécessitent une prise en charge spécifique.
Or avec les Roms, la situation n’est pas comparable. Premièrement, nous sommes face à des situations familiales. Ensuite, il est question de citoyens européens victimes de discriminations à l’école, au travail et au logement partout en Europe.
Enfin, contrairement aux idées reçues, ils n’ont droit à aucunes allocations car ils ne sont pas domiciliés de manière légale. Leur seul droit et l’accès gratuit aux soins. Dénoncer la solidarité envers les Roms, c’est légitimer une forme de solidarité pour en rejeter une autre. C’est tendre la main à un de ses frères et pour mieux tendre le doigt à l’autre.
Combien d’e-mails avons-nous reçus, combien de personnes nous ont craché à la gueule, combien d’individus nous ont demandé de les accueillir dans notre jardin, d’aller vivre avec eux en Roumanie, combien nous accusent de faire de la discrimination contre les Français ?
Le plus inquiétant, c’est que ce genre de discours n’est plus propre au FN. C’est un discours que l’on entend quotidiennement à la fac, au travail, de la part de personnes de tous les milieux sociaux et de tous les horizons politiques y compris bien à gauche. Ce discours reflète la cristallisation des peurs autour d’une minorité victime d’une instrumentalisation de nombreuses idées reçues.
Idées largement relayées par les journaux locaux et un certain nombre de médias nationaux.
Prenons l’exemple de Lille. Fin octobre, un camp illégal d’une centaine de personnes a été évacué à Villeneuve-d’Ascq (Nord). Contrairement à la circulaire qui prévoit des solutions pour chaque expulsion, aucune mesure n’a été prise, et les 100 personnes se sont retrouvées en errance, leurs caravanes saisies.
Avec l’aide de militants et d’associatifs, ils ont trouvé refuge à la Bourse du Travail à Lille, dans des locaux syndicaux parfaitement inadaptés. Depuis aucune solution n’a été proposée.
Les délégations reçues en préfecture et en mairie se font balader. On entend même de la bouche d’un élu socialiste local que « le seul ennemi c’est Manuel Valls ».
En clair, sur un territoire où l’Etat, le conseil régional, le conseil général, l’agglomération et la municipalité sont tenus par le PS, aucune solution n’est proposée. Pire, les acteurs se renvoient la responsabilité du fléau humanitaire et sanitaire.
Les pouvoirs publics jouent la montre, et attendent sans doute que les syndicats expulsent d’eux-mêmes les Roms. Les politiciens locaux sont paralysés à l’idée de donner une solution à l’approche des élections, redoutant de faire passer des Roms pour des privilégiés. En attendant, les privilégiés sont entassés dans une salle polyvalente, avec deux lavabos pour près de 100 personnes, et vivotent avec l’aide de militants associatifs et syndicaux admirables d’humanité et de courage.
Ce que je réponds aujourd’hui aux défenseurs du SDF « Made In France », c’est que laisser tomber la cause des Roms, c’est détruire la digue déjà bien fragile de la solidarité. Quand il n’y aura plus de Roms, je n’aiderai pas non plus le SDF car c’est un assisté. Si il n’y a plus de SDF, je n’aiderais pas le chômeur parce qu’il n’a qu’à bosser, etc…
Il n’y a pas de combat prioritaire, les droits de tous les précaires doivent être défendus. Et si certains d’entre-nous choisissent aujourd’hui de s’investir dans cette cause, c’est qu’elle est le symbole d’une solidarité à défendre, une solidarité entière et totale, qui n’est pas sélective, qui ne répond pas à des critères. Si on perd ce combat, nous perdrons ceux pour tous les autres précaires.
A force de division, de haine, de jalousie et de solidarité sélective, nous perdons de notre efficacité collective et notre humanité de surcroit.
Pour finir, je tiens à raconter cette anecdote vécue à Hellemmes, à côté de Lille. Lors d’un tractage au métro, un « SDF local » a signé notre pétition et m’a dit ceci :
« Jamais j’aurais un mot de travers pour les Roms. Les insulter, ça serait m’insulter moi-même, ma situation. J’ai déjà partagé des repas avec eux. Entre galériens, on se comprend. »
http://www.rue89.com/2013/11/12/pourquoi-occupez-sdf-francais-247447
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