Alain Gresh sur RFI: «La France se refuse à faire pression sur le gouvernement israélien»
François Hollande à Ramallah, en compagnie de Mahmoud Abbas, sur la tombe de Yasser Arafat ce lundi 18 novembre.
REUTERS/Alain Jocard/Pool
Par Alexandra Cagnard
Après Israël, François Hollande est ce lundi dans les Territoires Palestiniens. Le président français a déposé une gerbe au mausolée de Yasser Arafat avant de s’entretenir à la Mouqata avec le président palestinien Mahmoud Abbas. Lors d’une conférence de presse commune, François Hollande a réclamé l’arrêt «total et définitif» de la colonisation par Israël dans les Territoires occupés. Pour Alain Gresh, animateur du blog «Nouvelles d’Orient», réclamer l’arrêt de la colonisation ne suffit pas.
RFI : Quelles sont aujourd’hui les relations entre la France et la Palestine ?
Alain Gresh : Formellement, elles sont très bonnes. En tous les cas, les relations officielles entre l’Etat français et l’Autorité palestinienne sont bonnes. Il y a une aide économique importante qui est apportée par la France à l’Autorité palestinienne. En même temps, il faut dire que la France ne joue pas un grand rôle, c’est le moins que l’on puisse dire, entre les négociations des paix et dans l’avancement du processus de paix.
Vous dites officiellement, que doit-on comprendre ?
Officieusement, je dirais la politique d’équilibre que mène François Hollande. C’est-à-dire, en disant je suis à la fois l’ami d’Israël et l’ami des Palestiniens, cache complètement la situation réelle qui est le fait qu’on n’est pas face à deux partenaires égaux qui sont en train de négocier de bonne foi, mais on est face à une puissance occupante, qui poursuit inlassablement la colonisation, et un peuple qui vit sous occupation.
Et c’est cette réalité d’une certaine manière, que le gouvernement français ne veut pas voir. Bien sûr, il condamne régulièrement la colonisation, mais sans jamais que cette condamnation ne débouche sur la moindre action concrète. Et on a vu d’ailleurs le niveau de réception de monsieur Netanyahu à monsieur Hollande.
Il sait très bien que cette condamnation complètement verbale n’a aucun poids et que l’important c’est les relations bilatérales sans précédent. On peut dire qu’entre la France et Israël, on est revenu en 1956. C’est à dire quand la France et Israël travaillaient de concert pour envahir l’Egypte, après la nationalisation de la compagnie du canal de Suez.
François Hollande a quand même changé de ton avec Mahmoud Abbas. Il a réclamé l’arrêt immédiat et définitif de la colonisation. Et vous, vous continuez d’avoir le sentiment qu’il souffle le chaud et le froid ?
Les positions formelles de la France ne sont pas mauvaises. La France est pour deux Etats. Elle est pour que Jérusalem soit la capitale unifiée des deux Etats, elle est, elle a toujours été, contre la colonisation.
Le problème c’est « qu’est qu’on fait ? » Ça fait dix ans que les condamnations de cette politique de colonisation se poursuivent. En même temps, on fait pression sur les Palestiniens pour qu’ils poursuivent les négociations malgré la colonisation. Et surtout il n’y a pas d’action concrète contre cette colonisation. Comment convaincre le gouvernement israélien d’arrêter la colonisation s’il n’y a pas un minimum de pression économique, de sanctions contre ce qui est une violation absolue de la légalité internationale ?
Ça veut dire que la France n’a pas les moyens de peser sur le processus de paix ?
Je pense que la France, contrairement à ce qu’on dit, a les moyens. Il faut rappeler qu’il fut un temps où la France et l’Europe, dans les années 70 et 80, jouaient un rôle très positif sur le conflit israélo-palestinien. C’est grâce à la France que l’OLP a été reconnu comme un interlocuteur par l’ensemble de la Communauté internationale, y compris par les Etats-Unis. C’est grâce à la France qu’a été reconnu le droit à l’autodétermination des Palestiniens.
Donc, elle pourrait jouer un rôle important. Mais maintenant, dans les faits, à part financer l’Autorité palestinienne, il n’y a plus aucun rôle politique joué par la France. Parce que, d’une certaine manière, on se refuse à une pression sur le gouvernement israélien. Le discours qui a commencé d’ailleurs, avec la présidence de Nicolas Sarkozy c’est de dire : nous allons améliorer nos relations avec Israël de manière à pouvoir jouer un rôle plus positif. Or en fait, depuis dix ans que cette politique est menée, en voit bien que c’est un échec total. Il n’y a eu aucune inflexion de la politique israélienne.
Et peser sur Israël c’est envisageable ?
Oui, c’est envisageable. Il ne faut pas oublier qu’Israël est le premier partenaire commercial de l’Union européenne, et si l’Union européenne prenait des mesures de sanction à l’égard d’Israël contre ce qui est, encore une fois, une violation du droit international, ce n’est pas prendre position pour tel ou tel partie. C’est : la colonisation est une violation du droit international. S’il y avait des sanctions économiques et financières européennes, je pense que oui, il y aurait possibilité de faire bouger les choses.
Vous parliez de financement. On sait que la France est l’un des premiers pays à aider économiquement la Palestine. Pourtant ces dernières années les aides vont en diminuant ?
Oui. Parce que de toute façon ces aides, elles sont à fonds perdus. C’est un des paradoxes des accords d’Oslo. C’est qu’avant tout ce qui était financé par la puissance occupante Israël, est maintenant financé par l’aide internationale. C’est d’ailleurs toutes les infrastructures, tous les fonctionnaires qui étaient payés avant par le gouvernement israélien, qui sont maintenant payés par cette aide internationale.
Et en même temps, il n’y aucun démarrage économique en Palestine, parce que c’est impossible de démarrer une économie sous occupation, avec des colonies qui n’arrêtent pas de se développer, avec des routes qui sont coupées sans arrêt, ce qui fait que le commerce est pratiquement impossible, avec le fait que les exportations sont difficiles. Donc il va y avoir effectivement, une fatigue de la communauté internationale, sans parler de la situation à Gaza, qui maintenant est une situation absolument catastrophique avec l’électricité coupée.
Autre sujet pour François Hollande ; le dossier Arafat. Les Palestiniens attendent avec impatience les résultats des analyses françaises sur le décès de l’ancien leader Palestinien, et c’est aussi la première fois qu’un président français se recueillera sur la tombe de Yasser Arafat tout à l’heure à Ramallah. C’est un geste fort, selon vous ?
Oui, c’est un geste symbolique qui reconnaît le rôle qu’a joué Arafat, personnalité dont il faut rappeler à quel point elle a été décriée. Elle a été décriée par monsieur Netanyahu et par son prédécesseur monsieur Sharon. Donc c’est un geste fort. Mais je pense que dans le dossier on est au-delà des gestes symboliques. Aller en Palestine comme on va en Israël, oui c’est bien. Mais après la question, c’est que ces gestes n’ont plus aujourd’hui une très grande portée, parce que la situation sur le terrain évolue dans un sens très négatif.
Ce qui est en train de se passer sur le terrain c’est la mise à mort de la solution des deux Etats. Parce qu’il y a aujourd’hui en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, entre 550 000 et 600 000 colons. Même en parlant d’échange de territoires, aucun gouvernement israélien ne sera à même d’expulser 150 ou 200 000 colons de ses territoires. Donc on est vraiment en train de tuer définitivement la solution des deux Etats.
Aucun commentaire jusqu'à présent.