Invité des télés et des radios pour commenter « l’affaire Dieudonné », le président du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) Roger Cukierman s’est démultiplié pour y dénoncer celui qu’il juge comme un responsable de la montée de l’antisémitisme, du racisme et du rejet de l’autre. Malheureusement, il n’a trouvé personne pour lui faire remarquer qu’il était peut-être lui-même en partie responsable du succès de son adversaire favori.

Dieudonné n’est rien d’autre qu’un businessman cynique qui, après avoir mangé au râtelier de la lutte anti-raciste, s’est visiblement aperçu que la xénophobie était un créneau beaucoup plus rentable. Désormais, il ne recule devant rien pour faire prospérer sa petite entreprise. Quant à sa posture anti-système, elle est sa meilleure blague. Pour ceux qui en doutaient encore, voilà qu’il a trouvé un ambassadeur à son image en la personne de Nicolas Anelka, ce millionnaire qui expliquait récemment au journal 20 Minutes : “Je ne veux plus jouer dans un club français, car la pression fiscale y est trop forte. En France, on jalouse les personnes qui gagnent de l’argent.

Si Dieudonné semble être un cas désespéré, il n’en est pas forcément de même pour ceux qui grossissent les rangs de ses admirateurs. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de démonter les bases de son discours antisémite. Or, une grande partie de son fond de commerce repose sur l’amalgame suivant : juif = sioniste = partisan de la droite israélienne et de la colonisation de la Palestine. Chose à laquelle il ajoute sa théorie du complot maison en dénonçant un lobby juif/sioniste omnipotent.

Pour faire reculer son influence, c’est à cet amalgame qu’il faudrait s’attaquer.

Que fait le CRIF depuis des années sinon alimenter sans cesse l’idée selon laquelle tout juif de France est, de part son histoire, forcément sioniste, forcément solidaire d’Israël et, au-delà, de sa politique vis-à-vis des Palestiniens ? C’est ce mélange des genres que dénonçaient en 2002, déjà, un ensemble de personnalités dont Rony Brauman, Gisèle Halimi, Daniel Bensaïd ou Pierre Vidal-Naquet dans les colonnes du Monde : « Soutenir Israël, pas en notre nom ». Depuis des années en effet le CRIF, et Roger Cukierman à sa tête, mélangent allègrement une légitime lutte contre l’antisémitisme en France avec une défense acharnée d’Israël : en relayant la propagande du gouvernement israélien, en militant pour l’interdiction du boycott des produits israéliens ou encore en cherchant à intimider toute voix discordante sur la question israélo-palestinienne par des procès en antisémitisme. En 2005, lors du dîner annuel du CRIF, Cukierman dénonçait la politique étrangère de la France, jugée pro-arabe, comme responsable de la montée de l’antisémitisme. Il y dénonçait l’organisation de funérailles grandioses en l’honneur de Yasser Arafat, déclarait « j’aurais aimé que la France montrât autant d’amitié envers Israël qu’elle en montre envers les dirigeants des pays arabes » et s’interrogeait plus loin : « quelle raison justifie que Jérusalem ne puisse pas être considérée comme la capitale du seul État juif du monde ? Qu’y a-t-il de plus juif que Jérusalem ? » Tant que durera ce mélange des genres dans le discours du CRIF, il y a fort à parier que les idées de Dieudonné prospèreront…

Pour lutter contre la propagation des idées de Dieudonné, il faudrait aussi refuser le repli communautaire et la dénonciation d’ennemis intérieurs démonisés. Tout le contraire de ce qu’a pris l’habitude de faire Roger Cukierman qui, toujours au nom de la lutte contre l’antisémitisme, pointe régulièrement du doigt une communauté qui serait responsable plus que les autres d’un regain d’antisémitisme en France. Rappelons qu’au lendemain du premier tour de la présidentielle de 2002, il expliquait dans le journal israélien Haaretz, qu’il « espérait que la victoire de Le Pen servirait à réduire l’antisémitisme musulman et le comportement anti-israélien, parce que son score est un message aux musulmans leur indiquant de se tenir tranquilles » (voir l’article de Libération à ce sujet). En 2010, dans des propos tenus sur Judaïque FM et repris sur le site du CRIF, il invitait les Juifs à avoir beaucoup d’enfants pour contrer l’influence musulmane. Faut-il s’étonner dès lors de retrouver certaines de ses prises de paroles sur des sites ou blog d’extrême droite (par exemple ici) ?

Dieudonné et Cukierman font tous les deux leur beurre de la haine et du repli communautaire. Ce faisant, ils s’alimentent mutuellement : chaque dérapage de l’un renforce le discours du second et inversement. Les responsables politiques qui, pour des raisons que l’on devine électoralistes, font allégeance aux discours de Cukierman plutôt que de les dénoncer ne font que renforcer l’audimat de Dieudonné. Tout comme les chaînes de télé et les émissions de radio qui se disputent le Président du CRIF ces derniers jours. Cukierman est, au même titre que Dieudonné, un maître dans l’art de l’amalgame. S’il souhaite vraiment faire reculer l’audience de son adversaire, peut-être devrait-il commencer par prendre un peu de repos…

http://blogs.mediapart.fr/blog/samjoffre/020114/roger-cukierman-ce-brillant-vrp-de-dieudonne