Pour éviter race, mot par trop malsonnant, on admet plutôt que la “question rom” est une affaire de culture. De fait, la culture rom, sorte d’errance sans but dans un paysage d’ordures, de boue et de rats, est difficilement compatible avec “la nôtre”. D’où leur vocation – à ne pas séjourner chez nous, à être expulsés vers leurs pays d’origine où ils trouveront plus facilement leurs marques.
Ce livre montre comment l’État français, empêché par ses propres lois de traiter les Roms, citoyens européens, comme il traite les sans papiers tunisiens ou maliens, délègue aux municipalités la tâche de démolir les camps et de chasser leurs habitants. Il montre comment, pour ce faire, maires et adjoints s’appuient sur un réel ou supposé “ras-le-bol” des riverains. Il montre aussi, circulant comme des fantômes, les enfants roms, par terre avec leur mère sur un carton rue du Temple ou cheminant dans la nuit sur le bord de la nationale pour gagner l’école d’une commune éloignée qui accepte de les recevoir.
Un livre pour voir ce que nous avons chaque jour sous les yeux.
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L’argument est le suivant : ce qui se passe autour des Roms n’est pas l’éternel retour d’une haine du nomade (les Roms bougent surtout parce qu’ils sont chassés.), ce n’est pas identique à ce qui se passe autour des immigrés extra-européens (précisément parce qu’ils sont européens), ce n’est pas non plus la simple répétition de ce qu’on a connu sous Sarkozy (et si c’est pire, c’est que les mesures transitoires touchent à leur fin). Il s’agit ici de race – et non pas simplement de racisme.
En effet, parce que les Roms sont (quasi) européens, ils ne peuvent (plus) faire l’objet de discriminations légales. Pour autant, il n’est pas question de les intégrer.
En pratique, se met en place aujourd’hui ce qu’on peut appeler « auto-expulsion : on rend la vie impossible aux Roms pour les dissuader de rester ou de venir. Pour justifier la discrimination, il faut supposer, a priori ou a posteriori, une différence radicale – qui seule autorise ce traitement inhumain. C’est en cela qu’il faut bien parler de race. Il n’est donc pas étonnant qu’on retrouve un discours sur la « culture » qui est la forme moderne de la « race » : les Roms sont de nature différente (« ils n’ont pas vocation à rester en France », « ils ont vocation à rentrer dans leur pays » – Manuel Valls).
Ce qui est frappant, c’est qu’on ne trouve pas ici de justifications « démocratiques », comme c’est le cas pour l’immigration et l’islam (au nom de l’égalité entre les sexes, ou de la laïcité, ou encore parce qu’à la différence de « nous », « eux » seraient homophobes ou antisémites, autrement dit, antidémocratiques). Le racisme à l’encontre des Roms n’a pas à être justifié : La différence radicale s’impose comme une évidence.
Comment fonder une politique de la race, que les principes de la France et de l’Europe interdisent ? En la dépolitisant. La dépolitisation passe par un double déplacement : d’une part, un transfert de l’État aux autorités locales – une municipalisation ; la politique d’État se donne ainsi comme une simple réponse à la demande locale ; d’autre part, en même temps, les autorités municipales revendiquent pareillement de ne pas faire de politique – elles s’abritent derrière une demande populaire : les riverains. Il importe ici d’éviter toute équivoque : il ne s’agit pas de valider ce populisme, mais de montrer comment il s’autorise du peuple. Le riverain n’est pas une catégorie sociologique. C’est une catégorie produite politiquement. Toutefois, elle peut devenir réelle : le riverain, avec l’aide des autorités locales, peut mener des pogroms.
Reste une question : si le racisme n’est pas la cause, mais l’effet de la politique (autrement dit, si l’on inverse la logique du populisme), pourquoi nos politiques, en particulier de gauche aujourd’hui, réinventent-ils la race – alors même qu’ils se veulent antiracistes ?
L’hypothèse ( banale mais fondée), c’est que le racisme d’Etat (ou sa version municipalisée) est l’envers logique, voire nécessaire, du ralliement de la gauche aux politiques néolibérales.
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