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Par Pierre Stambul

Antisémitisme, sionisme, humoriste, liberté d’expression, antisystème… , tout se mélange. Si on essayait d’y voir clair ?

Ils disent la même chose.

Commençons par une anecdote. La veille du jour de l’an, je rentre de Gaza, la tête pleine des horreurs des effets du blocus. Je suis dans la voiture qui me ramène de l’aéroport et le téléphone sonne. C’est France-Bleu-Provence qui veut m’interviewer … sur Dieudonné, pas sur Gaza. « L’affaire » ayant fait du bruit jusqu’au Caire, je suis vaguement au courant. Sans trop réfléchir, je leur dis : « Ecoutez, je ne sais pas si Dieudonné est un agent du Mossad, mais s’il ne l’est pas, c’est que le Mossad est devenu franchement très con, ce à quoi je ne crois pas ». Je sens un grand blanc chez mon interlocutrice. J’embraye : « Car enfin, Dieudonné et les partisans inconditionnels d’Israël disent la même chose : que juif = sioniste ou que les partisans d’Israël sont propriétaires du génocide nazi ». « Et puis, Valls qui affirme que les Roms n’ont pas vocation à vivre en France est-il qualifié pour nous donner des leçons d’antiracisme ? »

Il m’est parfois arrivé de passer sur les médias. Mais cette fois-ci, mon refus de choisir entre Dieudonné et Valls ne correspondait pas à ce que les médias souhaitent. Et mon interview n’a pas été diffusée.

Le rôle historique de l’antisémitisme

Les Juifs, pour reprendre les termes de Hannah Arendt, ont été les parias de l’Europe, considérés comme des « Asiatiques inassimilables ». Il y a eu un consensus antisémite en Europe contre les Juifs, considérés comme un obstacle aux rêves fous de pureté « ethnique » ou « raciale ».

Le sionisme a transformé les Juifs en en faisant des colonisateurs européens au service de l’Occident. Les Juifs européens d’aujourd’hui ne sont plus des parias ou des dominés. L’islamophobie a remplacé l’antisémitisme comme dénominateur commun de toutes les idéologies de haine et d’exclusion. L’extrême droite est aujourd’hui plutôt pro-israélienne à l’image de ces dirigeants (le Flamand Dewinter, le Néerlandais Wijlders ou l’Autrichien Strache) partis à Jérusalem visiter la Knesset et le musée Yad Vashem à l’invitation de leur « collègue » Lieberman.

Il est piquant de voir le n° 2 du CRIF (William Goldnadel) devenu l’avocat de l’ancien rédacteur en chef du journal « Minute » (Patrick Buisson) comme si les antisémites traditionnels étaient devenus fréquentables.

L’antisémitisme n’a bien sûr pas disparu, mais il n’est plus l’instrument des dominants pour écraser les dominés. Quelqu’un comme Valls qui proclame tous les jours son « philosémitisme » (« par ma femme, je suis lié de manière éternelle à la communauté juive et à Israël ») pense en même temps que « les Roms ont vocation à retourner en Roumanie ou en Bulgarie ».

Dieudonné est-il antisémite ?

La question peut paraître stupide, mais de nombreuses personnes, surtout dans les quartiers populaires, nient cette évidence. Ils affirment que c’est de l’humour et/ou de la provocation et que c’est parfaitement licite.

Humour, l’affirmation vieille de plus de 10 ans où Dieudonné expliquait que « la traite des Noirs a été financée par des banquiers juifs ».

Humour raffiné, la composition de la « liste antisioniste » présentée aux élections de 2009. Pour éviter les poursuites judiciaires, je laisse aux lecteurs/trices le soin d’aller voir la biographie des grandEs humoristes/humanistes que sont Yahia Gouasmi, Alain Soral, Ginette Skandrani, Maria Poumier, Pierre Panet ou Christian Cotten. Pierre Panet est décidément un grand humoriste. Présent sur la liste du FN dans le XIIème arrondissement de Paris, il a indisposé les dirigeants de ce noble parti stupéfaits de découvrir un négationniste sur leurs listes.

Humour encore le fait d’intégrer Faurisson à son spectacle ou de manifester son amitié pour Serge Thion.

La bonne question n’est pas : « est-il antisémite ? » mais « comment et pourquoi l’est-il devenu ? ». Je pense qu’au départ, c’est « la concurrence des victimes », l’idée juste qu’on a minimisé un crime aussi long et épouvantable que l’esclavage et la traite des Noirs alors que la Shoah (je préfère le terme « génocide nazi ») est devenue quelque chose qu’on doit célébrer, parfois sans prendre le recul pour en comprendre les ressorts. Dieudonné est devenu monomaniaque de la dénonciation de l’esclavage. Les sionistes sont devenus monomaniaques de la Shoah au point de nier les autres génocides. Là aussi, des formes de pensée parallèles, la concurrence des victimes c’est dangereux.

L’antisémitisme de Dieudonné est devenu obsessionnel et il a repris un certain nombre de stéréotypes classiques (« Les Juifs maîtres du monde », « Les Juifs et l’argent », « Les Juifs et les médias »).

Un formidable cadeau au sionisme.

L’Etat d’Israël a été déclaré coupable du crime d’apartheid par le Tribunal Russell sur la Palestine. Aux yeux d’un nombre croissant de citoyenNEs du monde entier, Israël aujourd’hui, c’est l’Afrique du Sud d’autrefois et il faut boycotter ce pays colonialiste qui pratique des crimes de guerre. La dernière défense des partisans de la politique israélienne, c’est de brandir l’antisémitisme, c’est de dire que critiquer Israël, c’est de l’antisémitisme, c’est de s’approprier le génocide nazi et de l’utiliser pour empêcher toute critique.

En Israël même, ce qui maintient le « consensus » dans la société pour écraser les PalestinienNEs, c’est le complexe de Massada, ce sentiment collectif que les victimes ont été, sont et seront toujours les Juifs, que personne ne les aime et qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour se défendre.

La guerre israélo-palestinienne n’est ni raciale, ni religieuse, ni communautaire. Elle porte sur des questions universelles fondamentales : le refus du colonialisme et l’égalité des droits. Qui dit le contraire ? les sionistes et les amis de Dieudonné. Pour les sionistes, les Juifs ont vécu en exil, ont fait leur retour dans leur pays et les Palestiniens n’existent pas ou sont des intrus. Pour Dieudonné, le mal que les sionistes infligent aux Palestiniens est intimement lié à la nature perverse des Juifs. Les sionistes disent : « c’est parce que tout le monde nous persécute qu’il nous faut un pays dominant ses voisins » ; Dieudonné leur répond : « c’est parce que les Juifs dominent le monde qu’ils persécutent les Palestiniens ».

Discours parallèles et complémentaires pour que le choix n’existe qu’entre deux formes de barbarie et de racisme.

Nous savons que l’instrumentalisation du génocide nazi par les sionistes est une escroquerie. Les sionistes n’ont joué qu’un très faible rôle dans la résistance juive au nazisme. Certains de leurs dirigeants se sont fortement compromis avec le nazisme. Et les millions de victimes de l’extermination n’avaient rien à voir avec le projet colonial qui a détruit la Palestine. Comme Dieudonné pense que juif et sioniste, c’est pareil, il multiplie les allusions obscènes sur le génocide et fréquente allègrement les négationnistes. Cela sert qui ?

Si Dieudonné n’existait pas, les sionistes l’auraient inventé. Il n’est hélas pas le seul. On trouve un tout petit nombre d’individus qui affirment que « Les Juifs sionistes et antisionistes sont les deux faces d’un même problème » ou que « la cause palestinienne est mal défendue là où la parole antisémite est brimée alors qu’elle est bien défendue là où cette parole est libre ».

Deux discours voisins

Nous vivons une période de racialisation des conflits. L’Occident est en plein dedans avec « La guerre du Bien contre le Mal » et le « choc des civilisations ». Le mal, ce sont les Arabes, les Musulmans, les bronzés, les quartiers, les pauvres. Et la Bible vient au secours de ce mode de pensée avec les Chrétiens sionistes pour qui les Arabes, c’est Armageddon et il faut les expulser.

Israël est l’élève modèle de ce discours. Mais la France aussi qui discrimine et ostracise touTEs les descendantEs de l’immigration post-coloniale.

Dieudonné fait comme les sionistes. Il essentialise les gens selon leur origine ou leur identité supposée. Il répond à la haine et la discrimination par la connerie raciste. Il ne connaît rien à la Palestine. Là-bas, celles et ceux qui soufrent savent que juif et sioniste, ce n’est pas pareil. Ils ont connu ou entendu parler de Michel Warschawski, d’Amira Hass, de Gideon Lévy ou de Juifs non Israéliens comme Stéphane Hessel ou Noam Chomski.

Antisystème, quelle blague !

La popularité de Dieudonné vient d’un sentiment diffus. Il est perçu comme un mode de rupture, comme quelqu’un « d’antisystème ».

En vérité Dieudonné occupe un créneau précis : capter une partie du vote des « quartiers » au profit du Front National.

La rupture avec le système, c’est la lutte contre les ravages du capitalisme, c’est renouer avec la lutte des classes, c’est réinventer une véritable égalité sociale et l’égalité des droits.

L’idéologue qui inspire Dieudonné (Alain Soral) a beau avoir appelé son mouvement « Egalité et Réconciliation », il ne prône ni l’un ni l’autre. Il s’inspire clairement de ce qui a fait la force du fascisme : transformer la colère sociale en colère raciste, briser le mouvement ouvrier et faire disparaître les traces de son histoire.

Historiquement, Le Pen c’est l’Algérie Française, la torture, la stigmatisation permanente de « l’immigré » et de ses symboles supposés (les mosquées, le voile …). Que la violence de la crise pousse des gens dans les quartiers à entendre ce discours n’a qu’une seule source : la volonté d’une rupture avec le système.

Il est tragique que la « gauche » qui a historiquement incarné cette soif de changement soit à ce point devenue inaudible. Elle est jugée responsable du chômage, de l’abandon, des discriminations, de la désagrégation du tissu social et de la montée du racisme.

Interdire Dieudonné n’a pas de sens. Surtout quand c’est Valls qui s’en mêle et qui prétend combattre Dieudonné au nom des « valeurs républicaines ». Quelles valeurs ? Celles de la république française héritière des guerres coloniales ? Celles qui en organisant la destruction des acquis sociaux a transformé des territoires entiers en zones sans présent ni avenir ? Il faut combattre Dieudonné idéologiquement. Il n’est pas une victime. Il est la face complémentaire de l’idéologie dominante.

Pierre Stambul