Le pouvoir exorbitant d’un maire (FN) sur les citoyens immigrés

logo2

Cette tribune de Christophe Daadouch, juriste, membre du Gisti, est parue dans le journal Libération du 17 avril 2014.

Ainsi donc, l’histoire se répète. Le maire d’Orléans entend des voix. Des voix d’électeurs lui criant de bouter hors des murs de la commune l’envahisseur étranger. À ceci près que l’intéressé n’est pas vierge… de précédents [1].

La création d’une délégation donnée à un adjoint chargé de la lutte contre l’immigration clandestine  [2] ne saurait malheureusement être lue comme une lubie locale et marque un précédent dans lequel d’autres vont s’engouffrer.

Les récents résultats électoraux vont nécessairement aboutir à de telles annonces, en particulier dans les villes frontistes. La mise en œuvre de la préférence nationale dans les villes concernées s’annonce beaucoup plus préoccupante qu’elle ne l’était en 1995 à Vitrolles, à Orange. Non pas que leurs élus aient changé sur le fond : c’est surtout leur marge d’initiative qui s’est considérablement étendue.

La première loi Sarkozy de 2003 marquait, en effet, un tournant en droit des étrangers en donnant des prérogatives sans précédent aux maires en matière d’immigration. « Trop longtemps, l’immigration est restée une question confisquée par les administrations centrales, comme si aucun maire n’était capable d’aborder ce sujet de société avec la modération et le sang-froid nécessaires. Les communes ont pourtant un rôle décisif à jouer », disait le ministre de l’Intérieur de l’époque (Assemblée nationale, 3 juillet 2003). Cette déconcentration du pouvoir de police des étrangers passe, d’abord, par un pouvoir décisionnel donné au maire en matière d’attestation d’accueil. Ce certificat d’hébergement, délivré par le maire à l’hébergeant qui se propose d’accueillir en France un visiteur étranger, repose désormais sur un large pouvoir du maire. Selon la loi, le maire doit vérifier si l’hébergeant peut accueillir « dans des conditions normales » à son domicile. Sauf que de normes, il n’y en a pas. La circulaire du 23 novembre 2004 censée les préciser stipule qu’« elles doivent être appréciées eu égard aux considérations de lieu et de temps ». Comprendra qui peut. Et d’ailleurs, « l’intention du législateur étant de donner un large pouvoir d’appréciation au maire en ce domaine ». Rappelons au détour, qu’ici, le maire agit non pas en tant qu’autorité décentralisée mais bien en représentant de l’État. Imaginons un instant une circulaire précisant qu’en matière d’état civil ou d’inscriptions sur les listes électorales, l’intention du législateur est de laisser un large pouvoir d’appréciation au maire. Qu’en sera-t-il à Hénin-Beaumont ? La même loi permet, enfin, aux maires qui le souhaitent de mettre en place un fichier informatique des hébergeants validé par la Cnil puis par le Conseil d’État en 2006. Qu’en sera-t-il à Fréjus ?

Autre prérogative, le maire est chargé, depuis 2003, d’instruire les demandes de regroupement familial. C’est, en effet, lui qui précisera au préfet si les conditions de ressources et de logement de l’étranger, qui souhaite être rejoint par sa famille, sont réunies. Qu’en sera-t-il à Mantes-la-Ville ?

Le maire est également sollicité par le préfet pour préciser s’il lui semble que l’étranger, titulaire d’une carte d’un an, est suffisamment intégré pour obtenir une carte de résident. Qu’en sera-t-il à Béziers ?

La loi Sarkozy de 2006 marque, en ce qui la concerne, l’extension du contrat d’accueil et d’intégration des migrants et la mise en place de plans départementaux (PDI) et régionaux d’intégration des populations immigrées (Pripi). Les circulaires, de 2009 et 2010, insistent sur l’importance de la construction avec les communes de ces programmes. Qu’en sera-t-il dans le Var ?

En 2006 puis en 2011, c’est le contrôle des mariages qui est largement renforcé. Au nom de la lutte contre les mariages « blancs » et « gris », les étrangers sont une nouvelle fois visés. Non pas directement : le Conseil constitutionnel s’est plusieurs fois opposé à l’idée de contrôles spécifiques aux étrangers qui porteraient atteinte à leur liberté fondamentale matrimoniale. Le texte précise que le maire contrôle, par une audition préalable au mariage, les intentions de tous les futurs époux, sauf, si cette « audition n’est pas nécessaire » car leur intention matrimoniale n’est pas sujette à caution. Dans les faits, et comme le montre l’association les Amoureux au ban public, ce sont bien les couples mixtes qui subissent les a priori d’un défaut de consentement. Qu’en sera-t-il demain à Hayange ?

Ces multiples transferts de compétences étatiques aux maires, du mariage à l’accueil d’amis ou de membres de familles, n’ont pas été remis en cause depuis deux ans et ce malgré l’alternance. La droite les a votés, le PS les a confirmés et le FN va aujourd’hui en récolter les fruits.

Certes les tribunaux pourront, ici ou là, éviter les plus graves dérapages. Ils l’ont fait en d’autres temps, quand des communes ont porté atteinte au droit à la scolarisation des enfants étrangers (Saint-Gratien dans le Val-d’Oise, Ris-Orangis dans le Val-d’Oise ou Tomblaine en Meurthe-et-Moselle), quand ils ont commis des discriminations en matière de logement ou utiliser leur droit de préemption pour écarter des étrangers (Pont-de-Chéruy ou Charvieu-Chavagneux en Isère) ou encore, quand ils ont discriminé en matière d’aide sociale (Vitrolles mais aussi… Paris en 1986).

Encore faut-il que des plaignants fassent jouer leur droit. Or, le propre de l’échelon municipal c’est sa proximité : pour le meilleur et pour le pire. L’exercice des voies de droit est d’autant plus simple que le contrevenant est éloigné. Engager une procédure contre le maire, c’est craindre les répercussions sur sa demande de logement, de crèche ou d’emploi.

Similar posts
  • Déni démocratique au Parlement et dan... “NOUS AUSSI ON VA PASSER EN FORCE” Dès 18h, place Kléber, on constatait la présence forte de cars de gendarmerie, près de l’Homme de fer, de cars de police, près des Galeries Lafayette, et de gendarmes à pied, surarmés, circulant au milieu des rares personnes présentes 30 minutes avant le départ supposé de la manifestation. [...]
  • Nouvelle tactique policière à Strasbo... Suite à la manifestation réprimée et dispersée par la police nationale selon l’ordre de la préfète Josiane Chevalier (“au fond du Rhin…”), Danielle, une manifestante a été interpellée et mise en GAV. A 8h10, elle y était toujours enfermée. Grosses manœuvres policières ce soir place Kléber. Après avoir coupé le cortège de 300 du côté [...]
  • Chaud devant, la seconde manifestatio... Prise de parole Sud-Solidaires, FO, CFE-CGC https://fb.watch/jluIqtVVOg/ Emmanuel Fernandez député LFI Seconde manifestation sauvage à Strasbourg. De fait il était impossible de respecter le délai de 3 jours francs de la préfecture. Plus d’un millier de personnes se sont élancées vers la place Broglie et la préfecture après les discours de Sud-Solidaires et de FO. [...]
  • “Nous aussi, on passe en force&... Strasbourg. Dès 16 h, un cortège étudiant manifeste sur le campus de l’Esplanade pour mobiliser les amphis réouverts, puis ils-elles tiennent ne Ag au Portique. Vers 17h, le Collectif ” On crèvera pas au boulot” mobile les réseaux pour un rassemblement à 18h30 place Kléber. A partir de 18h, les premiers manifestants se retrouvent au [...]
  • Germain Roesz, peintre et poète, à la... Dimanche dernier, Germain Roesz qui expose en ce moment à l’ex-ferme Bussière, derrière le Parc Pourtalès, à la Robertsau, présentait aussi un récital de poésies de sa composition devant une petite salle bien remplie d’ami.e.s et d’amateurs. De longs poèmes, extraits de ses ouvrages publiés aux Lieux Dits à Zone d’Art, près du Pont du [...]

Aucun commentaire jusqu'à présent.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.