PierreGattaz-PierreMoscovici
Rémunérations : le double langage du patronat

08 mai 2014

Tandis que le patronat tient le discours de l’austérité et évoque la suppression du Smic, Pierre Gattaz, président du Medef, et Denis Kessler, tête pensante du patronat, augmentent leurs rémunérations. Comment nouer un pacte de responsabilité dans de telles circonstances, s’interroge le PS. Les patrons du Cac 40 sont prêts à toutes les réformes sauf à renoncer à leurs salaires.

Le symbole est désastreux pour le gouvernement. Au moment où il se débat avec sa majorité pour faire adopter son plan de 50 milliards d’économies et l’augmentation du crédit impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), des patrons viennent apporter la démonstration des soupçons que nourrit une partie de la majorité : que le patronat n’est pas prêt à jouer le jeu du pacte de responsabilité.

Et pas n’importe quels patrons : Pierre Gattaz et Denis Kessler ! Le premier est président du Medef, le second ancien vice-président de l’organisation patronale et une des références du monde patronal. Il est l’homme qui préconisait en 2007 de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance.

Depuis des semaines, ces deux figures du monde patronal multiplient les critiques à l’égard du gouvernement, estimant que les 50 milliards d’économies sont tout à fait insuffisants, qu’il faut aller plus loin dans les remises en cause. Le premier prône la modération salariale. Le second plaide pour le renoncement aux 35 heures, la fin des régimes spéciaux de retraite, le durcissement des conditions de l’assurance chômage. Et tous les deux laissent planer en filigrane le démantèlement du Smic. Une rigueur et une modération qui ne sont manifestement que pour les autres.

Lundi, Le Canard enchaîné révélait que Pierre Gattaz, en tant que PDG de l’entreprise Radiall, s’était accordé une hausse de 29 % de sa rémunération pour la porter à 426 000 euros. Le lendemain, Denis Kessler, comme PDG du groupe de réassurance Scor, se faisait voter une augmentation de 28 % de la part variable de son salaire à 1,3 million d’euros, sa rémunération totale dépassant les 5 millions d’euros, stock-options et actions de préférence comprises.

« Ce double discours n’est pas responsable. C’est Pierre Gattaz lui-même, qui a incité à la modération dans le monde patronal. Et il fait exactement le contraire. Il ne respecte pas ses engagements. Symboliquement, c‘est désastreux. La confiance, cela se crée », commente Juliette Méadel, secrétaire nationale PS à la politique industrielle et auteure d’un rapport sur les aides publiques aux entreprises, en écho aux propos très critiques de François Hollande sur le sujet sur BMFTV.

Avec trois autres secrétaires nationaux du PS, elle est signataire d’un communiqué incendiaire sur le comportement de Pierre Gattaz et Denis Kessler (lire ici). « À un moment où tout le monde se serre la ceinture, tout cela n’est pas tolérable. Quelle est la marge de manœuvre du gouvernement ? Il faut réfléchir à la traduction des engagements dans le pacte de responsabilité », assure-t-elle.

Les doutes émis par des députés socialistes, la gauche, des syndicalistes, des économistes, sur la politique d’allégement en faveur des entreprises et du CICE risquent de reprendre. L’attitude d’un Pierre Gattaz et d’un Denis Kessler n’est-elle pas le préambule de ce qui risque de se passer par la suite ? Les 30 milliards d’euros supplémentaires – qui viennent s’ajouter à quelque 175 milliards d’euros d’allégements et niches fiscales existants – accordés aux entreprises, ne vont-ils pas servir à améliorer les dividendes et les rémunérations des dirigeants plutôt qu’à l’investissement et à l’emploi ? Tout cet argent ne va-t-il pas être dépensé en pure perte ?

À voir comment se comportent les dirigeants des grands groupes, ces questions ne peuvent que resurgir. En mai 2013, Pierre Moscovici, alors ministre des finances, avait enterré sans autre forme de procès le projet d’encadrement des rémunérations abusives des dirigeants patronaux. Un projet qui figurait, pourtant, dans les promesses présidentielles de François Hollande. « Il n’y aura pas de projet de loi spécifique sur la gouvernance des entreprises. J’ai choisi d’agir dans le dialogue. Dans cet esprit, j’ai rencontré la semaine dernière la présidente du Medef, Laurence Parisot, et le président de l’Afep, Pierre Pringuet, qui se sont engagés à présenter rapidement un renforcement ambitieux de leur code de gouvernance. Ils m’ont assuré qu’ils étaient prêts à des avancées importantes, notamment en recommandant le “Say on Pay”, qui permettra à l’assemblée des actionnaires de se prononcer sur la rémunération des dirigeants », avait-il annoncé abruptement.

Dès novembre, les deux organisations patronales ont élaboré un nouveau code, recommandant de soumettre les rémunérations des dirigeants aux votes des actionnaires. Mais il ne faut pas se tromper sur le sens de cette mesure : il s’agit, dans un esprit libéral, de permettre aux actionnaires de contrôler si les intérêts des dirigeants sont bien alignés sur ceux des actionnaires. De plus, les recommandations faites par le code Afep-Medef sont très compréhensives. Elles conseillent une transparence sur toutes les composantes des rémunérations – part fixe, part variable, stock-options, actions de performance, retraite chapeau, conventions réglementées – mais si le groupe omet certains détails, il n’y a aucune sanction.

Surtout, les actionnaires peuvent se prononcer sur la rémunération des dirigeants, mais leur vote n’est que consultatif, à la différence de ce qui se pratique en Suisse ou en Grande-Bretagne. En d’autres termes, qu’ils approuvent ou s’opposent aux rémunérations versées aux dirigeants des groupes, cela ne change rien. Les dirigeants touchent les montants prévus. Au mieux, les votes peuvent servir à influencer les politiques futures de rémunération.

Ce nouveau dispositif du « Say on Pay » est en train d’être inauguré lors des assemblées générales des groupes qui se tiennent actuellement. Premier constat : plus cela change, plus c’est pareil. La transparence et le vote indicatif, qui étaient censés apporter plus de contrôle et de modération, n’ont modifié en rien les comportements des dirigeants. Il y a toujours les mêmes excès, les mêmes débordements, les mêmes augmentations parfois sans rapport avec les performances des entreprises. Pis, accuse Colette Neuville, présidente de l’association des actionnaires minoritaires (Adam), « la transparence qui devrait être un outil de modération et de contrôle, conduit à un dévoiement du système. Tout le monde s’aligne par le haut, en se justifiant par des comparaisons. Puisque le concurrent est payé à ce niveau, il n’y a pas de raison de ne pas s’aligner sur lui. » Il le vaut bien donc je le vaux bien.

Source : http://www.mediapart.fr/journal/france/080514/remunerations-le-double-langage-du-patronat