Un titre, et une jeunesse qui n’a pas dit son dernier mot.
Il est bien sûr exagéré (certains diront même « déplacé ») de lier le sort d’une revue comme Mouvement au résultat de l’élection européenne qui voit le Front national s’affirmer comme « premier parti de France ». Et pourtant… La création de Mouvement en 1993, résultait pour une large part du constat (ou pour mieux dire, de la prescience) d’une raréfaction de « l’espace critique », notamment dans la presse généraliste. Le premier numéro de Mouvement, mis en kiosques en 1998, comportait, sous le titre « Fascisme et culture », un entretien avec Bruno Mégret, alors principal idéologue du Front national. Non pas qu’il se soit alors agi de bêtement « faire le buzz », comme on dit aujourd’hui, mais parce qu’il semblait déjà qu’il ne fallait pas craindre de s’affronter à la « culture » où ce mouvement d’extrême-droite plongeait ses racines, sans se réfugier dans la seule invocation, hier comme aujourd’hui, des « valeurs républicaines », dont on voit bien qu’elles ne font plus suffisamment sens auprès d’un nombre grandissant de citoyens qui se sentent « largués ». De débat sur « l’identité nationale » en soumissions au seul horizon d’une austérité économique où la « rigueur » serait inéluctablement… de rigueur, d’ostracisations en relégations (l’immigration, les « banlieues », les Roms, etc.), le gouvernement de la peur, quelle qu’ait l’alternance de ses couleurs, a lentement et patiemment instillé le poison dont le « séisme » des dernières élections est le résultat prévisible.
Et Mouvement, demandera-t-on ? Il suffit de lire Prospérités du désastre, un recueil de textes du philosophe Jean-Paul Curnier récemment paru aux éditions Lignes, pour saisir à quel point la disparition ou la paupérisation des espaces de pensée, de critique et de débat, a pu préparer le terrain aux herbes vénéneuses des « populismes » et « intégrismes » de tout poil, qui se nourrissent mutuellement dans la haine. « On fait ce qu’on peut », entend-on de la bouche de certains responsables politiques. Des mots tournent à vide. Il est vrai, comme le dit Jean-Luc Godard dans son dernier film, Adieu au langage, que « bientôt chacun aura besoin d’un interprète pour comprendre ce qui sort de sa propre bouche », tant le langage a été malmené, anémié, « sensuré », comme l’écrit Bernard Noël. On s’entend répondre à foison, par des responsables publics chargés des affaires courantes (notamment culturelles) : « il n’y a plus d’argent ». La plupart ne daignent même plus répondre ; les plus compatissants adressent un impuissant « bon courage ». Il n’y a plus d’argent ? Qu’il suffise de penser que seulement 1% de l’aide de l’Etat versée annuellement à huit hebdomadaires télé aurait permis, sur les cinq prochaines années, à une revue comme Mouvement de se restructurer et de se renflouer durablement. Imagine-t-on alors, dans de telles proportions, le nombre de publications et de titres fragiles mais essentiels qui pourraient ainsi être sauvés du naufrage voire nouvellement créés ?
Car ce ne sont pas les forces qui manquent ; ni les énergies, ni les désirs, ni les écritures, ni les initiatives. Dans le cas de Mouvement, cet élan fédère de façon transgénérationnelle des expériences et des commencements. La jeunesse d’un lectorat, dont certains sont nés en même temps que la revue, voilà 20 ans et des poussières ; la jeunesse de celles et ceux qui, notamment ces tout derniers mois, ont tenu avec brio le gouvernail de la revue et de son site internet, ne peuvent être abandonnés en rase campagne d’une « liquidation judiciaire » sans lendemain. Derrière une entreprise aujourd’hui mise en faillite, il y a une histoire mais aussi un devenir ; il y a un titre qui n’a pas dit son dernier mot. Avec celles et ceux qui voudront bien, les prochaines semaines seront décisives, pour s’employer à « rebondir », trouver les moyens de persévérer, de reprendre le chantier inachevé, où tant de directions nouvelles restent encore à explorer et à accomplir. Imaginer dès maintenant que Mouvement ait une nouvelle vie, c’est tout le contraire d’un acharnement thérapeutique, mais prendre soin de l’avenir et ne pas laisser aux forces de décomposition le champ libre pour nous asphyxier davantage encore. « Pourquoi ai-je un horizon ? J’attendais de la vie l’infini. Déception », écrivait Thomas Mann. Apprendre à composer avec cette « déception », la surmonter, dépasser l’horizon de tel ou tel « projet », voilà le risque à prendre.
A l’heure où ces lignes sont écrites, nous ne savons pas encore ce qu’il adviendra du site internet (qui devrait, logiquement, être fermé dans de brefs délais). Il faut, pourtant, maintenir le contact, continuer à échanger. Il y aura des rendez-vous, des pistes de réflexion à partager, un réseau à reconstruire. En dehors de notre page de Facebook, qui reste active, tous messages de soutien, toutes idées et propositions, sont particulièrement bienvenus. Nous créons pour cela une adresse mail, mouvementcontinue@gmail.com, et vous y attendons, en mouvement. |
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