Retranscription de l’intervention de Jack Lang par lui-même
CD : la mobilisation des intermittents ne faiblit pas, pourquoi est-ce que cette mobilisation vous tient-elle à cœur ?
JL : elle me tient à cœur au point que je m’exprime pour la première fois sur ces sujets, je tiens à garder habituellement un devoir de réserve. Pour deux raisons, d’abord il y a le feu au lac, et j’éprouve un sentiment d’urgence et de gravité. La mise en danger du régime de l’intermittence, qui est un vivier irremplaçable de talents et de renouvellement des générations. Et le péril qui me pèse, gravement maintenant, sur la survie des festivals d’été, une floraison unique au monde, d’échanges, de découvertes, de rayonnement et d’essor économique, notamment pour les régions et pour les communes. Et puis, il y a une raison plus intime, pardonnez-moi, c’est l’amour que je porte à ma fille, Valérie, disparue depuis voici un an, qui fut une militante en première ligne, en 2003, lors de la dernière crise des intermittents et qui a continué sans cesse à se battre contre les atteintes au régime de l’intermittence, et notamment à Avignon. Elle n’aurait pas compris, pardon d’être personnel à ce point, que son père n’apporte pas en cet instant grave son soutien à ce combat des artistes.
CD : donc, si on revient à la situation politique d’aujourd’hui, Jack Lang, vous êtes pour un réexamen de la convention.
JL : oui, parce que le texte qui a été mis au point est un texte qui comporte notamment deux mesures, je dirais, de paupérisation, d’affaiblissement, de fragilisation des plus précaires. Premièrement l’affaiblissement par l’augmentation des cotisations des structures les plus fragiles…
CD : alors il y a 1% pour les intermittents mais il y a 1% pour les employeurs aussi.
JL : absolument, et donc, le risque que, en cette période où les subventions ont tendance à diminuer, les compagnies indépendantes, tout le tissu culturel français sorte affaibli d’une telle situation. Puis par ailleurs, il y a l’aggravation des conditions d’accès à l’indemnisation des plus démunis
CD : vous parlez des délais de carences ?
JL : les délais de carence, le nombre des heures exigées, bref, c’est 70% de précarisation supplémentaire qui résulterait de l’application de cet accord.
CD : et qu’est-ce que vous préconisez alors, un système de redistribution au sein du système intermittent ?
JL : il y a eu un travail remarquable qui a été accompli par ce qu’on appelle le comité de suivi.
CD : mais ça fait 10 ans qu’il y a un travail remarquable qui dort dans les tiroirs…
JL : justement, il ne doit pas dormir mais être utilisé par les responsables actuels, car il indique une autre voie : la solidarité, et, surtout, la redistribution entre les salaires à haut niveau et les exclus ou les futurs exclus du régime. Donc sans dépenser 1 centime de plus, on peut parfaitement imaginer une solution équilibrée et respectueuse des finances publiques.
CD : est-ce que vous trouvez donc que le gouvernement s’y est mal pris, Jack Lang, dans ce dossier là ?
JL : c’est une question complexe parce que vous savez que cette question relève des partenaires sociaux, mais le gouvernement
CD : il y a eu une volte-face quand-même, d’abord François Hollande les soutient durant sa campagne, les intermittents, François Rebsamen les soutient également, et puis, ce dernier devient Ministre du travail et il fait volte-face…
JL : ça c’est une attitude individuelle, de tel ou tel responsable mais, le gouvernement n’a qu’un seul pouvoir, c’est d’agréer ou de ne pas agréer. Et, malgré tout, de donner le cap ou la ligne. Bon aujourd’hui, je pense qu’un homme comme François Rebsamen qui a accompli de grandes choses et de belles choses dans sa commune à Dijon, un homme comme Manuel Valls qui, dans sa propre commune a été vraiment un maire exemplaire, ne peuvent pas apporter, selon moi, leur caution à un accord qui tourne le dos à nos convictions de toujours, à nos engagements permanents sur la culture, sur l’art, sur le vivre ensemble comme on dit aujourd’hui. Je crois que l’on doit tenir bon, j’ai vécu moi-même une crise comparable en 1992. Sylvie Hubac qui est actuellement directrice du cabinet du président de la République, était ma directrice de cabinet.
CD : et Martine Aubry, la Ministre du travail
JL : Martine Aubry était Ministre du travail, nous avons tenté de discuter, nous avons discuté plutôt, avons nommé un médiateur, un vrai de vrai, qui était une personnalité reconnue par tous, Jean-Pierre Vincent
CD : mais justement, vous parlez de 92, on était aussi en pleine disette budgétaire, et le budget de la culture avait augmenté. Hier en Conseil des ministres, ont été présentée les coupes budgétaires des ministères et par exemple celui de la culture à moins 69 millions d’euros. Ca vous choque ?
JL : je ne peux pas changer mes convictions au gré de mes sympathies ou des circonstances. J’ai toujours pensé – je pense toujours – plus fortement que jamais, que, s’il y a crise, c’est une raison supplémentaire, non pas pour diminuer mais pour augmenter les crédits de la culture, les crédits de l’éducation, les crédits de la recherche. C’est la seule voie par laquelle nous pouvons sortir de ce marasme dans lequel nous sommes, c’est la seule voie qui nous permet de redonner un sens à notre vie collective… Et en effet, vous avez raison, en 83, nous connaissions un chômage de masse, la rigueur budgétaire, et le Ministère de la culture a été augmenté. Idem en 92. Et je souhaite que l’on puisse faire le même effort aujourd’hui, ce serait un signe donné à la jeunesse, un signe donné à la société, que notre pays ou ses gouvernants croient à l’avenir.
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