Par Isabelle Backouche (Directrice d’études, EHESS ), Michel Barthélémy (Chargé de Recherche, CNRS ), Francis Chateauraynaud (Directeur d’études, EHESS ), Yves Cohen (Directeur d’études, EHESS ), Sophie Desrosiers (Maîtresse de conférences, EHESS ) et Christian Topalo (Directeur d’études, EHESS)
Les intermittents revendiquent depuis plusieurs semaines contre le protocole du 22 mars face à un gouvernement socialiste qui avait fait bien des promesses avant le 6 mai 2012. Les chercheurs aujourd’hui connaissent une déception identique face à un gouvernement qui utilise les mêmes méthodes pour contrer les revendications du terrain. La loi sur l’ enseignement supérieur et la recherche (ESR) votée en juillet 2013 fixe, de façon étonnante aux yeux des juristes, la date butoir du 22 juillet 2014 pour que les universités se regroupent et adoptent de nouveaux statuts. Alors que les dispositions de la loi ouvrent plusieurs scénarios pour construire ces regroupements – notamment l’association – le ministère, bien qu’il s’en défende publiquement, impose à tous les présidents d’université la Communauté d’universités et d’établissements (Comue), dispositif qui fera perdre à chacun des partenaires sa souveraineté et son identité, au profit d’une nouvelle instance fédérale, dirigée par une poignée de patrons protégés institutionnellement de toute influence de ceux qui font l’université : enseignants, personnels, étudiants.
En soulignant les traits communs aux combats des intermittents et des chercheurs dans leur dialogue avec les pouvoirs publics, nous souhaitons mettre en exergue une méthode de gouvernement. Une même schizophrénie des membres du gouvernement qui trahissent les promesses faites au cours de la campagne présidentielle. Ils s’étaient engagés à doter les intermittents d’un régime qui s’inspire des riches propositions qu’ils ont faites depuis 2003, tout comme ils avaient promis de revoir la loi sur l’autonomie des universités imposée par Valérie Pécresse en 2007 sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Au lieu de cela, la loi sur l’ESR, adoptée sous l’égide de Geneviève Fioraso, conseillée par des membres de son cabinet déjà présents dans les équipes en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche sous le quinquennat précédent, a accéléré une intégration des universités, au nom de la visibilité internationale et de la logique de sites, autant d’arguments qui ont peu à voir avec la qualité de la recherche et de l’enseignement qui sont les missions des enseignants chercheurs.
A cela s’ajoute un calendrier imposé, et qui rend impossible la mise en œuvre des rouages démocratiques, le dialogue social et l’ajustement des complémentarités. Il faut accepter les propositions gouvernementales au nom de raisons éminentes qui supposeraient que la confiance ne soit pas rompue entre les acteurs de terrain – chercheurs comme intermittents – et le gouvernement. Mais surtout, les ministères en charge de ces dossiers pratiquent la division pour parvenir à leurs fins. Dans le cas des intermittents, le spectre des conséquences négatives sur l’économie locale qu’aurait une grève qui ferait annuler les festivals de l’été, et notamment celui d’Avignon, est agité face à ceux qui veulent résister. Face à une telle pression, faite pour culpabiliser, l’équipe en charge du « festival off » d’Avignon s’est vu contrainte d’appeler à la raison, et de plaider la cause de toutes les compagnies qui se sont endettées pour se produire à Avignon. Jouer les organisations contre les acteurs : voilà la méthode peu honorable sur laquelle le gouvernement s’appuie pour marginaliser ceux qui défendent la survie des intermittents et donc du spectacle vivant dans le long terme. Du côté de la recherche, le chantage ministériel va bon train pour convaincre les présidents d’université qui hésiteraient à suivre la voie de la Comue : suspension du contrat en cours de signature pour nous octroyer les moyens de travailler dans les 5 ans à venir, menace sur l’espoir de décrocher un financement important, labellisé « initiative d’excellence » (Idex), risque de se retrouver isolés si les autres signent. La solitude et le chaos, voilà ce qu’agite le ministère, profitant de la dispersion des nombreux chercheurs qui construisent des critiques raisonnées et argumentées contre les projets ministériels.
Ainsi, le seul argument qu’un pouvoir de gauche utilise est le chantage et l’intimidation face à des acteurs sociaux qui souhaitent discuter des objectifs – culturels et scientifiques – des transformations en cours. Car toutes ces réformes ignorent l’essentiel, la survie d’un tissu riche et vivant en matière culturelle et celle d’une liberté de la recherche que les réformes imposées corsettent pour mieux servir d’illusoires perspectives d’aménagement du territoire et de concurrence internationale en matière de formation.
Enfin, nos deux combats sont menés au nom de la défense d’un modèle français que beaucoup nous envient. La diversité et la richesse du spectacle en France est unique au monde, et cela grâce au régime des intermittents. Les résultats de la recherche fondamentale en France s’appuient sur des universités et des grands établissements qui offraient jusqu’à la fin du XXe siècle, une véritable liberté de recherche et des moyens conséquents. Autant d’atouts qui sont aujourd’hui mis en péril par une volonté de rationalisation et de standardisation des formations et des établissements pour supprimer des postes de personnel enseignant, technique et administratif. Par ailleurs, la mission d’enseignement remplie par les universités répondait à l’exigence d’un enseignement public de qualité, et on ne peut rendre les universitaires responsables des effets de notre système d’enseignement supérieur dual (universités, grandes écoles) et de la concurrence montante d’écoles privées.
Ainsi, en matière culturelle comme en matière de recherche et d’enseignement supérieur, deux domaines qui, de par leurs objets, portent encore et toujours avec eux des alternatives au marché et à l’emprise de la finance, le pouvoir socialiste a trahi ses promesses, poursuivant les politiques menées par la droite quand elle était au pouvoir. Au contraire, nous pensons que la culture, la recherche et la formation des jeunes ne doivent pas se plier à des logiques comptables, à des objectifs de court-terme, aveugles aux effets d’émancipation et de formation qu’intermittents, chercheurs et enseignants du supérieur prodiguent en accomplissant leur mission. Refusons la destruction d’un modèle d’intelligence collective au nom d’un alignement international qui fera disparaître de véritables atouts des mondes de la culture et de la recherche.
Isabelle Backouche (Directrice d’études, EHESS )
Michel Barthélémy (Chargé de Recherche, CNRS )
Francis Chateauraynaud (Directeur d’études, EHESS )
Yves Cohen (Directeur d’études, EHESS )
Sophie Desrosiers (Maîtresse de conférences, EHESS )
Christian Topalo (Directeur d’études, EHESS)
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