Choc des civilisations à Gaza
D’un côté, il y a Israël, un pays occidental et surarmé, devenu l’avant-garde du « monde civilisé » face aux « barbares », aux « terroristes » et aux « intégristes ».
Dans la société israélienne, on parle des « tunnels de la mort » pour décrire les constructions rudimentaires grâce auxquelles les combattants gazaouis ont pu surprendre la vaillante « Tsahal », « l’armée la plus morale du monde ». Et comme l’a dit Hollande, Israël « a le droit de se défendre ». Ban-ki-Moon en a rajouté une couche en parlant de la barbarie … du Hamas, supposé avoir enlevé un soldat israélien sur le territoire de Gaza !
Ironique, l’historien israélien Shlomo Sand rappelle que, enfant, il était bien sûr pour les cow-boys et contre ces Indiens peinturlurés, hurlants, grimaçants et balançant des flèches comme ils pouvaient. Les cow-boys étaient des héros blancs.
L’armée israélienne, c’est Custer ou Chivington vénérés pour avoir exterminé des sauvages à Washita River ou Sand Creek.
Israël, vers la fascisation ?
Michel Warchawski évoque la peur qui s’installe en Israël. Au moment d’une manifestation anticolonialiste, il voit en face ces « dizaines de fascistes qui éructent leur haine ainsi que des slogans racistes ». « La violence coloniale est passée à un degré supérieur comme l’a montré l’assassinat de Muhammad Abou Khdeir brûlé vif par trois colons ». Des manifestants pro israéliens à Paris expliquent : « pour nous, un enfant juif qui meurt, c’est grave, on aime la vie; pour les Palestiniens, ce n’est rien, c’est un martyr de plus ».
Avec le complexe de Massada (*), les Israéliens se vivent comme des victimes. Eyal Sivan montre comment le négationnisme s’est généralisé dans le discours. Ce ne serait pas les Israéliens qui tuent mais le Hamas qui utilise des boucliers humains et des otages ! Eyal parle de « blanchissement » des Juifs. Ils étaient les « Arabes » de l’Europe. En adoptant le discours islamophobe, ils sont à l’avant-garde du combat contre les Musulmans. Il peut conclure sur « l’aryanisation » des Juifs.
Zeev Sternhell parle d’écroulement de la démocratie israélienne et il compare l’atmosphère dans son pays à celle de la France en 1940. Au même moment, l’extrême droite manifeste contre le mariage de deux Israélien-ne-s, elle juive, lui palestinien, avec le soutien de l’opinion publique.
Le journal Haaretz cite une gamine de 10 ans : « pour moi, les Arabes sont quelque chose que je ne peux ni voir, ni supporter. Je suis terriblement raciste. Je viens d’une maison raciste. Si j’ai la chance à l’armée d’en tuer un, je le ferai plutôt deux fois qu’une. Je suis prête à tuer de mes mains si c’est un Arabe … ». Ce qui est significatif, ce n’est pas ce que dit cette gamine, dans tous les camps on peut trouver des exemples de ce genre. Il ne s’agit pas ici d’un micro-trottoir et ces propos sont révélateurs de ce que la société israélienne est devenue.
Une guerre programmée tous les deux ans
Le sionisme ne protège pas les Juifs. Il crée volontairement la tension et la guerre pour leur « offrir » la seule solution « réaliste » : l’enfermement des Israéliens dans un bunker surarmé qui est une tragique reconstitution symbolique du ghetto. Sauf que cette fois, il est choisi et pas imposé. Faut-il remonter en arrière ? 2002, invasion de la Cisjordanie. 2006, attaque du Liban, 2008-2009 premier grand massacre à Gaza suivi d’un autre en 2012 et de celui qui est en cours. Dans ce bunker, la vie d’un-e Israélien-ne est sacrée, celle d’un-e Palestinien-ne ne compte pas. D’ailleurs l’armée israélienne « intervient à Gaza pour sauver les Palestinien-ne-s du Hamas », c’est bien connu. Et cette version surréaliste a obtenu un large assentiment dans l’opinion publique israélienne
« Bordure protectrice », drôle de nom pour un massacre. Cette fois la novlangue israélienne a manqué d’imagination pour donner une touche poétique à ce massacre de masse.
Pourquoi Nétanyahou, poussé par les fascistes Bennet et Lieberman a-t-il lancé cette opération ?
Le gouvernement d’extrême droite israélien avait été mis en difficulté lors des pseudo négociations imposées par John Kerry. Celui-ci avait lâché des mots lourds de menaces, parlant d’entrave et même d’apartheid. Poussé par un immense sentiment populaire, Fatah et Hamas avaient fini par former un gouvernement palestinien d’union nationale et ce gouvernement était en passe d’être reconnu par les principaux États de la planète. Et puis, les pressions sur l’Autorité palestinienne s’étaient multipliées afin qu’une plainte pour crimes de guerre soit enfin déposée contre les dirigeants israéliens.
Les Israéliens ne veulent pas être obligés de reconnaître que l’occupation et l’apartheid ne cesseront jamais et qu’il n’y aura pas d’État palestinien sauf l’actuel bantoustan qu’on baptisera État. Le but de la tuerie actuelle n’est sûrement pas d’affaiblir le Hamas que la propagande israélienne a durablement réussi à diaboliser. Il est clairement de souder l’opinion publique israélienne et les alliés proches afin de perpétuer la colonisation et le statu quo. Israël est le champion de « l’idéologie sécuritaire » et le complexe militaro-industriel dirige le gouvernement. L’invasion de Gaza aura permis de tester l’efficacité d’un bouclier anti-missile destiné à la vente. Les Israéliens étaient sûrs que les Américains remplaceraient instantanément les munitions utilisées et ils ne se sont pas trompés.
Accessoirement, comme l’a dit le journaliste anticolonialiste Gidéon Lévy, le gouvernement Nétanyahou avait aussi pour but de tuer un maximum d’Arabes, comme si les destructions et les souffrances pouvaient éradiquer définitivement toute idée de vivre ensemble à l’avenir.
« Gaza doit devenir un champ de ruines d’où ne peuvent sortir que des gémissements »
Cette phrase est de Jacques Kupfer, un Français qui dirige le Likoud international.
Avant l’attaque israélienne, Gaza était une cage, un champ d’expérimentation pour les assassinats plus ou moins ciblés, les bateaux de pêches mitraillés, les flottilles arraisonnées, les champs bombardés et piétinés par les tanks, la nappe phréatique pompée. Avec la complicité active de l’armée égyptienne, il était devenu très difficile d’entrer ou de sortir de Gaza, la fermeture des tunnels ayant accéléré le chaos avec une pénurie généralisée d’essence et d’électricité.
Près de 90% des 2000 mort-e-s et plus sont des femmes, des enfants, des vieillards, des civils. Un tiers de la population de Gaza a dû fuir son logement, mais il n’y a aucun refuge sûr dans ce minuscule territoire. Des villages, des quartiers ont été pulvérisés. Toute la population a frôlé la mort a un moment ou à un autre et a été traumatisée.
L’armée israélienne a fait sauter l’immeuble où habitait (mais il n’était pas là ce jour-là) Mohamed al-Dhaif, chef des brigades al- Qassam. Il y a eu de très nombreuses victimes. La terre a tremblé à 2 Km à la ronde.
L’armée israélienne ne parle que du Hamas. Certes celui-ci représente une partie de la population et la majorité des groupes armés.
La sauvagerie de l’attaque israélienne a soudé toute la population et tous les groupes armés derrière l’idée que la résistance est un droit absolu. Jihad islamique, FPLP et Fatah combattent aux côtés du Hamas.
Les lettres qui nous arrivent de Gaza parlent des orphelins jamais aussi nombreux, de la terreur qu’inspirent les drones qui tournent toute la journée comme des vautours, des sourires qui ont disparu, du besoin aigu de psychologues pour arriver à survivre.
En France, le soutien à Gaza est venu principalement des quartiers populaires et de la population postcoloniale. Ce n’est pas un hasard. Il était logique que le mépris meurtrier et la destruction d’une société fassent écho.
Et si Israël avait perdu ?
Le monde arabe est paralysé et plusieurs pays connaissent des situations de guerre civile. L’expédition à Gaza aurait dû être une promenade de santé pour la quatrième armée du monde. Et pourtant, l’armée israélienne a eu plus de 60 morts. 50 jours après le début de l’offensive, les missiles continuaient de partir de Gaza. Dans quelques années, ils atteindront les villes israéliennes. Les plus fous dans l’opinion peuvent demander qu’on envoie une bombe atomique sur Gaza mais les militaires israéliens n’ont pas de solution. Quand ils bombardent la station d’épuration de Gaza, la pollution remonte jusqu’à Tel-Aviv.
Pour gérer l’apartheid, le gouvernement israélien a besoin d’une Palestine fragmentée. Un des buts de l’offensive était de briser l’unité palestinienne. C’est loupé, la volonté d’unité est telle en Palestine que même Mahmoud Abbas ne peut pas collaborer comme il l’a trop souvent fait.
La présence d’un gouvernement d’extrême droite décomplexé à Jérusalem provoque un isolement diplomatique jamais connu. Après la Bolivie et le Venezuela, le Chili et le Brésil ont gelé les relations politiques.
Les dégâts pour Nétanyahou dans l’opinion publique mondiale sont considérables. Le pays voyou n’arrive plus à donner le change, le chantage à l’antisémitisme marche de moins en moins, il sert juste à mettre les Juifs en danger et à pousser ceux de la diaspora à émigrer. La réalité (« c’est le sionisme qui est antisémite ») progresse dans les esprits.
Le BDS (**) remporte chaque jour des nouveaux succès. Un nombre croissant d’artistes refuse explicitement de se produire en Israël. Des dockers d’Oakland refusent de décharger un navire de la compagnie Zim. Des clubs sportifs demandent l’exclusion des clubs israéliens des compétitions. Des auteurs de BD refusent que le festival d’Angoulème soit sponsorisé par Sodastream. Les actions dans les supermarchés se généralisent. Les dirigeants européens qui ont multiplié toutes les astuces pour ne pas sanctionner Israël vont être contraints petit à petit à bannir les produits des colonies de nos étals.
Ceux qui collaborent avec Nétanyahou vont le payer. D’après un sondage, une moitié de l’opinion américaine et une majorité des électeurs démocrates désapprouvent l’attaque contre Gaza. En France, des dizaines d’élus du PS ont protesté publiquement contre la complicité de Valls et Hollande avec l’agresseur.
En Israël même, il y a une ruée sur le deuxième passeport. La partie la plus occidentalisée de la population n’a plus confiance dans la stratégie du « ça passe ou ça casse » et se prépare à un départ possible. Déjà 15% de la population juive israélienne vit hors d’Israël.
Questions sur le cessez-le-feu
Deux questions clés se jouaient avant l’accord de cessez-le-feu obtenu pat l’armée égyptienne.
Celle du blocus. Il y avait unanimité côté palestinien pour ne pas accepter un cessez-le-feu qui maintiendrait le blocus ou une reconstruction de Gaza qui exclurait l’ouverture d’un port et d’un aéroport. Nétanyahou a longtemps dit non, ce serait pour lui un suicide politique mais il n’était pas prêt à une guerre d’usure. L’accord a permis aux militaires égyptiens de jouer leur propre partition : la fin du blocus contre la prise de contrôle d’un Gaza démilitarisé par l’Autorité palestinienne. A terme, un tel avenir paraît peu réaliste et le régime égyptien a une peur panique d’avoir à assumer Gaza avec la seule ouverture de la frontière de Rafah.
Et puis, même si on en est encore loin, même si la « justice » internationale n’a été créée que pour juger les ennemis de l’Occident, l’hypothèse d’une inculpation des dirigeants israéliens n’est plus un fantasme irréel. Là ce serait un coup terrible pour le sionisme, comparable à ce qu’avait été l’expulsion de l’Afrique du sud des Jeux Olympiques à l’époque de l’apartheid.
Alors, qu’est-ce qui a vraiment été signé au Caire ? Une partie du mouvement de solidarité crie victoire et compare ce cessez-le-feu à l’évacuation du Liban après 20 ans d’occupation. Il est évident que Nétanyahou sort très affaibli auprès de son opinion publique. Pas pour les crimes perpétrés mais pour son « inefficacité ». Si les Gazaouis, après plus de 2000 morts et des destructions effroyables, obtiennent la levée du blocus, le droit de pêcher et l’ouverture du port et de l’aéroport, ce serait une victoire incroyable de la résistance armée, en opposition avec l’inefficacité totale d’une Autorité palestinienne qui s’est embourbée dans des négociations honteuses. Rien ne prouve qu’Israël acceptera à terme une telle issue.
Je terminerai sur les urgences que Gaza nous impose : amplifier le BDS, délégitimer Israël, exiger de briser le blocus de Gaza. Amplifier les liens qui se sont tissés dans la rue. Expliquer sans relâche que cette guerre n’est ni religieuse ni raciale et qu’elle porte sur des questions fondamentales : le refus du colonialisme et l’égalité des droits.
Pierre Stambul
(*) Massada est une citadelle dominant la Mer Morte. En 73 ap JC, après la destruction du temple de Jérusalem, les Juifs révoltés contre les Romains, assiégés dans Massada, auraient préféré le suicide à la reddition.
(**) BDS : boycott, désinvestissement, sanctions. En réponse à l’appel palestinien de 2005, il s’agit d’un boycott politique, économique, commercial, culturel, universitaire, sportif, syndical … d’Israël sur les revendications suivantes : fin de l’occupation, de la colonisation, du blocus, libération des prisonniers, égalité des droits, droit au retour des réfugiés.
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