L’ÉTAT D’ISRAËL, UN GANG DE VOLEURS DE TERRES (Par Amira HASS)
mardi 2 septembre 2014
La journaliste du Haaretz n’y va pas par quatre chemins pour désigner la vraie nature de l’Etat d’Israël, un gang armé de voleurs de terres, après l’annonce d’une nouvelle expropriation des Palestiniens de Cisjordanie, 400 hectares près de Jérusalem. (traduction CAPJPO-EuroPalestine)
TITRE : Israël, un Etat de vol à main armée
Amira Hass, le 2 septembre 2014
Ce qui est étonnant, c’est qu’il y ait encore des gens pour faire mine d’être surpris en apprenant la réussite d’un nouveau vol à main armée, ce que le jargon officiel appelle « une déclaration de transfert de terres sous propriété d’Etat ». Les mêmes font mine d’être surpris à l’annonce que le ministère de la Défense aura la part du lion dans le prochain budget, au détriment de l’Education, qui va subir les coupes les plus importantes de son histoire.
Notre régime repose sur trois piliers : le vol de terres accompagné de l’expulsion de ceux qui y vivent ; l’entretien d’une bande de gardes du corps sécurisant le pillage –« l’armée », dans notre argot local ; l’éradication des acquis sociaux, en même temps que l’effacement de tout principe de solidarité collective.
Sans ces trois fondements, ce ne serait pas notre régime. Mais quand on s’arrête aux détails, aux seuls épisodes, on exprime sa surprise, et on perd la vision générale du tableau. On oublie que c’est cela, le régime dans lequel Israël vit.
S’il n’y avait pas eu au mois de juin cette affaire des trois adolescents enlevés au niveau du Gush Etzion (colonie adjacente à Jérusalem, NDLR) puis assassinés, l’armée aurait trouvé un autre prétexte pour lancer la construction d’une nouvelle méga-colonie, et, à travers ce développement, créer encore plus d’enclaves (palestiniennes) et de prisons à ciel ouvert (autre principe fondamental de notre régime).
Si la guerre contre Gaza n’avait pas été menée, les molosses qui nous dirigent auraient trouvé d’autres moyens pour persuader le gouvernement de remplir leurs caisses. Mais quand bien même il n’aurait pas ouvert les cordons de sa bourse après les opérations militaires, le gouvernement n’aurait pas pour autant adopté une politique moins inégalitaire en termes socio-économiques.
Dans un monde idéal, toutes les victimes de notre régime devraient s’unir, et exiger le changement. Dans un univers encore plus parfait et plus rationnel, les victimes ne se contenteraient pas d’exiger le changement, elles l’imposeraient. Mais dans le monde réel, c’est aux Palestiniens, que nous, Israéliens, faisons porter le fardeau de cette exigence de changement.
N’attendons rien, par les temps qui courent, des citoyens juifs israéliens (à l’exception d’une poignée de militants de gauche). Nous les juifs, bénéficions de l’existence de ce régime, y compris lorsque la nouvelle religion est l’enrichissement d’une minorité de privilégiés, là où la majorité se bat pour joindre les deux bouts chaque mois. Notre Etat-providence réservé aux juifs connaît la prospérité dans ce que les colons appellent la Judée-Samarie (Cisjordanie occupée, NDLR), alias le YOSH, son acronyme hébraïque.
Le YOSH incarne le rêve d’une promotion socio-économique individuelle pour tous les juifs en Israël, c’est-à-dire de gens qui souffrent eux-mêmes des politiques anti-sociales de leur gouvernement. Mais faites vos bagages et partez quelques kilomètres plus loin dans les colonies ou dans de petites localités de la Galilée, et vous constaterez qu’il n’y est plus question de politiques d’austérité.
La claire conscience qu’il est possible à un individu d’augmenter facilement son propre niveau de vie annihile la capacité des juifs à engager une action collective pour le mieux-être. C’est dans un tel contexte que s’est formée dans notre pays l’alliance entre le parti Yesh Atid, qui a tiré sa force du mouvement de protestation contre les prix des loyers, et le parti Habayit Hayehudi, dont le fonds de commerce électoral repose sur le « rêve » d’un chez soi de charme en Cisjordanie. N’oublions pas le troisième pilier cité plus haut, et on observera comment tout cela prend forme, en béton armé.
Les dirigeants militaires d’aujourd’hui sont des futurs patrons de multinationales, fabricants d’armements, exportateurs, et instructeurs des armées de tyrans milliardaires dans le monde. Leur job actuel, temporaire, qui consiste à protéger le vol des terres palestiniennes, est la garantie de la prospérité de chaque membre de cette influente camarilla. Le désir d’en être, et la possibilité effective d’en être, compensent les dégâts de la politique anti-sociale du gouvernement.
Les Palestiniens sont le seul groupe du pays –entre la mer et le Jourdain- à souffrir des trois piliers à la base de ce régime. Ce sont les seuls aussi à résister et à se battre pour le changement. Ce faisant, ils luttent également pour les intérêts à long terme de la population juive. Cette résistance, nous refusons d’en voir le caractère fondamental et global, et la traitons comme s’il s’agissait d’autant de détails et d’épisodes, qu’alors nous condamnons et réprimons : « jets de pierre », « terrorisme », « émeutes », « provocations », « « roquettes Ghassam », « attaques par tunnel », « Nations-Unies », « infiltrés », « BDS » ou encore « construction de logements sans permis ».
Pour nos chefs sécuritaires, tout est pareillement dangereux, et ils n’ont pas tort. Discuter des « détails » -ou plus exactement des forces et faiblesses, voire de la moralité de tel ou tel aspect de la lutte- est légitime, mais ne doit pas nous faire perdre de vue le tableau d’ensemble.
LES PALESTINIENS SE DEFENDENT CONTRE UNE BANDE DE VOLEURS ARMES
Amira Hass, le 2 septembre 2014
http://www.haaretz.com/misc/article-print-page/.premium-1.613551?trailingPath=2.169%2C2.223%2C
Avez-vous lu de la même Boire la mer à Gaza (chroniques de 1993 à 1996)?
“e livre dont il est question ici, Boire la mer à Gaza, est un recueil d’articles écrits et publiés dans le journal Haaretz, entre 1993 et 1996 (publication du livre en Israël). Le titre est tiré d’une expression arabe, signifiant familièrement “va au diable!”. Dans la région, chez les Palestiniens comme chez les Israéliens, on convient généralement, comme l’écrit Sylvain Cypel dans Le Monde du 22 décembre, que “Gaza, c’est l’enfer”. Ancien port à l’histoire millénaire, c’est aujourd’hui une ville située dans une zone enclave, la “bande de Gaza” où vivent, outre les citadins, des réfugiés et des colons. Les accords d’Oslo devaient entre autres choses régler la question du “transfert d’autorité” de l’armée israélienne à l’Autorité palestinienne.
Amira Hass apporte ici des témoignages, des entretiens, des choses vues et des mises en regard d’analyses provenant de différentes instances et portant sur plusieurs périodes. À travers des entretiens réalisés avec d’anciens militants devenus aujourd’hui des responsables en vue, elle revient par exemple sur la première Intifada et sur la manière dont ils ont pris la tête du mouvement et imposé des faits accomplis à la direction de l’OLP, que l’exil avait fini par couper du terrain. Ce sont ces jeunes dirigeants locaux, plus militants qu’hommes d’appareil, que Yasser Arafat, faute de pouvoir les contrôler, avait appelés ses “généraux”. Ailleurs, elle documente les petits faits quotidiens qui témoignaient de l’arrogance et du mépris des soldats d’occupation, lesquels à leur tour ne font que renvoyer à la mauvaise foi stupéfiante des autorités politiques et militaire israéliennes. Elle note aussi les transformations parfois minuscules qui eurent lieu au cours des étapes du transfert d’autorité qui fit suite aux accords d’Oslo et qui indiquent la rapidité avec laquelle on s’acclimate au sentiment de la liberté. Elle marque enfin le grippage originel lié aux points laissés en suspens à Oslo et la pusillanimité d’accords qui laissaient à la mauvaise volonté des Israéliens toutes opportunités de se manifester efficacement (blocage des points de passage, interdiction aux ouvriers travaillant en Israël de passer la frontière, fermeture de l’aéroport, non respect de l’obligation d’établir un corridor avec la Cisjordanie). Pour autant, elle n’épargne pas l’incompétence, pour dire le moins, des dirigeants de l’Autorité palestinienne. Le résultat est que la situation des Gaziotes, en fin de compte, n’a cessé de s’aggraver depuis 1994.
Si nous avons en France la chance d’avoir accès à des publications importantes sur le sujet, telles la Revue d’études palestiniennes, il subsiste une certaine ignorance de l’existence en Israël même d’une authentique dissidence critique relativement à la doxa locale très fortement majoritaire. Il me semble utile de faire entendre ici ces voix qui résistent au système de manipulation qui tend à rendre inaltérable le système de la paranoïa et de l’oppression, sous influence d’institutions politiques et éducatives redoutablement efficaces. Ces voix, longtemps occultées ici par celles, plus emblématiquement paralytiques et tièdement consensuelles, d’un Amos Oz ou d’un David Grossman, commencent heureusement à être connues ici (voir Le Monde du 22 novembre 2000 ; voir aussi Le Monde diplomatique, novembre 2000). Je crois nécessaire d’en proposer un accès de première main et non plus seulement d’ouï-dire. Boire la mer à Gaza apporte le témoignage de l’une des nombreuses modalités de la résistance, thème qui reste sensible en France : résistance à la doxa politique et mise en œuvre d’une machine critique à partir d’un déplacement spatial infime du locuteur – de Tel Aviv à Gaza. Il convient ici de rappeler ce qui est devenu déjà légendaire à propos du personnage de l’auteur. Sa mère, sarajévienne et rescapée de Bergen Belsen, lui a raconté, alors qu’elle était enfant, une scène qui s’est gravée dans sa mémoire et gouverne aujourd’hui tout son travail et son engagement politique : descendant du train qui l’amenait au camp, la jeune fille avait aperçu un groupe de femmes qui regardaient le convoi, mi-curieuses, mi-indifférentes. Très tôt, Amira Hass a su qu’elle ne serait jamais de ceux qui restent sur le côté pour regarder. Ce qui signifiait qu’elle serait à l’intérieur, pour partager et témoigner. Amira Hass fait un travail qui, à sa manière journalistique, va dans le même sens que celui des Nouveaux historiens israéliens : c’est un travail de démythification et de réancrage des outils de la pensée dans un monde où l’autre, l’interlocuteur avec qui l’espace est en partage, est bien en vue et non l’objet d’une dénégation répulsive/compulsive. La pertinence de cet effort me paraît devoir toucher non seulement ceux qui s’intéressent au conflit israélo-palestinien, mais de manière plus générale, ceux pour qui les questions que pose la résistance ne sont pas épuisées et ceux pour qui la destinée tragique du peuple palestinien, celle pathétique du peuple juif n’ont rien d’énigmatique ni de divin, mais restent un défi devant lequel il importe de ne pas laisser céder la pensée.
Amira Hass
Amira Hass est journaliste et l’une des voix les plus tranchantes en Israël. Elle est de ceux qui refusent de voir dans les accords d’Oslo le nec plus ultra du pacifisme et de la volonté de dialogue, identifiant au contraire dans les présupposés et les omissions qui sont au centre de ces accords un réseau de difficultés programmant par avance l’échec de leur application.