Plan antistress de France Télécom
Les médecins du travail au cœur de la crise de confiance
Le rapport Technologia sur les risques suicidaires à France Télécom pointe le manque de confiance des salariés dans les RH et la médecine du travail, obstacle principal à l’efficacité de toutes mesures préventives. Mais pour l’un des praticiens de l’entreprise, c’est tout l’ensemble du dispositif santé au travail, dépourvu d’agrément ministériel, qui doit être aujourd’hui remis à plat.
PENDANT LA CRISE, les recherches sur les causes du stress à France Télécom se poursuivent. Un rapport d’étape vient d’être remis à la direction de l’opérateur, réalisé à partir de 500 entretiens individuels de salariés. Commandé en septembre au cabinet d’expertise Technologia, après une série de suicides dans le groupe, il est publié par « Les Échos », alors que, depuis janvier, huit salariés ont mis fin à leurs jours, hors du lieu de travail (chiffre fourni par les syndicats et la direction). Il faut, recommande le document, « réformer profondément la fonction de ressources humaines », « revoir le système de management » et « renforcer le sentiment d’appartenance des collaborateurs de France Télécom ». Mais, souligne-t-il, « l’obstacle principal à l’efficacité de toutes mesures préventives est le manque de confiance des salariés dans les RH et la médecine du travail. »
Listant les « éléments de diagnostic » concernant celle-ci, le rapport fait état d’une « crise majeure, avec la démission de médecins du travail ». Il épingle le « manque de sensibilité des managers à la dimension légale mais aussi préventive du suivi médical en entreprise », la « peur des salariés sur la stigmatisation éventuelle », la « surcharge de travail des médecins », la « lourdeur des tâches administratives des services médicaux », ainsi que la « faible attractivité du poste de médecin du travail ».
En tant que médecin restée dans l’entreprise, le Dr Nicole Honorat, sans nier la réalité de ces divers éléments (hormis le dernier de la liste), considère que « la prévention des risques psychosociaux prendra du temps, mais déjà, estime-t-elle, des avancées substantielles ont été réalisées, avec l’annonce la suspension des mesures de mutations. C’est rassurant pour l’ensemble des salariés », constate-t-elle. Quant à l’écoute des manageurs sur ses demandes de reclassement, elle affirme qu’elles sont « globalement écoutées par la direction ». Cela n’empêche pas le médecin du travail de reconnaître que « le dispositif de santé au travail, au sein de France Télécom, nécessite d’être amélioré. Si déficit de confiance il y a de la part des salariés, c’est à son sujet », juge-t-elle.
Rejet de la demande d’agrément.
De fait, la demande d’agrément déposée par l’entreprise a été rejetée en décembre dernier, une nouvelle demande étant en cours d’instruction pour un agrément provisoire d’un an. Selon un courrier du ministère du Travail, « les enquêtes conduites par l’ensemble des directions régionales du travail dans tous les établissements de France Télécom, au cours de l’année 2009, l’examen des avis des CE* et CCE*, les contrôles réalisés par l’inspection du travail ont mis en évidence de nombreux et graves manquements dans l’organisation, les moyens et les ressources mis à disposition du service de santé au travail. » Toujours selon le ministère, « le rythme et l’importance des réorganisations, les mobilités fonctionnelles et géographiques associées, engagées de façon continue ces dernières années, ont fait obstacle à la mise en place d’une organisation durable et efficace du service de santé au travail ».
Dans ce contexte tendu, le Dr Honorat juge que « les médecins du travail, sous l’autorité du médecin coordinateur de FT, doivent être des forces de proposition ». Ils pourraient contribuer à la mise en place du pole de compétences de prévention des risques psychosociaux dont le rapport Technologia recommande la création immédiate pour prévenir d’autres risques suicidaires, ou encore rejoindre un réseau de médiateurs qui, selon le même rapport, serait composé de 30 % d’intervenants extérieurs et de 70 % de collaborateurs de l’entreprise, qui relèveraient d’une entité autonome.
Pour le Dr Bernard Salengro, président du SGMT (syndicat général des médecins du travail CGE CGC), « la médecine du travail est actuellement dévoyée par la direction de France Télécom, qui enfreint les règles de la confidentialité et du secret médical. C’est la multiplication des manquements déontologiques qui a entraîné la démission d’une dizaine de praticiens depuis environ deux ans, sur un effectif estimé à 70. »
Parmi les mesures annoncées cet automne par l’opérateur figurait le recrutement de 10 % de médecins du travail supplémentaire (« le Quotidien » du 16 septembre). Depuis lors, aucun état des lieux de la médecine du travail n’a été rendu public.
› CHRISTIAN DELAHAYE
* Comité d’entreprise et comité central d’entreprise.
Le Quotidien du Médecin du : 10/03/2010
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