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Réflexions sur la déferlante de Jauffrets et de Brighellis, et plus largement sur la chasse aux voilées

par Renaud Cornand 
10 octobre 2014

Le mardi 30 septembre 2014, l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence a été le théâtre d’une agression verbale raciste de la part d’un enseignant ayant conduit une jeune femme portant un foulard, accusée d’être « le cheval de troie de l’islamisme », à quitter l’amphithéatre au sein duquel elle suivait son cours. Elle n’a donc pas été exclue à partir d’une loi ou d’un règlement intérieur mais exclue de fait par la volonté d’un acteur éducatif. Le traitement médiatique de cette agression, joliment requalifiée en « incident » ou « accrochage », en simple « dérapage » de la part d’un « personnage », voire en « altercation entre un professeur et une étudiante » [1], met en lumière plusieurs formes de dominations, et tout simplement une remise en cause de la légitimité de la présence en France d’une frange de la population.

Il s’agit malheureusement d’une des « affaires du foulard » dans l’enseignement supérieur en France parmi d’autres. Le seul fait que l’on parle ici « d’affaire » peut surprendre : la loi de 2004 – déjà contraire aux modalités d’application du principe de laïcité en cours jusque là – ne s’appliquant que dans les établissements primaires et secondaires. Les institutions d’enseignement universitaire ne sont donc en rien concernées. Mais le fait est que cette loi, en actant l’islamophobie comme un principe légitime d’action de l’Etat, a permis un déferlement tendant à en repousser au plus loin les applications.

Peut on être musulmane et scolarisée ?

Concernant le cadre scolaire, la loi de 2004 ne semble ainsi pas seulement agir comme une décision juridique désignant des pratiques comme illégales et entraînant des exclusions, mais aussi comme un signal rendant envisageable toute forme de coercition envers ceux qui peuvent être, dans un contexte donné, assimilés à la religion musulmane. Cette extension des domaines de la coercition se fait au moins dans deux directions :

- la première direction concerne ce que l’on pense être en droit de considérer comme visiblement musulman, et donc potentiellement soumis à une injonction à l’invisibilité ;

- la seconde est une extension dans le temps, visant à prolonger l’invisibilisation d’attributs vestimentaires considérés comme musulmans.

La première direction s’illustre dans la volonté de certains acteurs éducatifs de chasser hors des murs de l’école des des jupes considérées comme trop longues, donc assimilées à une pudeur exacerbée – dont on voit mal en quoi elle pourrait être considérée comme contraire aux valeurs de la république. Partant de là, ces tenues sont supposées être portées par les élèves concernées en relation avec une foi religieuse – là encore, l’application du principe de laïcité devrait plutôt conduire à s’assurer que ces élèves puissent les porter sans en être inquiétées – et certains se pensent être en droit de s’interroger sur la possibilité de les interdire.

C’est la deuxième direction de l’extension des domaines de la coercition qui est concernée par l’ « affaire » mettant en scène Jean-Charles Jauffret et une étudiante de Sciences Po, celle concernant l’effacement de la limite temporelle de l’invisibilisation du foulard dans le cadre scolaire. Pour faire bref sur la dimension factuelle de l’événement, de nombreux médias s’en étant déjà fait l’écho, l’enseignant désigne l’étudiante comme « le cheval de Troie de l’islamisme » au milieu d’un flot de remarques désobligeantes visant à lui montrer que sa présence n’est pas la bienvenue. Si l’on pouvait douter de la possibilité d’aller plus loin dans le racisme explicite, ces doutes sont levés par les propos du même Jauffret devant les caméras de France Télévision :

« Elle est complètement manipulée, elle me fait pitié ».

Le même ajoutant qu’il n’aurait pas agressé l’étudiante, mais lui aurait simplement fait remarquer « qu’elle gênait ses camarades en amphi ». Difficile de ne pas relever ici le transfert d’un mécanisme bien huilé dans la société française pour justifier la stigmatisation de l’islam : on fabrique un « problème musulman » puis on prétend ensuite répondre à une volonté du peuple silencieux lorsqu’on discrimine et qu’on exclut.

Peut on être issu-e de ZEP et à Sciences Po ?

Mais plus que sur l’événement en lui-même, profondément inquiétant en ce qu’il traduit une banalisation du racisme anti-musulman, et ce d’autant plus qu’il est concomitant d’autres phénomènes du même type [2], c’est sur certains traitements qu’il a suscités que je voudrais m’étendre ici. Tout d’abord sur la façon dont les medias dominants ont présenté l’étudiante concernée.

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