André Brink, la Palestine et l’Holocauste
mardi 9 mars 2010, par Alain Gresh
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Rien n’est plus exaspérant que la manière dont Nelson Mandela et les
responsables de la lutte contre l’apartheid sont transformés en icônes
(un bon exemple en est le film Invictus). On tente ainsi d’ôter à leur
lutte son caractère révolutionnaire, de faire oublier que l’Occident a
largement soutenu le régime de l’apartheid, que Mandela et ses camarades
étaient dénoncés comme des terroristes. Que, lors de sa prise de
fonctions comme président de l’Afrique du Sud libérée, Mandela a invité
Fidel Castro (dont les troupes en Angola, dans les années 1970, ont
contribué à la défaite du régime de l’apartheid) et Yasser Arafat.
On oublie aussi de mentionner la collaboration permanente d’Israël avec
le régime de l’apartheid et l’engagement de nombre d’intellectuels et de
responsables sud-africains, y compris juifs, aux côtés des Palestiniens.
Et la condamnation par le gouvernement sud-africain actuel des
politiques israéliennes, notamment à Gaza.
Récemment, un des plus grands écrivains sud-africains, André Brink, a
publié ses Mémoires, intitulés Mes bifurcations (Actes Sud, Arles,
2010). Le livre a reçu, à juste titre, un accueil très favorable de la
critique. Mais personne, à ma connaissance, n’a relevé ce passage.
« Mais l’expérience déterminante de ce voyage (de 2002) fut la visite à
l’université palestinienne de Birzeit. J’avais beaucoup lu sur le
conflit au Moyen-Orient ; à Salzbourg et ailleurs, j’avais eu de longues
conversations passionnées avec des écrivains palestiniens. Je me
rappelle encore ma discussion avec Hanan Mikhail-Ashrawi quand elle
était venue au Cap des années plus tôt. En plusieurs occasions avant sa
mort prématurée, j’avais aussi pu bénéficier de la grande sagesse et de
la douce humanité d’Edward Said. Mais cette immersion dans la terrible
réalité de cet endroit tragique, de cette terre et de son peuple, m’a
éprouvé comme peu d’expériences l’ont fait dans ma vie. Je crus
redécouvrir le cœur hideux de l’apartheid : la manière dont les
Palestiniens, y compris certains des êtres les plus merveilleux que j’ai
jamais rencontrés, sont soumis à l’une des oppressions les plus cruelles
ici-bas, le tissu d’hypocrisie et de mensonges qui, du côté israélien,
tente d’obscurcir et de déformer la vérité. Au cours de ce séjour se
produisit un événement particulièrement choquant : la bicoque d’un vieux
Palestinien fut rasée par les bulldozers de l’armée israélienne parce
qu’il avait osé installer une citerne sur sa toiture afin de récupérer
les quelques gouttes de pluie qui tombaient là. »
« J’ai vu le réseau d’autoroutes modernes construites pour les
Israéliens et les misérables petites routes auxquelles les Palestiniens
sont confinés ; j’ai vu les oliveraies, souvent seul moyen de
subsistance des agriculteurs palestiniens, arrachées par les
Israéliens ; j’ai vu la prolifération de nouvelles colonies israéliennes
en plein territoire palestinien, établies là à l’encontre de tous les
accords signés, simplement pour renforcer la présence et le pouvoir des
Israéliens dans un territoire qui ne leur appartient pas. J’avais déjà
vu cela, du temps de l’oppression des Noirs par les Blancs en Afrique du
Sud. J’avais déjà entendu les mêmes excuses et explications pieuses. »
« Quand j’y repense aujourd’hui, je ne peux écarter de mon esprit le
souvenir des terribles vestiges de Dachau et d’Auschwitz : si Israël ne
s’est jamais lancé dans un génocide de l’ampleur de l’Holocauste, le
nettoyage ethnique que cette nation inflige aux Palestiniens équivaut,
moralement, à une version lente et en mode mineur des camps de la mort.
J’ai du mal à comprendre comment un peuple pour lequel il a été si
difficile de se relever des horreurs de l’Holocauste peut ensuite
infliger à d’autres ce qu’on lui a fait. »
« Tout cela est projeté, concentré avec l’intensité d’un laser sur une
confrontation spectaculaire entre un jeune écrivain israélien et une
jeune femme palestinienne, belle et furieuse, lors d’une conférence au
Shloss Leopoldskron à Salzbourg, où il se peut que j’aie passé, je
crois, certains des moments les plus mémorables de mon existence. »
De telles déclarations prononcées par un intellectuel français
susciteraient, sans aucun doute, un procès de Avocats sans frontières,
l’organisation de Gilles-William Goldnadel, récemment élu à la direction
du CRIF et qui symbolise la droitisation de cette organisation.
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