Debout contre le fascisme et l’islamophobie – Pas au garde-à-vous derrière les racistes
Ce qui se met en place est la condamnation la plus catégorique vis-à-vis de ceux qui ont tué à Charlie Hebdo : ils ont suscité une vague d’unanimisme qui risque d’emporter toute tentative d’intelligence et légitime le pire des processus qui étaient déjà à l’oeuvre.
Le maire d’Oslo avait déclaré au moment du massacre opéré par un fasciste que “notre réponse doit être plus de démocratie, plus de générosité et plus de tolérance”.
Aujourd’hui on dit que la liberté d’expression est en danger mais tout le monde semble acquiescer à plus de flics et au relêvement de Vigipirate soit un régime permanent d’exception qui nous habitue à la limitation de nos libertés, au renforcement des pouvoirs de police et à voir l’armée intervenir dans nos rues.
On dit qu’il faut plus d’unité mais on somme des millions de MusulmanEs de se justifier et les attaques de mosquées sont traitées à la rubrique faits divers des journaux. Rappelons à ce sujet la réponse qu’avait fait Mohammed Ali, l’ancien boxeur, à un journaliste qui lui demandait, après les attentats du 11 septembre si ça ne lui posait pas de problème d’appartenir à la même religion que les terroristes. Il avait répondu : “Et vous ça vous fait quoi d’appartenir à la même religion qu’Hitler ?”
Alors osons, du moins soulever quelques questions.
Deux tueurs sont aujourd’hui traqués dans toute la France et seront peut-être abattus sans que personne n’ose poser la moindre question sur les moyens utilisés. Qui pense sérieusement que le danger, en France, aujourd’hui, c’est le développement d’un mouvement du type de l’Etat islamique, capable de prendre le pouvoir ou du moins de l’influencer ? Ceux qui développaient cette idée avant le 5 janvier avaient pour nom Renaud Camus, théoricien du Grand Remplacement repris par Jean-Marie Le Pen, les fascistes de Génération Identitaire, Eric Zemmour et Michel Houellebecq. N’est-ce pourtant pas l’hypothèse qui justifie actuellement les appels à la mobilisation générale ? N’est-ce pas pourtant plutôt le Front National qui plâne dans les sondages au point de rendre crédible l’idée de son accession au pouvoir dans le cadre des élections ? Et tout cela sur la base d’une radicalisation de franges ouvertement fascistes à ses marges ? Et la discussion ne porte même plus sur la manière de le combattre mais sur sa légitimité ou pas à être partie prenante de la mobilisation générale.
Et, dans la réaction prônée aujourd’hui, qu’est-ce qui va prospérer, qui va prospérer ? Dans les injonctions à l’unité nationale auxquelles se mêlent de manière indissolublement liées comme par un effet miroir, les injonctions faites aux MusulmanEs (soyons clairs, dans les faits aux Noirs et aux Arabes) à faire profil bas, bref à se rendre invisibles, qu’est-ce qui va prospérer, qui va prospérer ?
Dans cette idée qui progresse à grands pas ces derniers jours, d’un intérêt national qui se construit toujours contre unE autre, ici le terroriste que des années de racisme ont déjà amalgamé profondément à l’islamiste et celui-ci au Musulman, qui osera rompre le front commun de la Nation, pour une grève, la contestation d’un projet d’aéroport ou le soutien au Rrom, au Musulman, au sans-papiers discriminé ?
Qui aujourd’hui peut oser poser la question de comment nous en sommes arrivéEs là ? Qui, alors qu’il a soudain été décidé que ce 7 janvier la liberté d’expression a été mise en danger, peut simplement oser demander si la campagne médiatique sans précédent organisée pour la sortie, ce même 7 janvier, du livre d’un auteur ouvertement et violemment islamophobe n’était pas un problème ? Imaginez comment Zemmour et Marine Le Pen jubilent aujourd’hui et jubileront demain.
Vous l’aurez compris, je n’irai pas manifester ce dimanche derrière François Hollande, Manuel Valls, Nicolas Sarkozy et sans doute des membres du Front National.
Je n’irai pas manifester derrière ceux qui nous appellent à l’unité nationale et n’ont de cesse, hier ou aujourd’hui, au gouvernement, de renforcer les frontières, de démanteler les camps de Rroms, de stigmatiser les MusulmanEs. Derrière ceux qui, au nom de l’intérêt national, nous rendent de plus en plus pauvres et font des cadeaux aux riches. Derrière ceux qui ont créé le chaos au Moyen-orient et en Afrique et envoient ensuite leurs soldats y faire la guerre. Derrière ceux qui nous vendent la défense de la liberté d’expression mais interdisent les manifestations de soutien au peuple palestinien et envoient la police casser les manifestations contre le Front National. Derrière ceux qui ont créé les tueurs.
Je n’irai pas gonfler cette vague qui anesthésie notre intelligence.
Que faire alors face à cette vague qui semble nous submerger ? Exercer déjà, notre liberté d’expression qui est liberté de critique. Dire combien elle est bien plus dangereuse que ce qui l’a suscité.
Et continuer ensuite d’organiser les combats qui créent la véritable unité et la solidarité, celle qui met debout et pas au garde-à-vous : pour unir, dans nos quartiers et lieux de travail contre le racisme, l’islamophobie et le développement du fascisme. Mais aussi pour nos droits à une vie décente contre la loi Macron, pour la solidarité internationale avec Gaza, Homs et Kobané, avec les sans-papiers, pour les ZAD comme à Notre-Dame des Landes.
Ce ne sera pas l’unité nationale car dans ces combats nous trouverons en face de nous, demain comme hier, ceux qui nous appellent aujourd’hui à l’unité nationale et qui n’hésiteront pas à utiliser, contre nous, les moyens sécuritaires et policiers qu’ils renforcent actuellement. Ceux qui ont tué Rémi Fraisse.
Mais ce sera l’unité de notre classe, de nos quartiers, quelle que soit notre nationalité, notre religion, notre origine, notre couleur de peau. Ce sera la réponse pour “plus de démocratie, plus de générosité et plus de tolérance” seule à même de marginaliser et de tarir les réponses sectaires et folles.
Un dernier mot, pour tous ceux et celles qui descendront dans la rue dimanche, qui le feront par humanisme et n’ont pas le cynisme de Hollande, Valls ou Sarkozy. Le mercredi 7 janvier, comme chaque jour de l’année, comme ce sera le cas dimanche, alors que douze personnes tombaient à Charlie Hebdo, 15 migrantEs mourraient en Méditerranée pour l’unique raison que les gouvernements européens, dont Hollande, Valls et Sarkozy, ont décidé de fermer leurs frontières. Ce dimanche, alors que les pancartes “Je suis Charlie” inonderont Paris, parce qu’il n’y a pas de hiérarchie dans le deuil et dans l’humanité, pourquoi, ne pas brandir “Je suis migrantE” ?
Denis Godart
—
VOUS FAITES ERREUR, JE NE SUIS PAS CHARLIE…
Je ne doute pas qu’il existe des « Charlie » sympathiques et plein(e)s de bonnes intentions. Je suis inondé, comme tout le monde, de leurs courriels indignés. Je n’en suis pas.
Je ne suis pas Charlie, parce que je sais que l’immense majorité de cesCharlie n’ont jamais été ni Mohamed ni Zouad, autrement dit aucun de ces centaines de jeunes assassinés dans les banlieues par « nos » policiers (de toutes confessions, les flics !) payés avec « nos » impôts. Si je recours aux outils du sociologue, je comprends pourquoi il est plus immédiatement facile pour des petits bourgeois blancs de s’identifier avec un dessinateur connu, intellectuel et blanc, qu’avec un enfant d’immigrés ouvriers du Maghreb. Comprendre n’est ni excuser ni adhérer.
Je ne suis pas Charlie, parce que je refuse de me « rassembler », sur l’injonction du locataire de l’Élysée, avec des politicards, des flics et des militants d’extrême droite. Je ne parle pas en l’air : une connaissance m’explique que sur son lieu de travail, ce sont des militants cathos homophobes de la dite « Manif pour tous » qui s’impliquent dans l’organisation d’une minute de silence pour l’équipe de Charlie Hebdo.
Je ne suis pas Charlie, parce que je refuse de pleurer sur les cadavres deCharlie Hebdo avec un François Hollande qui vient d’annoncer que l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sera construit, autrement dit qu’il y aura d’autres blessé(e)s graves par balles en caoutchouc, et sans doute d’autres Rémi Fraisse.
Je ne suis pas Charlie, parce que je suis viscéralement — et culturellement — hostile à toute espèce d’ « Union sacrée ». Même les plus sots des journalistes du Monde ont compris qu’il s’agit bien de cela ; ils se demandent simplement combien de temps cette « union » peut durer. Se « rassembler » derrière François Hollande contre la « barbarie islamiste » n’est pas moins stupide que de faire l’union sacrée contre la « barbarie allemande » en 1914. Quelques anarchistes s’y sont laissés prendre à l’époque ; ça va bien comme ça, on a donné !
Je ne suis pas Charlie, parce que le « rassemblement » est l’appellation néo-libérale de la collaboration de classes. Certain(e)s d’entre vous s’imaginent peut-être qu’il n’existe plus de classes et moins encore de lutte entre elles. Si vous êtes patron ou chef de quelque chose (bureau, atelier…), il est normal que vous prétendiez ça (et encore ! il y a des exceptions) ou que vous puissiez le croire. Si vous êtes ouvrier, ouvrière, contraint(e) à des tâches d’exécution ou chômeur/chômeuse, je vous conseille de vous renseigner.
Je ne suis pas Charlie, parce que si je partage la peine des proches des personnes assassinées, je ne me reconnais en aucune façon dans ce qu’était devenu, et depuis quelques dizaines d’années, le journal Charlie Hebdo. Après avoir commencé comme brûlot anarchisant, ce journal s’était retourné — notamment sous la direction de Philippe Val — contre son public des débuts. Il demeurait anticlérical. Est-ce que ça compte ? Oui. Est-ce que ça suffit ? Certainement pas. J’apprends que Houellebecq et Bernard Maris s’étaient pris d’une grande amitié, et que le premier a « suspendu » la promotion de son livre Soumission (ça ne lui coûtera rien) en hommage au second. Cela prouve que même dans les pires situations, il reste des occasions de rigoler.
Je ne suis pas Charlie, parce que je suis un militant révolutionnaire qui essaie de se tenir au courant de la marche du monde capitaliste dans lequel il vit. De ce fait, je n’ignore pas que le pays dont je suis ressortissant est en guerre, certes sur des « théâtres d’opération » lointains et changeants. De la pire manière qui soit, puisque partout dans le monde et jusque dans mon quartier, des ennemis de la France peuvent me considérer comme leur ennemi. Ce qui est parfois exact, et parfois non. Au moins, sachant que la France est en guerre, je n’éprouve pas le même étonnement que beaucoup de Charlie à apprendre qu’un acte de guerre a été commis en plein Paris contre des humoristes irrespectueux envers les religions.
Je ne suis pas Charlie, parce que faute de précisions, et du fait même de l’anonymisation que produit la formule « Je suis Charlie », cette formule s’entend nécessairement, et au-delà des positions sans doute différentes de tel ou telle, comme un unanimisme « antiterroriste ». Autrement dit : comme un plébiscite de l’appareil législatif dit « antiterroriste », instrument de ce que j’ai appelé terrorisation démocratique.
Je ne suis pas Charlie. Je suis Claude. Révolutionnaire anarchiste, anticapitaliste, partisan du projet communiste libertaire, ennemi mortel de tous les monothéismes — mais je sacrifie à Aphrodite ! — et de tout État. Cela suffit à faire de moi une cible pour les fanatiques religieux et pour les flics (j’ai payé pour le savoir).
Je suis disposé à débattre avec celles et ceux pour qui la tuerie de Charlie Hebdo est une des horreurs de ce monde, auxquelles il est inutile d’ajouter encore de la confusion, à forme d’émotion grégaire.
Claude Guillon
Aucun commentaire jusqu'à présent.