Nous vivons une affaire Dreyfus à l’envers, il y a 100 ans cette “affaire” avait fondé le mouvement du peuple
11 janvier 2015 par Serge Grossvak
Le texte qui suit a été une contribution à des échanges avec des militants de la “gauche de gauche”, d’où des références historiques qui, je le crains, ne sont plus transmises à l’école.
Nous vivons une « affaire Dreyfus » à l’envers.
Derrière l’émotion, plus que justifiée, qui s’empare de notre pays, nous vivons une page majeure et structurante de l’histoire de la France. Nous vivons une affaire Dreyfus à l’envers.Si « l’affaire Dreyfus » était à l’initiative des forces progressistes et avait amené l’émergence des valeurs émancipatrices, cette phase critique que nous vivons actuellement est portée par les forces conservatrices porteuses du regard du dominant, du soumettant, du bon en guerre contre le mauvais. La France de Victor Hugo se ferme, la longue histoire rebelle et révolutionnaire s’enterre. Le camp de la « gauche de gauche » a du souci à se faire.
Il est difficile de croire que notre capitaine de pédalo ait pu être à la conduite de ce travail puissant de l’opinion publique. Le regard sur la mort et l’horreur est conduit de main de maître en simple pulsion de rejet, en condamnation morale aveugle.Nous sommes les bons, ils sont les mauvais. Nous défendons « nos valeurs », ils sont des barbares. Et peu importe si « nos valeurs » sont plus boursières qu’humaines, si notre liberté est la liberté des puissants de nous mépriser, si notre égalité est chassée de notre vie réelle,si notre fraternité est tirée vers les injonctions à se soumettre, le racisme en découle. Peu importe.
Nous vivons une stratégie similaire à celle de G. Bush. Nos peines et nos larmes sont dirigées vers la guerre, la guerre de l’occident. La guerre qui est pourtant à la sourcede tous nos malheurs d’aujourd’hui, et de montagnes de malheurs pour tant d’autres.
Devant cette émotion populaire, devant cette angoisse face à la cruauté, nous devons avoir la force de clamer que rien de tout cela ne serait advenu sans la propension de nos pays occidentaux à faire appel à la guerre pour réponse à tous les défis politiques.Si ces guerres et déstabilisations n’avaient été provoquées, alors ni les armes n’auraient été si aisément disponibles, ni les lieux d’entraînement n’auraient été si accessibles, ni les imaginaires guerriers n’auraient pu proliférer. Chacune de ces guerres nous a été vendue comme protectrice des populations et libératrice d’un dictateur. A l’arrivée, chaque guerre s’est achevée en désastre humanitaire et en explosions de barbaries. Ce ne sont ni les religions, ni les musulmans qui ont généré ces horreurs mais les guerres, nos guerres. Nous sommes bien plus des occidentaux que des Charlie.
Notre monde bascule, que faire ? Manifester, pas manifester ? Être Charlie ne pas être Charlie ? Chez les militants politiques sincères et progressistes Jaurès est invoqué. Tout un symbole !
Jaurès et « l’affaire Dreyfus » lorsqu’il s’engage dans la défense du capitaine avec le mouvement populaire – Dreyfus était une victime à défendre, il n’en était pas moins un « réactionnaire », d‘où une controverse – .
Ou bien Jaurès face à la guerre, choisissant la rupture au prix de sa vie ?
Aujourd’hui,faut-il participer au mouvement instauré malgré ses limites ou avoir le courage de se démarquer ?
Il faut se démarquer,il faut un NON de résistance. Parce que suivre le processus engagé nous mène au gouffre. L’affaire Dreyfus portait la haute valeur du combat contre l’injustice et en cela était prometteuse de progrès.Aujourd’hui, c’est à la guerre qu’est mené notre peuple et l’avenir est prometteur de désastres, comme la guerre mondiale que refusait Jaurès.
Suivre rend inaudible, ne contribue pas à offrir des regards alternatifs aux personnes sincères.Nous ne devons avoir de présence que porteur d’un message de rupture alternative. Nous ne sommes pas les moutons qui indignaient Cabu.
Dire non, c’est le moment et un moment crucial. Permettez moi de vous faire part de ma petite expérience personnelle. Mon expérience des dernières 24h. Je suis horrifié par cette barbarie mais je ne suis pas Charlie, parce que je ne peux m’assimiler aux passages racistes. Je suis allé au rassemblement de ma ville où tout le monde était« Charlie » parce que le sens de cette appartenance était pour beaucoup un écœurement devant la violence. J’y suis allé différent, avec mon texte publié en tract, avec mon alerte contre l’engrenage de la guerre, l’engrenage de l’islamophobie. Bien sûr des officiels ont voulu me faire taire, mais l’accueil a été fécond, les discussions nombreuses, les idées alertées. Quelques personnes étaient déjà en guerre, mais beaucoup la refusait encore. J’ai poursuivi avec des amis la distribution de mon texte-tract (1 500 exemplaires, pour cette journée). Le sujet est brûlant et les discussions se suivent, l‘accueil est ouvert. Un événement symbole : ce commerçant affichant mon texte partout dans sa boutique, en imprimant lui même un paquet pour le diffuser. Un commerçant « de quartier populaire».
Vous aussi, dites non. Dites le avec votre cœur, simplement, à votre manière humaine, avec votre conscience de progressiste et ces valeurs humaines qui ont fait les meilleurs pages de notre histoire. Dites-le avec vos peurs et vos émotions, avec vos souffrances. Dites-le, beaucoup sont encore prêts à les entendre, à s’en émouvoir,à s’en interroger. Il n’est pas sûr que cela demeure bien longtemps. Notre capacité de résistance à ce retour de l’histoire ne dépend plus que de nos courages personnels.
Soyons les premiers résistants à ce dévastateur retournement de l’histoire.
http://www.ujfp.org/spip.php?article3765
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