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Après les attentats, quelle unité ?

Les faits

Une série de crimes commis par des terroristes islamistes se réclamant d’Al Qaida. Une attaque contre le siège de Charlie Hebdo faisant douze morts, le meurtre d’une agent de la police municipale parisienne, une prise d’otages dans une épicerie casher faisant quatre morts.

L’émotion a été massive. Comment en aurait-il pu être autrement face à une violence aussi rapide, aussi radicale ici, très loin des terres où cette forme de violence est le lot quotidien ?
Mais aussi la peur : la peur de Musulmans qui ont tout de suite senti qu’il allait leur être reproché leur appartenance à l’Islam et/ou qu’ils allaient être sommés de se désolidariser publiquement. La peur aussi de Juifs devant la mort infligée à des commerçants et leurs clients parce que juifs ou supposés tels.

Des formules “bisounours” ont fleuri, dont la plus connue est “Je suis Charlie”. Cela conduit à plusieurs manifestations de soutien dont celle du dimanche 11 janvier, organisée par le président de la République française, présentée d’abord comme une manifestation d’unité nationale et qui a regroupé plusieurs chefs de gouvernement.

Nous nous proposons dans ce texte une première analyse de ce qui s’est passé et des réactions qui ont suivi.

Les auteurs des attentats

Ces attentats ont été commis par de jeunes Français qui s’inscrivent dans ce qu’on appelle la mouvance islamiste, nébuleuse pas toujours facile à cerner, ce qui peut conduire à des amalgames. Il est donc nécessaire de préciser de quoi on parle pour éviter ces amalgames.

Les auteurs des attentats se sont réclamés de Al Qaïda, en particulier de la branche yéménite. Cela demande de revenir sur ces mouvements qu’on dit radicaux ou “djihadistes” et qui renvoient à ce qu’on appelle en arabe les takfiris, des groupes qui se réclament d’un Islam intransigeant opposé à tout contact avec ceux qui ne partagent pas leur conception. Aujourd’hui on peut considérer parmi les takfiris le mouvement Al Qaida et le groupe dissident DAESH (acronyme arabe d’Etat Islamique), ce dernier sévissant en Irak et en Syrie où il a proclamé un quasi-Etat reproduisant le califat. L’objectif de DAESH est d’imposer sa conception de l’Islam aux populations des régions qu’il occupe et DAESH commence par éliminer, y compris en les massacrant, tous ceux, musulmans ou pas, qui n’acceptent pas son autorité. Si ces groupes (Al Qaida et DAESH) ont commis des attentats en Occident, il faut rappeler que la majorité de leur victimes sont musulmanes, leur premier objectif étant de s’imposer dans les pays musulmans. Mais de cela on parle peu, mettant l’accent sur les victimes occidentales, une forme de racisme en quelque sorte.

L’islamophobie, bête immonde

De tels attentats dans un pays où habitent de nombreux Musulmans comme la France, ont un premier effet : amener à la confusion entre l’ensemble des Musulmans et ces groupes, ce qui est aussi sans doute l’un des objectifs de ces attentats. Cela nous impose de lutter contre cette confusion en rappelant d’une part que l’Islam n’est pas un bloc monolithique, qu’il est parcouru de nombreux courants et que les courants dits radicaux ne représentent qu’une fraction minoritaire de l’ensemble des Musulmans. L’islamophobie qui tend à réduire l’Islam aux courants les plus radicaux et à présenter l’ensemble des Musulmans comme des ennemis doit donc être combattue.
Mais ce combat contre l’islamophobie doit éviter de tomber dans le piège qui consiste à dire que ces courants radicaux ne sont pas musulmans. S’ils ne sont pas tout l’Islam, ils sont un courant de l’Islam et cela ne peut être nié, aussi peu sympathiques que soient ces courants, y compris aux yeux de Musulmans qui n’admettent pas cette conception autoritaire de l’Islam. Un autre piège est celui de considérer ces mouvements comme des créations de l’impérialisme occidental aux fins de déstabiliser les pays arabes et musulmans ; c’est ici une vue simpliste, de tels courants ont existé au cours de l’histoire (il suffit de lire Ibn Khaldoun[1] par exemple) et les courants actuels s’inscrivent dans cette tradition ancienne.

Il importe donc de rappeler que l’Islam est multiple comme l’est toute idéologie universaliste.

Plus importante est la question du recrutement par ces courants radicaux de jeunes des pays occidentaux, que ce soient des jeunes de familles musulmanes, comme l’étaient les auteurs des attentats des 7 et 8 janvier et de la prise d’otages du 9 janvier, ou de jeunes convertis. Les motivations et le cheminement de ces jeunes pose question et seraient à étudier, au-delà des explications qui ont circulé sur l’endoctrinement en prison, sur le terreau du racisme et des discriminations qui ne sont que pour une part dans les mécanismes de ralliement.

La lutte contre l’islamophobie est aujourd’hui une priorité en France (et dans d’autres pays), les musulmans étant devenus les boucs émissaires de sociétés qui ont choisi d’importer chez elles la confrontation qu’elles orchestrent en Afrique et aux Proche et Moyen Orient avec des forces de l’islamisme radical « djihadiste ». Depuis le 11 septembre américain, les Etats-Unis et leurs alliés, dont la France, se sont donné pour but de lutter contre l’islamisme radical mais dans cette lutte ils ont mélangé beaucoup de choses[2]. En fait ils se sont attaqués à ceux qu’ils considèrent comme leurs ennemis, comme ce fut le cas avec l’Irak, Etat à la fois laïc et dictatorial. De même, s’ils dénoncent l’Iran qui, bien que République islamique, ne se situe pas dans la mouvance de l’islamisme radical, ils s’appuient au Moyen Orient sur des Etats qui pratiquent un Islam autoritaire comme l’Arabie Saoudite et les Etats du Golfe, lesquels entretiennent des rapports complexes avec les mouvements islamistes radicaux.

Dans ce cadre, l’islamophobie vise moins l’islamisme radical que les Musulmans des pays européens, la confusion avec l’islamisme radical apparaissant comme une forme de légitimation de l’islamophobie. C’est cette confusion qui conduit aujourd’hui à demander aux Musulmans de France de prendre position sur les attentats de ces derniers jours comme s’ils en portaient une part de responsabilité C’est encore cette confusion qui conduit certains à s’en prendre aux lieux de culte musulman, comme si ces agissements étaient une réponse à ces attentats. Le soutien au sionisme de conquête, les agissements intéressés au Proche Orient sont masqués par le discours islamophobe qui alimente l’amalgame islam-djihadiste et prend en tenaille la société française en délitant le lien social au sein des classes populaires.

40 ans d’écrasement des minorités pauvres d’origine étrangère de banlieue

Ces évènements tragiques doivent amener la société française à briser la logique qui produit des jeunes qui vont ainsi assassiner leurs concitoyens. Sont en butte au mépris ceux qui manifestent en citoyens contre une guerre et contre un massacre quand on les accuse d’antisémitisme et d’être des voyous. Ils sont aussi sujets au mépris sur la scène internationale où le droit du plus fort prévaut, où certains sont au-dessus des lois. Et enfin, à un mépris agressif encore, contre leur religion ou leur origine.

En publiant des caricatures contre l’Islam, Charlie Hebdo n’a pas compris le risque de confusion entre une critique de l’Islam et les attaques contre les Musulmans. La défense de la liberté d’expression ne saurait conduire à reprendre à son compte tout ce que Charlie Hebdo a publié, c’est la limite du slogan « je suis Charlie »”

De l’émotion populaire à l’organisation officielle de l’émotion

Trois attentats en trois jours, dix sept morts, cela fait beaucoup et on comprend l’émotion qui a suivi et que nous avons partagée. Mais toute émotion doit être contrôlée ; seul ce contrôle permet de comprendre les raisons qui ont pu conduire à un tel massacre. On aurait pu espérer, de la part des autorités françaises, une attitude permettant, tout en reconnaissant la part essentielle de l’émotion, d’aller au-delà de la première émotion et d’ouvrir la voie pour comprendre ce qui s’est produit. Or c’est le contraire qui s’est passé. Le président de la République a compris tout le parti qu’il pouvait retirer de cette émotion ; après les manifestations spontanées qui ont suivi l’annonce des premiers massacres, François Hollande a lancé, au nom de l’unité nationale, une manifestation quasi-officielle pour la journée du 11 janvier. Et pour lui donner une plus grande ampleur, il lui a conféré une tournure internationale. Ce n’était plus la nation qui manifestait son émotion devant le massacre, c’était l’organisation officielle de l’émotion par l’Etat.
Ainsi le piètre politicien élu par les Français pour se débarrasser du piètre politicien qui l’a précédé, a compris que lorsqu’on ne sait pas conduire la politique d’un pays, on fait de la communication, au sens publicitaire du terme. Le calcul était que les crimes commis par les “djihadistes” pouvaient ainsi avoir, pour premier effet, de rehausser l’image de François Hollande.

Les dirigeants israéliens qui ont eu le toupet de venir parader au nom de la liberté d’expression et du rejet du « terrorisme » ont atteint le somment de l’obscénité à la synagogue de la Victoire après la marche du dimanche 11 janvier. En tant que Juifs antisionistes, nous dénonçons cette mascarade. Cette opération de faire-valoir mutuel de Hollande et de Netanyahou a permis à ce dernier de s’affirmer comme chef des Juifs d’Israël et aussi bien des Juifs de France et de tenter de renforcer le mythe sioniste de la centralité d’Israël pour les Juifs. Les défenseurs auto-proclamés de la liberté d’expression, après avoir interdit et criminalisé comme antisémites certaines manifestations pour Gaza, sont des pompiers pyromanes : on exclut, on réprime, on amalgame. On créé des fossés intérieurs et extérieurs. Tout cela sert aussi à masquer les politiques libérales qui rejettent toujours plus les classes populaires dans la précarité.

Vers la guerre des civilisations

Peut-on aujourd’hui parler de guerre des civilisations comme certains se complaisent à le dire ? Cette notion, purement idéologique, peut pourtant devenir une réalité si des apprentis sorciers font ce qu’il faut pour qu’elle existe. Et parmi ces apprentis sorciers, nous citerons ces deux ennemis que sont, d’une part l’impérialisme occidental soucieux de conserver son hégémonie sur le monde, d’autre part des mouvements qui se réclament de l’Islam dans l’objectif, peut-être moins ambitieux, d’imposer leur vision de l’Islam dans les pays musulmans. Ces deux ennemis ont un point commun, le mépris des êtres humains, le mépris de la vie.

IJAN-France
International Jewish Antizionist Network – Réseau International de Juifs Antisionistes.
16 janvier 2015