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Le parcours d’Avraham Burg, de l’Agence juive à un parti arabe

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Comment l’ex-président du parlement israélien s’est retrouvé dans un parti anti-sioniste
En août 1982, quelques mois après la guerre au Liban, j’ai rencontré un jeune officier, un réserviste qui revenait du Liban. Il voulait parler, il avait beaucoup à dire sur la guerre et sur la politique israélienne. Hanté par les images de jeunes enfants libanais effrayés par les soldats israéliens, il a rejoint tout de suite après son service un nouveau mouvement de protestation, “Soldats contre le silence”. Un tel mouvement de protestation était alors un phénomène très inhabituel au sein de l’armée. Le jeune officier, âgé de 27 ans, est rapidement devenu la voix et le visage du mouvement. Après tout, il était l’éloquent Avraham Burg, le fils de Yossef Burg, une figure emblématique de la politique et des affaires publiques israéliennes, l’un des dirigeants du mouvement national religieux, plusieurs fois ministre dans les gouvernements israéliens. Il était un maître de consensus, de sagesse et d’humour. Lorsque son fils parlait, sa voix était amplifiée par l’aura du père. Avraham Burg a certainement hérité de quelques-unes des caractéristiques connues de son père. Mais pas la quête de consensus.
33 ans après que cette interview a fait les grands titres, Burg est à nouveau sur le devant de la scène. Il y a tout juste une semaine, il a assisté à la convention de Hadash, un parti non-sioniste, d’obédience communiste et a rejoint ses rangs. Pour les Israéliens, c’est une grosse affaire. Bien que le parti se veut ouvert à tous, il est devenu au fil des ans à prédominance arabe, avec un seul député juif le représentant. La photo de Burg, au milieu de cette foule à Nazareth avec sa kippa sur la tête, ressemblait un peu à une montage photo. C’est encore plus surprenant (même dérangeant pour certains) si l’on regarde le parcours de Burg. Entre 1982-2005, il a été député du Parti travailliste, président de la Knesset et chef de l’Agence juive et du Mouvement sioniste mondial. Tous les symboles sionistes en une seule personne. Deux parcelles dans la section « héros nationaux » sur le mont Herzl lui sont réservées, l’une en tant qu’ancien président de la Knesset et l’autre pour avoir été à la tête de l’Agence juive. Aucun membre du parti Hadash n’y est enterré.
La récent décision de Burg a reçu des réactions mitigées. Ceux qui suivent son parcours idéologique et intellectuel, pour le moins complexe, depuis qu’il a quitté la politique il y a plus de dix ans sont moins surpris. Durant ces années, il a abandonné Dieu (il ne croit plus en lui, mais garde sa tête couverte) et le sionisme, et a renoncé à l’idée d’Etat juif. En fait, il ressemble à une “vente finale” idéologique. “Tu parles comme un commerçant en fin de journée”, dit Burg. “En fait, c’est une lente évolution. Au cours de ces dix années en dehors de l’arène politique, j’ai publié quatre livres (certains très acclamés, ndlr), et je suis en train de travailler sur le cinquième, qui traite de la nouvelle réalité israélienne”.
Q- Et quel est le diagnostic?
R – Qu’Israël fonctionne avec de la vieille énergie, l’énergie de l’Holocauste, qui nous conduit à des conclusions erronées. Comme au sujet des menaces non-existantes sur nos frontières, ou au sujet de nos attentes irréalistes pour l’Aliyah de masse qui ne va pas arriver. On a abusé de cette vieille énergie pour établir la discrimination en série et un ordre social où on retrouve le «privilégié» et le “non-privilégié”. En fait, nous avons atteint le point où nous pouvons devenir “normaux”, mais les privilégiés de cette société – les Juifs – ont à payer un prix élevé pour cette normalité: ils doivent renoncer à leurs privilèges. Même les plus modérés résistent. Ils choisissent de rester dans leur zone de confort.
Q- La réaction du public à votre nouvelle décision est passée du ridicule à la rage. Il y a ceux qui, comme l’ancien député d’extrême droite, Aryeh Eldad, ont réclamé que vous retourniez l’argent que vous avez gagné lorsque vous étiez à la tête de l’Agence juive, et ceux à gauche qui vous ont demandé de “revenir à la maison”.
R- De la même façon, je peux demander à Eldad de retourner l’argent qu’il a gagné en tant que membre de la Knesset car ses idées racistes compromettent l’essence même du Parlement en tant qu’institution de la démocratie. On m’a déjà demandé de ne pas me faire enterrer au Mont Herzl. En fait, je n’en ai pas l’intention. Je veux être enterré dans les collines de Jérusalem où je vis. Quant aux appels de la gauche, il n’y a pas de gauche en Israël. Ceux qui se définissent comme tels, seraient définis au mieux comme “centre libéral” dans tout autre pays. Ce qu’on appelle “gauche” en Israël, est un groupe de personnes qui ne s’est pas posé de nouvelles questions en 30 ans.
Q- Cette position de “non gauche” inclut votre ami de longue date et collègue, jadis allié politique, Yossi Beilin? Il a déploré votre nouveau choix dans un long article où il a écrit, entre autres: “vous abandonnez le droit des Juifs à vivre ici “.
R – Oui. Cela inclut aussi Beilin, la personne la plus importante dans ma vie politique. Je le comprends: son courant idéologique est coincé. Il est arrivé à sa fin. Beilin est la personne qui est allée aussi loin que possible dans le sionisme, pour conclure finalement que ce n’était pas suffisant. C’est tragiquement frustrant. Il faut qu’il reconnaisse le fait que quelque chose est fondamentalement faux dans son concept. Il continue de crier douloureusement “je suis moi aussi un sioniste, je suis moi aussi un patriote”, ne voyant pas que son attitude apologétique fournit du carburant à la propagande de la droite. En fait, le sionisme est maintenant le principal instrument servant à créer une discrimination entre les Juifs et les autres. Je propose quelque chose de différent : une réelle coopération et un vrai partenariat entre Juifs et Arabes
Q- Alors que nous parlons, douze journalistes français et deux policiers ont été tués par des Musulmans, qui ont voulu “venger” de l’honneur de leur prophète dans les bureaux de Charlie Hebdo. Comment vous sentez-vous en tant que personne qui est également citoyen français dans ce qui semblait être un acte de défiance, et en tant qu’Israélien travaillant actuellement sur un tel partenariat?
R- Je suis impressionné par la capacité des autorités françaises dans cette tragédie à rester loin des généralisations faisant référence à “tous les Musulmans et à tout l’Islam”. Le défi européen est maintenant de travailler sur une conversation avec l’immense nombre de Musulmans en Europe pour créer une entité qui puisse être définie comme “l’Islam de l’Ouest”. Je ne peux pas prévoir les implications de cette tragédie sur ce que j’essaie de faire, si ce n’est de constater le besoin de faire coopérer les peuples, au-delà des “bons” contre les “méchants”, une division qui n’est certainement pas fondée sur la religion. Quant à ma double citoyenneté: je suis un universaliste. Mon “israélisme” ne me dispense pas de la responsabilité universelle. Israël ne peut pas s’attendre à la double loyauté des Juifs (par exemple Jonathan Pollard), tout en dénonçant la double responsabilité juive.
Q- Et vous n’avez pas connu tout cela en tant que chef de l’Agence juive, dont la mission est de répandre le sionisme et de réaliser sa mission centrale, l’Aliyah? Beaucoup trouvent inquiétant le fait que vous ayez eu cette prise de conscience dès que vous avez quitté ce travail convoité.
R – Je pense que j’ai fait un très bon travail, en fait. Ma décision de prendre ce poste en 1995 est en effet venue de la prise de conscience que l’immigration massive de l’ex-URSS et d’Ethiopie a constitué la fin du chapitre de 1948 dans notre histoire. Trois mois après avoir commencé ce travail, j’ai déposé sur la table de l’Agence juive un document traitant de ce qui se profilait à l’horizon pour le monde juif après l’immigration de masse motivée par la misère. On m’a dit de la ranger dans les tiroirs car c’était mauvais pour la collecte de fonds. Le temps est venu pour une nouvelle réflexion, et c’est ce que j’ai à offrir à la société israélienne.
Q- Qu’est-ce que vous offrez?
R – Un nouveau paradigme. Le sionisme était nécessaire pour la création de l’Etat. 1948 a constitué une révolution fascinante, bonne pour les Juifs, mais catastrophique pour les Palestiniens. Il est temps de passer à une nouvelle révolution qui soit bonne pour tous les citoyens. Je n’ai certainement pas rejoint Hadash pour remplacer le nationalisme juif par un nationalisme arabe. J’entends la colère des militants de Hadash, principalement causées par les déclarations d’Avigdor Lieberman sur la révocation de la citoyenneté et sur la loi sur l’Etat de la nation juive. Je suis là pour un partenariat judéo-arabe pour le bien commun.
Q- Je sais que votre engagement a reçu des réactions positives, mais je ne vois pas grand monde vous suivre.
R- Je ne suis plus en politique et par conséquent, je ne recherche pas l’amour et l’admiration. Mais je sais aussi que je suis l’un des rares en Israël qui puisse lancer un nouveau débat public. Vous savez que je suis un coureur de marathon, et je gère ma vie publique ainsi. Je suis ici pour créer une nouvelle plate-forme judéo-arabe et commencer un nouveau mouvement.
Q- Un nouveau parti politique?
R- Je sais ce que je veux atteindre, je ne suis pas encore certain de la méthode.
Q -Vous m’avez dit que dans votre nouveau livre que vous entretenez un dialogue avec vos parents décédés. Quel l’impact ont-ils sur votre vie?
R – Tout ce que je fais vient de l’héritage de mes parents, mais est orienté en fonction de mes six enfants et petits-enfants. Leur monde serait meilleur s’il était moins nationaliste et plus citoyen. Le fait même que je me pose constamment des questions vient du fait que j’ai vécu dans maison où fusaient les polémiques talmudiques avec mon père. Ma mère quant à elle, a été une habitante de Hébron qui a été sauvée du massacre de 1929 par un Palestinien. Il a été un Juste parmi les nations, et tous les jours je me demande si je suis assez juste envers lui.
Q- Et qu’est-ce que le père Burg aurait à dire sur tout cela?
R- Il faudrait lui demander, si vous le pouvez. Le connaissant, vous savez aussi qu’il serait prêt à répondre.
Lily Galili est analyste de la société israélienne. Elle a cosigné un livre, “Le million qui a changé le Moyen-Orient” sur l’immigration d’ex-URSS vers Israël, son domaine de spécialisation.