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Régime de Vichy – Archives départementales de l’Oise

 

Signalements

Je vous signale qu’au lendemain des assassinats de Charlie HebdoJean-François Chazerans, professeur de philosophie, a été suspendu pour des propos pédagogiques jugés « inadéquats » par sa hiérarchie. Je vous signale que dans la foulée de cette sanction disciplinaire, une plainte a été déposée contre lui pour «apologie du terrorisme». Je vous signale que tout cela se déroule dans la belle académie de Poitiers, en pointe dans les nouvelles méthodologies de repérage des élèves radicalisés par détection de leur habillement musulman. Je vous signale que Jean-François Chazerans, très soutenu localement, a un parcours philosophique, social et militant tout à fait digne d’intérêt, certes plus engagé et anticonformiste que celui de son zélé recteur Jacques Moret. Je vous signale que l’avocat de l’enseignant a pu consulter le dossier avant la commission disciplinaire qui se déroulera le 13 mars et n’y a pas trouvé d’élément concluant. Je vous signale, sur un plan plus théorique, que la construction d’un propos philosophique nécessite de pouvoir énoncer sans crainte des positions diverses et de formuler des hypothèses, éventuellement inadéquates, pour les confronter, y adhérer un temps et les contredire ensuite, ou l’inverse. Bref, philosopher implique de pouvoir s’exprimer librement afin d’élaborer une pensée complexe. Je vous signale que la traque obsessionnelle de l’apologie (du terrorisme ou de toute autre chose, d’ailleurs) implique logiquement l’interdiction pure et simple de philosopher. C’est une mesure envisageable, mais qu’il faudrait assumer plus clairement.

Je vous signale que la ministre de l’éducation nationale soutient qu’un petit garçon n’a pas été entendu au « poliçariat » pour apologie du terrorisme, tandis que son avocat dit avoir signé le PV de sa propre main. Je vous signale que celui des deux qui ment devra mettre fin à sa carrière rapidement. Je vous signale qu’un autre petit garçon a été dénoncé à tort par une responsable de cantine et je vous encourage à écouter le témoignage de son père. Je vous signale que la cantine en question est gérée par une municipalité Front national. Je vous signale aussi qu’une petite fille a été convoquée à la gendarmerie pour une phrase écrite dans une rédaction suite au signalement fait par une employée municipale. Je vous signale que cette municipalité est gérée par le Parti socialiste. Je vous signale qu’on a passé des menottes à un petit poisson de 14 ans pour une phrase qu’il avait prononcée en classe lors d’un débat. Je vous signale que dans le cadre de ce débat, l’enseignante aurait déclaré « Si tu penses ça, tu sors de la classe ». Je vous signale que tout cela corrobore ce que je disais plus haut : la traque de l’expression apologétique est contraire à la notion même de débat.

Comme je l’ai déjà signalé, on poursuit aussi des personnes dont les troubles psychiques sont avérés. C’est particulièrement dégueulasse.

Je vous signale que pendant ce temps, la France vend des avions militaires au régime répressif en Égypte et que des musclés se baladent sur la Zad de Sivens et aux alentours, armés de barres de fer et de manches de pioche, sans être inquiétés par la gendarmerie, dont ils prétendent être un club de soutien.

Je vous signale que selon un sondage du ministère de l’intérieur (réalisé par téléphone auprès d’un échantillon représentatif de terroristes ?) 90 % des personnes qui basculent dans des activités terroristes le font après avoir fréquenté internet. Je vous signale que si vous lisez ces lignes, vous êtes déjà sur la mauvaise pente.

Je vous signale que le blocage administratif du web, c’est-à-dire la censure de contenus sans recours au juge, vient d’entrer en vigueur en France. Je vous signale que vous pouvez écouter l’audition de Jérémie Zimmermann au Sénat ici et . Je vous signale que ce qu’il dit est exact, car je l’ai moi-même testé : le navigateur Tor s’installe effectivement en un clic, ce qui signifie concrètement que le contournement de la censure est à la portée de tout le monde (sauf peut-être de Bernard Cazeneuve, qui devra d’abord consulter ce tutoriel).

Je vous signale qu’Amnesty International trouve la définition de l’infraction d’apologie du terrorisme « vague ».  Je vous signale que ce sont des modifications très récentes de la loi qui permettent de multiplier ainsi les poursuites pour « apologie du terrorisme » et de recourir à des comparutions immédiates. Je vous signale que le Syndicat de la magistrature évoque à ce propos une « désastreuse justice, produite par la loi du 13 novembre 2014 ». Je vous signale que la notion même de terrorisme n’est pas particulièrement claire et que son usage concernant l’attaque de Charlie Hebdo est parfois jugé discutable. Je vous signale que cette nouvelle lubie politique et juridique qui consiste à poursuivre les « apologues » dissimule mal une incapacité manifeste à assurer la sécurité des personnes menacées, ainsi qu’une grave et déjà ancienne dérive de la France dans l’intolérance. Je vous signale que tout cela rentre en résonance de façon paradoxale avec les grands-messes nationales sur la liberté d’expression.

Je vous signale que la très néolibérale loi d’Emmanuel Macron, ce faux prodige jamais élu, est en passe d’être adoptée sans vote au parlement. Vous me direz peut-être que cela n’a rien à voir : détrompez-vous, je vous signale que c’est lié.

Soucieuse de participer à l’effort national, je terminerai cette introduction sur une note constructive et, je l’espère, conforme à l’esprit de mon époque, en signalant à l’attention de mes lecteurs une lettre modèle qui peut être recopiée et adaptée aux circonstances, puis envoyée directement au premier ministreSi ce modèle policier et quelque peu daté ne vous convient pas, vous pouvez utiliser celui-ci ou celui-là qui sont très bien aussi.

QUI SUIS-JE ? (Devinette)
Paroles et musique : la Parisienne Libérée

Cabu, Radioscopie 1980
« Il faudra bien qu’un jour… Parce qu’en ce moment on est le troisième vendeur d’armes au monde, et puis par ailleurs les hommes politiques français parlent du rôle pacifique de la France dans le monde. C’est contradictoire, je crois. »

J’ai opprimé mes voisins
Avec un petit chapeau
Fait couler le sang européen
Jusqu’à Waterloo

J’ai collaboré sous Vichy
Plus que je n’ai résisté
J’ai donné des gages à l’ennemi
Plus qu’il n’en demandait

Qui suis-je, qui suis-je ?
Je ne ne me connais pas
Dites-moi par quel prodige
Puis-je m’ignorer comme ça ?
Qui suis-je, qui suis-je ?
Et suis-je vraiment moi ?
Sauvez-moi du vertige
Je ne ne me souviens pas

J’ai bien aimé l’Indochine
Mais je ne sais plus du tout
Ce que j’avais contre le Viêt Minh
Après Diên Biên Phu

J’ai torturé en Algérie
Mais je le garde pour moi
Je regrette le temps des colonies
Allez savoir pourquoi

Qui suis-je, qui suis-je ?
Je ne ne me connais pas
Dites-moi par quel prodige
Puis-je m’ignorer comme ça ?
Qui suis-je, qui suis-je ?
Et suis-je vraiment moi ?
Sauvez-moi du vertige
Je ne ne me souviens pas

Je vends des armes à foison
Des réseaux, des radars,
Des satellites, des porte-avions
Des missiles et des chars

Je vends des armes à tous les pays
Qui peuvent me les acheter
Pourquoi aurais-je des ennemis ?
Je me bats pour la paix !

Qui suis-je, qui suis-je ?
Je ne ne me connais pas
Dites-moi par quel prodige
Puis-je m’ignorer comme ça ?
Qui suis-je, qui suis-je ?
Et suis-je vraiment moi ?
Sauvez-moi du vertige
Je ne ne me souviens pas

J’ai fait la guerre en Libye
Avec tant d’habileté
Que j’ai armé le Mali
Contre mes intérêts

Puis j’ai été en Centrafrique
Un tout petit pays
Je vends même des Rafale à l’Égypte
Depuis que je suis Charlie

Qui suis-je, qui suis-je ?
Je ne ne me connais pas
Dites-moi par quel prodige
Puis-je m’ignorer comme ça ?
Qui suis-je, qui suis-je ?
Et suis-je vraiment moi ?
Sauvez-moi du vertige
Je ne ne me souviens pas

Je suis la France guerrière
La France tyrannique
(Je) suis la France meurtrière
Et la France amnésique
Et la France amnésique !

BROUHAHA DE L’UNITÉ NATIONALE
Paroles et musique : la Parisienne Libérée

J’écoute la voix mâle, le cantique infernal
Les discours qui s’empilent, haineux, violents, fébriles
J’écoute le bruit sourd, les arrangements dociles
L’unité nationale est tout sauf musicale.

Apologie, prison, phobies, nation
Sécurité plutôt que liberté
Union sacrée de la laïcité
La guerre, pas la paix.

On veut le bruit des bottes, les leçons de morale
Les enfants et les fous devant le tribunal
On veut le signalement et la dénonciation
On veut la surveillance, on veut la punition

Depuis quelque temps, on ne s’entend plus penser.
Le dehors parle, et le dedans se tait.

Je cherche en moi la minute de silence
Qui respire et qui danse
Je cherche au milieu des sanglots
Le son d’un piano
Je cherche parmi mes colères
Comment faire
Entre nuit et brouillard, je cherche
L’issue du cauchemar

J’écoute la voix mâle, le cantique infernal
Les discours qui s’empilent, haineux, violents, fébriles
J’écoute le bruit sourd, les arrangements dociles
L’unité nationale est tout sauf musicale.

En guise de conclusion, j’aimerais partager la perplexité dans laquelle m’a plongée la lecture d’une enquête d’opinion consacrée au thème « voulez-vous qu’on limite vos libertés ? ». Pour éviter d’avoir à commenter ce sondage, j’ai décidé de l’encadrer et de l’offrir à votre contemplation. L’œuvre originale est ici. À bientôt !

http://www.mediapart.fr/journal/france/180215/rythmnews-n-4-apologie-et-brouhaha

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