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Alors que le gouvernement socialiste est en train de faire passer en vitesse la loi la plus liberticide de l’histoire politique de ce pays dans l’indifférence générale, Le Monde révèle un gigantesque scandale d’État, ici encore dans le silence absolu d’une gauche en décomposition avancée.

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Ce ” Big Brother ” dissimulé au cœur du renseignement

” Le Monde ” a eu accès au détail du dispositif de surveillance de masse des services français, totalement absent du projet de loi renseignement

C’est un sigle impersonnel, ” PNCD “, mais il cache un secret sur lequel la République a réussi, depuis 2007, à maintenir un silence absolu. Derrière ces quatre lettres se dissimule la Plateforme nationale de cryptage et de décryptement, un système complexe et occulte de recueil massif et de stockage de données personnelles étrangères et françaises dans lequel les services de renseignement français puisent à leur guise et sans aucun contrôle autre que leur propre hiérarchie.

Le Monde avait révélé, en 2013, l’existence de ce dispositif et s’était vu opposer par les autorités un démenti formel. Au terme de deux ans d’enquête, il est désormais possible de décrire dans le détail l’architecture interne de ce véritable ” Big Brother ” à la française classé ” secret-défense “. Les gouvernements successifs ont validé son fonctionnement et soutenu son développement. Au nom de la raison d’Etat, des parlementaires nient toujours son existence. Le mode de financement de la PNCD est très discrètement dilué au cœur du budget de l’Etat et les fonds alloués à ce programme n’ont cessé de croître.

La mutualisation de cet outil, présenté comme une pierre angulaire du monde du renseignement en France, est jugée si essentielle par l’Etat à la bonne marche des services français qu’elle est totalement absente du projet de loi sur le renseignement présenté, lundi 13 avril, en séance publique à l’Assemblée nationale, dans le but de donner un cadre légal à l’activité des services. La PNCD semble avoir pris une place exorbitante au sein de l’organisation du renseignement en France et couvre des champs juridiques si différents qu’aucun cadre ne paraît, à lui seul, pouvoir le mettre en conformité avec la loi.
Aucun filtre

La PNCD est hébergée, pour l’essentiel, dans les locaux du siège de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), à Paris. Equipée des plus puissants calculateurs de France, elle recueille des milliards de données françaises et étrangères interceptées par la DGSE au moyen d’outils satellitaires ou hertziens et surtout par le biais de câbles sous-marins par lesquels transite, aujourd’hui, l’essentiel des communications mondiales. Elle stocke une grande partie du flux intercepté et trie les sujets au cœur de ses recherches.

Sur la base de protocoles bilatéraux, les autres services de renseignement ont organisé, à partir de 2007, leur accès à cette gigantesque base de données. Il s’agit de Tracfin pour la lutte contre le blanchiment, de la DNRED pour les douanes, de la DPSD pour la sécurité militaire, de la DRM pour la branche satellitaire de l’armée, de la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris et enfin de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

Cette consultation se fait sans aucun filtre, ni ceux des ministères de tutelle, ni celui de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), chargée de veiller à la légalité des interceptions administratives. Pas plus que celui du Groupement interministériel de contrôle, bras armé du premier ministre, tour de contrôle en matière de renseignement. La consultation est tellement intégrée que la DGSI a installé une quinzaine de ses agents dans les locaux de la DGSE pour gérer ses propres recherches. Les douaniers de la DNRED ont également des personnels à demeure.

Au regard de la circulation mondialisée des données de communication, le flux intercepté et stocké par la PNCD comporte nécessairement des identifiants français. L’Autorité de régulation de communications électroniques et des postes a confirmé publiquement qu’il ” était délicat de distinguer l’origine des communications “. Une façon pudique de dire qu’il est en réalité aujourd’hui ” techniquement impossible d’assurer cetri, notammentdans le flux étranger-France “, assure un membre de cabinet ministériel.

C’est le cœur du casse-tête juridique. Comment protéger les données de communications des citoyens français à une époque où la circulation des données personnelles s’affranchit de toute règle territoriale ? Comment articuler un dispositif de recueil massif de données non soumis à la loi française, la PNCD de la DGSE, avec les pratiques d’un monde du renseignement national soumis à cette même loi ?

Faute de réponse, l’Etat laisse ce puissant système intrusif aux seules mains des services, de quoi inquiéter au regard de la quantité de données auxquelles peut accéder la PNCD. En effet, si elle a constitué sa propre base de données de communications, elle est aussi reliée aux centres de stockage de tous les opérateurs installés en France. Un agent de la direction technique de la DGSE peut, de son ordinateur, faire remonter tous les éléments attachés à la requête des services de renseignement français. Or ces données de connexion, aussi appelées ” métadonnées “, sont bien plus attentatoires à la vie privée qu’une interception téléphonique.
Entorse au régime légal

La DGSE, qui opère en théorie en dehors du territoire français, n’est pas contrainte par les lois s’y appliquant. Mais elle est prise au piège, selon certains de ses membres, à cause du partage de ses moyens techniques. Le projet de loi sur le renseignement tente de combler les trous béants créés par la PNCD au regard de la loi. Dans le chapitre 4 de l’article 3, qui concerne la DGSE, le gouvernement entend légaliser la surveillance des communications ” émises et reçues à l’étranger “, ce qui revient, de façon curieuse, à officialiser l’espionnage du reste du monde, y compris nos alliés européens.

Le projet ajoute l’obligation de garantir aux identifiants français recueillis lors de cette pêche au chalut les droits fixés par le législateur en matière de traitement des données, tout cela sous le contrôle de la CNCIS, devenue la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

Cette distinction entre données étrangères et françaises, on l’a vu, est très difficile à garantir. De plus, si la CNCIS a été pleinement associée, dès 2007, à la création de la PNCD, elle n’a, en revanche, aucune connaissance des conditions de sa mutualisation. Par ailleurs, alors que cette structure est chargée de veiller à la stricte application de la loi en matière d’interceptions qui ne peuvent qu’être ciblées, la CNCIS participe elle-même au système de recueil massif de données. Elle délivre à la plupart des services de renseignement français des autorisations d’interceptions à l’échelle d’un pays tout entier sous forme de ” fiches-pays ” cartonnées qui permettent d’intercepter et de recueillir massivement du contenu sans aucune discrimination.

Enfin, le projet de loi ne dit rien non plus sur une autre entorse majeure au régime légal du traitement des données personnelles des citoyens français. La DGSE échange, en effet, dans le cadre de trocs avec certains alliés, ce qu’elle appelle des ” blocs ” de données. L’Agence nationale de sécurité américaine (NSA), le plus puissant service de renseignement technique au monde, et son homologue britannique, le GCHQ, s’adressent ainsi régulièrement à la DGSE pour récupérer des ” blocs ” concernant des régions du monde particulièrement surveillées par la France. La NSA demande régulièrement plusieurs mois de flux de données de communications venant du Sahel. Ce bloc contient de très nombreux identifiants français, souvent non décryptés, livrés tels quels aux Américains.

Le Monde n’a retrouvé qu’une mention officielle de la PNCD sous un tableau comptable du budget de l’Etat en 2006. A cette époque, ce n’est pas encore une ” plateforme “, mais un ” programme “. Un an plus tard, le sigle a disparu mais on apprend néanmoins que son financement, inscrit dans les livres du ministère de la défense, bénéficie d’une contribution interministérielle au nom de cette mutualisation. En 2015, le projet de loi de finances soutient toujours le développement de la PNCD sans la nommer : ” Conformément aux orientations du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 (…), la DGSE poursuit sa montée en puissance de ses dispositifs au bénéfice de l’ensemble de la communauté du renseignement “.

Sollicités à plusieurs reprises, les services du premier ministre ont refusé de répondre aux questions du Monde. Le caractère ” secret-défense ” de la PNCD a enfin été opposé par les parlementaires et les services de renseignement contactés.

Jacques Follorou

Un dispositif construit à partir de 2007

Après le 11 septembre 2001, Paris, comme d’autres capitales occidentales, convaincue que la menace terroriste était le premier des dangers, a mené, à marche forcée, une profonde réorganisation de son système de sécurité. En France, l’une des pièces essentielles de cette surveillance d’Etat, la Plateforme nationale de cryptage et de décryptement (PNCD), est née vers 2002. Elle n’était alors qu’un ” Programme ” permettant de crypter les communications interministérielles ayant trait aux exportations d’armements. Très vite, ce dispositif a croisé le chemin d’un projet d’une autre ampleur.

Pierre Brochand, à la tête de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) jusqu’en 2008, estime alors qu’il faut créer une structure antiterroriste commune avec la Direction de la surveillance du territoire (ancêtre de la Direction générale de la sécurité intérieure actuelle). Son souhait est de réunir les effectifs et les moyens techniques des deux maisons. Mais les logiques de territoire vont l’emporter et seule la mise en commun des moyens techniques sera retenue. Ainsi va naître, en 2007, la PNCD qui devient vite la base de données commune à l’ensemble des services de renseignement français.

Cette mutualisation des moyens techniques de la DGSE s’inscrit dans une stratégie d’anticipation et d’économie fixée, en 2007, par Jean-Claude Mallet, président de la commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Les aspects opérationnels de ce partage sont gérés, sous l’égide de Matignon, par Pierre Brochand, pour la DGSE, par le président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) de 2003 à 2009, Jean-Louis Dewost, et par le directeur du Groupement interministériel de contrôle (GIC), chargé des interceptions, le général Jean-Luc Epis, puis, en 2008, le général Claude Baillet.
” Vigilance particulière ”

” J’ai effectivement été associé au montage de la plateforme, mais je ne me souviens plus si c’était formel ou informel “, a indiqué M. Dewost au Monde. Le statut de cette PNCD est cependant largement dérogatoire au droit commun au regard de l’aspect massif des interceptions mêlant aussi bien des données personnelles de citoyens français et étrangers. Selon le député (PS, Paris) Daniel Vaillant, membre de la CNCIS de 2007 à 2010, il faudra plusieurs années pour parvenir à un accord. Il s’agit alors de faire reculer les préventions de la DGSE face à ce qu’elle perçoit comme une intrusion dans ses affaires.

Fin 2007, le Parlement obtient une première contrepartie avec la création de la délégation parlementaire au renseignement, dont les pouvoirs restent très limités. Le projet de loi sur le renseignement actuellement en discussion n’apporte aucun élément nouveau sur la PNCD. Pour Olivier Guérin, ex-délégué général de la CNCIS, ” ce projet de loi appelle à une vigilance particulière “. Selon lui, ” autant la loi sur les interceptions de 1991 partait du principe des libertés puis abordait les exceptions au nom de la sécurité, autant le projet actuel part des moyens d’actions du renseignement et réfléchit après aux restrictions imposées au nom des libertés “.

J. Fo.

Loi renseignement : la Quadrature du net dénonce la légalisation “des pratiques inacceptables en démocratie”

Alors que les débats parlementaires sur le projet de loi relatif au renseignement ont démarré le 13 avril, beaucoup s’opposent aux modalités et aux finalités de ce texte, dont des associations de défense des libertés telle la Quadrature du net.

Selon cette organisation, « aucun des problèmes fondamentaux relevés par les opposants, rendant l’ensemble du texte de loi inacceptable, n’est en passe d’être réglé :

  • les finalités et moyens de la surveillance restent trop larges et mal définis, permettant des interceptions de masse. Les vies intimes et professionnelles d’activistes, journalistes, avocats, ou de n’importe quel citoyen pourront ainsi tomber dans les filets des dispositifs mis en œuvre.
  • les recours et le contrôle de la surveillance sont troués, illusoires, et tout est concentré aux mains du Premier ministre et de lui seul. Le but d’ensemble de ce texte semble de légaliser des pratiques qui devraient être interdites (la surveillance de masse étant incompatible avec la démocratie), et d’organiser l’impunité, hors de tout contrôle démocratique, de toute forme de surveillance, de masse ou ciblée.
  • l’organisation d’une surveillance généralisée des réseaux internet et des communications de la population française transformerait les acteurs d’internet en auxiliaires de cette surveillance de masse injustifiable. »

Pour Adrienne Charmet, coordinatrice des campagnes de la Quadrature du net, « le gouvernement est en train de mettre en place une loi autorisant toutes les dérives en terme de surveillance massive, sans aucun contrôle démocratique ». Un avis partagé par le co-fondateur de l’organisation, Jérémie Zimmermann : « il est du devoir des députés d’interdire et non de légaliser des pratiques inacceptables en démocratie, car violant massivement les libertés d’innocents, comme la surveillance de masse. Les citoyens doivent se mobiliser contre le viol massif, en toute impunité, de leur intimité, avec la complicité de leurs élus ».

Pour rappel, le vote du projet de loi relatif au renseignement aura lieu le 5 mai prochain.