La justice s’inquiète du boycott des «produits israéliens»

Par Erich Inciyan

Article publié le samedi 03 avril 2010

Datée du 12 février 2010, la dépêche ministérielle vise les «appels au boycott des produits israéliens». Elle indique que plusieurs dossiers de ce type ont été diligentés, depuis un an, sur le fonde- ment de «la provocation publique à la discrimination». Avec une nouvauté : le ministère de la justice s’en inquiète au point d’envi- sager «un regroupement des procédures motivé par le souci d’une bonne administration de la justice».

La fermeté est donc de mise. «Il apparaît impératif d’assurer de la part du ministère public une réponse cohérente et ferme à ces agissements» , recommande la Place Vendôme à tous ses procu- reurs généraux. Il leur est ordonné de porter à la connaissance du ministère tous les faits de cette nature répertoriés en France.

L’engagement de poursuites judiciaires est manifestement privilégié : «Si certaines procédures ont déjà fait l’objet de classements sans suite, vous prendrez soin d’exposer de manière détaillée les faits et de préciser les éléments d’analyse ayant conduit à ces décisions» . Avis aux boycotteurs ! Des convocations au commissariat sont annoncées.

Les «instructions» du ministère de la justice concernent un mou- vement de protestation non-violente qui se développe à l’échelle internationale. Cette campagne «Boycott, désinvestissement et sanctions» (BDS) a été lancée par la «société civile palestinienne» , en 2005, au nom du respect du «droit international» par Israël. En France, elle est relayée par des organisations assez diverses et soucieuses de la «cause palestinienne». Le mouvement conduit notamment des actions dans des hypermarchés pour demander le retrait de «produits israéliens» et des «produits des colonies dans nos supermarchés».

La chronique des tribunaux retient que, le 10 février 2010, à Bordeaux, une militante de BDS a été condamnée pour ces faits (1.000 euros d’amende). Cette quinquagénaire avait mis des autocollants «Boycott Israël» sur des jus de fruits provenant de ce pays, en mai 2009 dans un hypermarché de Mérignac (Gironde). La vignette comportait un code barre commençant par trois chiffres, qui désigne les marchandises venant d’Israël.

Jamais la campagne n’a appelé à boycotter les «produits kasher»

Devant ses juges, la justiciable girondine a repoussé fortement toute intention raciste ou antisémite, en refusant «l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme qui est systématiquement utilisé contre les militants soutenant la cause palestinienne» .

La Ligue des droits de l’Homme, dont elle est adhérente, a critiqué sa condamnation par le tribunal correctionnel : «La LDH, qui reste hostile à ce mot d’ordre de boycott général, n’en considère pas moins cette condamnation comme profondément injuste et in jurieuse pour une militante à qui l’antisémitisme fait horreur». La militante a fait appel.

A Bordeaux, précisément, une semaine plus tard, la ministre de la justice est revenue sur le sujet. Le 19 février, lors d’un dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (le CRIF, qui s’oppose fortement au mouvement de boycott), Michèle Alliot-Marie a affiché sa résolution : «Je veux cibler l’action de la justice sur la lutte contre les discriminations. Je n’accepte pas que des personnes, responsables associatifs, politiques ou simples citoyens, appellent au boycott de produits au motif qu’ils sont kasher ou qu’ils proviennent d’Israël.»

Cette référence ministérielle au boycott de «produits kasher» a provoqué la réaction, notamment, de l’Union juive française pour la paix (UJFP, qui est membre du mouvement BDS ). Jamais les initiateurs de cette campagne «n’ont en aucune façon appelé au boycott des produits kasher. Je vous mets au défi de prouver le contraire», a ainsi réagi Daniel Levyne, membre du bureau natio- nal de l’UJFP, en interpellant la ministre de la justice.

«L’appel au boycott est une infraction»

Dans ce même discours de Bordeaux, Mme Alliot-Marie a fait état de la dépêche ministérielle du 12 février. Elle a souhaité «que le parquet fasse preuve de davantage de sévérité à ce sujet. J’ai donc adressé une circulaire aux parquets généraux, leur demandant d’identifier et de signaler tous les actes de provocation à la discrimination. J’entends que tous les auteurs d’actes soient poursuivis dès qu’ils auront été identifiés et notamment quand les appels auront été faits sur Internet.»

Puis la Garde des sceaux s’est directement référée au récent juge- ment bordelais : «A cet égard, je salue la détermination du parquet dans l’affaire de l’individu qui avait appelé au boycott de produits israéliens par voie d’affichettes dans un centre commercial de Mérignac. Ses réquisitions ont été suivies dans la condamnation prononcée par le tribunal correctionnel de Bordeaux le 10 février dernier. L’action du parquet de Bordeaux illustre ma détermination dans la lutte contre l’antisémitisme.»

La ministre considère donc, elle, qu’il s’agit d’«antisémitisme». Au delà de ces propos engagés, le porte-parole du ministère de la justice, Guillaume Didier, précise : «On peut critiquer la politique de l’Etat israélien, comme de tout pays. Mais on ne peut pas appeler à un acte de discrimination. L’appel au boycott, que ce soient des produits israéliens ou de ceux de n’importe quel pays, c’est une infraction» .

De fait, les plus hautes juridictions se sont prononcées sur la ques-

tion. Il s’agissait d’un cas d’espèce : le maire (PCF) de Seclin (Nord) avait annoncé, en octobre 2002, son intention de boycotter les «produits israéliens», lors d’une réunion du conseil municipal. Cet élu, Jean-Claude Willem, avait demandé aux services munici- paux de ne plus acheter de telles marchandises. Il s’en était aussi expliqué sur le site Internet de sa commune.

L’ensemble avait valu au maire d’être poursuivi pour «provocation à la discrimination» . Les poursuites s’appuyaient sur le code pénal – qui sanctionne le boycott sous l’angle de la discrimination à raison, notamment, «de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion» – et sur la loi sur la liberté de la presse de 1881 (articles 23 et 24). En appel, Jean-Claude Willem avait été condamné à 1.000 euros d’amende. La Cour de cassation, puis la Cour européenne des droits de l’Homme, avaient ensuite validé cette condamnation de l’élu pour discrimination.

Et les appels au boycott des «produits chinois» ?

Il n’y a pas pour autant consensus chez les juristes. Sur son blog, l’avocat Gilles Devers a ainsi placé le débat «sous l’angle de l’ac- tivité des entreprises installées dans les territoires occupés». En citant, cette fois, la Convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre : «L’Etat occupant ne se considèrera que comme administrateur et usufruitier des édifices publics, im- meubles, forêts et exploitations agricoles appartenant à l’Etat en- nemi et se trouvant dans le pays occupé. Il devra sauvegarder le fond de ces propriétés et les administrer conformément aux règles de l’usufruit» .

Et Me Gilles Devers rappelle encore la résolution 446 du 22 mars 1979 du Conseil de Sécurité : «La politique et les pratiques israé- liennes consistant à établir des colonies de peuplement dans les territoires palestiniens et autres territoires arabes occupés depuis 1967 n’ont aucune validité en droit et font gravement obstacle à l’instauration d’une paix générale, juste et durable au Moyen- Orient.»

Directeur éditorial : François Bonnet

Une autre avocate, Me Caroline Yadan Pesah, s’est référée aux dossiers de Seclin et de Bordeaux pour souligner que «le boycott contre des produits israéliens est illégal». La juriste s’insurge contre les appels au boycott par «des associations anti- israéliennes “pro-palestiniennes” et/ou islamistes radicales qui multiplient les opérations “commandos” d’intimidations dans les grandes surfaces afin de dissuader les clients d’acheter les produits en provenance d’Israël et les grandes enseignes de les distribuer.» Et de considérer : «On ne peut donc impunément se livrer à un boycott à l’égard d’Israël, ou appeler à ce boycott, sauf à prendre le risque d’une condamnation pénale.»

Reste, dans ce débat juridique et politique, que la nouvelle cir- culaire du ministère de la justice ne porte que sur le boycott des «produits israéliens» . Et qu’il semble qu’aucun autre type d’af- faires de discriminations n’ait donné lieu, dans l’histoire judiciaire récente, au «regroupement» des procédures envisagé par la Place Vendôme.

Une telle procédure de centralisation, qui s’accompagne de la désignation de magistrats spécialisés, semble avoir plutôt porté sur des dossiers d’une grande complexité technique intéressant, par exemple, la santé publique (amiante) ou des escroqueries à l’échelle internationale.

La justice française se penchera-t-elle sur le boycott de produits venus d’autres pays qu’Israël ? «Il n’existe aucun boycott contre la Chine Populaire, l’Iran, la Corée, la Russie, la Syrie, l’Arabie Saoudite, l’Egypte ou de manière plus générale contre les nom- breux gouvernements de terreur qui empoisonnent la planète» , remarque encore Me Caroline Yadan Pesah.

Sur ce plan, une rapide recherche indique que le député (Nouveau Centre) Jean-Christophe Lagarde avait évoqué, en avril 2008, «un boycott de la part des citoyens, des consommateurs, sur les pro- duits chinois» avant les Jeux olympiques de Pékin et en liaison avec la situation du Tibet. Il l’a échappé belle.

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