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C’était il y a deux ans. Ni oubli, ni pardon.
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Ils ont tué l’un des nôtres. Lettre à Clément Méric.
Clément,
Lorsque j’ai appris, hier soir, la nouvelle, j’ai cru tout d’abord que je te connaissais. Ce n’était pas le cas. Je t’ai pris pour un autre.
Mais plus j’y réfléchis, et plus je me dis que oui, je te connaissais. Même si nous ne nous sommes jamais rencontrés. Même si, jusqu’à hier soir, j’ignorais ton existence. Oui, je te connais. Tu es mon camarade. Tu es notre camarade.
Et ils t’ont tué. Ils ont tué l’un des nôtres.
À la télé, en ce moment, ils parlent d’ « altercation ». De « rixe ». De « face-à-face entre extrême-droite et extrême-gauche ». À vomir.
Ils disent qu’il ne faut pas tout mélanger. Qu’il faut éviter les amalgames. Que c’est tragique, mais qu’il ne faut pas vouloir tout interpréter, tout analyser, tout généraliser. Alors c’est comme ça, ils parlent de « bagarre ». À vomir.
18 ans. C’est ton âge. On ne doit pas mourir à 18 ans.
1995. C’est ton année de naissance. C’est aussi l’année où des fachos ont noyé Brahim Bouarram, lors du défilé annuel du FN.
Chaque 1er mai, depuis 18 ans, on se souvient de la mort de Brahim. Chaque 5 juin, désormais, on se souviendra de ta mort, Clément.
On se souviendra, comme le 1er mai, que l’extrême-droite tue. On se souviendra, comme le 1er mai, que le fascisme n’est pas mort. Que le ventre est toujours fécond. On s’en souviendra.
Mais on ne se contentera pas de ça. Et on n’attendra pas le 5 juin.
Dès ce soir, dans toute la France, il y aura des rassemblements. On occupera la rue. Pour dire, pour leur dire à ces nazillons, que la rue n’est pas à eux. Qu’elle ne l’a jamais été, et qu’elle ne le sera jamais.
Mais on ne se contentera pas de ça. On ne peut pas. On ne doit pas. Clément, ta mort nous dit beaucoup de choses. Et il s’agit de les prendre au sérieux.
Ta mort nous dit que les fachos sont en confiance en ce moment. Qu’ils pensent que tout leur est permis. Que le climat leur est favorable. Que leurs idées ont le vent en poupe.
Pas étonnant, dans un pays dans lequel des centaines de milliers de gens manifestent contre l’égalité des droits.
Pas étonnant, dans un pays dans lequel l’État traque les sans-papiers, les Rroms, expulse à tour de bras et couvre systématiquement les violences policières.
Pas étonnant, dans un pays dans lequel se multiplient les agressions contre les musulmans, tandis qu’éditorialistes et responsables politiques débattent poliment de savoir si l’islam est compatible avec « nos valeurs ».
Pas étonnant, dans un pays dans lequel le principal débat qui agite la droite, c’est de savoir quand et comment elle va s’allier avec l’extrême-droite, dont elle a depuis longtemps repris la plupart des idées.
Pas étonnant, dans un pays dans lequel la gauche gouvernementale a depuis longtemps renoncé à s’attaquer aux sources du mal et préfère « briser des tabous » pendant que d’autres rigolent en brisant des vies.
Alors ils sont tous là. Ils dénoncent. Ils sont horrifiés par ta mort. Ils disent qu’ils vont traquer et punir les coupables. Tant mieux. C’est bien le moins qu’ils puissent faire.
Mais une fois l’émotion surmontée, une fois l’emballement médiatique passé, ils retourneront à leurs petites affaires. Petites affaires qui permettent à l’extrême-droite, à mesure que la crise s’approfondit et qu’ils mènent la guerre aux pauvres, de continuer à distiller son poison mortel.
Font-ils semblant de ne pas voir que l’un des principaux effets de la crise, qui n’en est qu’à ses débuts, c’est de renforcer les logiques identitaires, chauvines, racistes, xénophobes ? Font-ils semblant de ne pas voir que partout en Europe, des courants et des discours politiques que l’on croyait appartenir au passé refont surface, se développent, s’organisent ? Font-ils semblant de ne pas voir que les néo-nazis sont aux portes du pouvoir en Grèce, grâce aux politiques d’austérité ? Font-ils semblant de ne pas voir que ta mort n’est pas un incident isolé, mais un signe des temps, annonciateur de l’orage qui gronde ?
Ils voient, mais ne veulent pas voir. Ils savent, mais ne veulent pas savoir. Ils n’ont rien retenu de l’histoire. Ils sont tellement aveuglés par leur fidélité au système qui les nourrit qu’ils sont prêts à tout pour le sauver, même à laisser la porte ouverte aux fascistes, qui ne veulent pas détruire ce système mais le réorganiser par la force.
Clément, tu étais un militant antifa, mais aussi un militant syndical. Tu étais de ceux qui ont compris que la lutte contre la gangrène fasciste passait par un combat quotidien, pieds à pieds, contre leurs idées et leurs activités, mais aussi par le combat pour une réelle transformation sociale, pour un autre monde, débarrassé des oppressions et de l’exploitation.
Clément, on se souviendra de ça aussi.
On ne va pas seulement pleurer, même si des fois, comme lorsque j’ai vu tout à l’heure ton année de naissance, ça fait du bien.
On va pleurer, mais on ne va pas en rester là.
Ils ne passeront pas.
Et tous ceux qui s’émeuvent aujourd’hui de ta mort alors qu’ils n’ont rien fait, bien au contraire, pour l’empêcher, devront, tôt ou tard, choisir leur camp.
Clément, je ne te connaissais pas, mais tu étais l’un des nôtres.
Ils ont tué l’un des nôtres.
Il n’y aura ni pardon, ni oubli.
Clément, la lutte continuera, avec et sans toi.
Adieu camarade.
Julien Salingue
Paris
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