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Comptes-rendus de voyage par Michèle Sibony – Juin 2015
lundi 15 juin 2015 par Michèle Sibony
Du BDS vu de Tel Aviv aux films sur la guerre, à Ramallah et Haîfa , une rencontre à Nazareth, les enjeux expliqués de l’affaire d’Um Alhieran au moment d’un second appel auprès de la Cour suprême.

Israël – 4 Juin 2015 – Horizon Zéro.
QUI A PEUR DU BDS…
Le déni n’est plus de mise pour quiconque, ici comme ailleurs. Le BDS avance et est vécu et présenté par Israël comme une menace existentielle, ainsi qu’à l’accoutumé.

Si l’on prend à titre d’exemple, l’exemplaire papier du Haaretz en anglais du 3 juin, (c’est à dire juste avant la crise Orange) on trouve en une un article sur le syndicat national des étudiants de Grande Bretagne et sa décision de rejoindre la campagne BDS, et l’encadré suivant : « voir plus d’informations sur BDS pages 3 et 4 ». Toujours en première page, l’interpellation de la Suisse par Israël pour qu’elle interdise l’exposition de Breaking the silence qui doit se tenir courant juin à Zurich, boycott aussi donc.

Ces deux articles se poursuivent page 2, puis un nouvel article rapporte sur un quart de la page 3 les inquiétudes des universitaires israéliens sur le boycott « latent » qui les vise. Les présidents des universités témoignent de nombreux refus de publications, refus polis sous divers prétextes d’invitations à des congrès israéliens, un net ralentissement des invitations d’universitaires israéliens à l’étranger, un net ralentissement des bourses d’études allouées et des lettres de recommandations sur lesquelles repose, disent-ils, la vie universitaire. Tous expriment leur certitude que ce phénomène va s’accentuer. Page 4 sur 5 colonnes un article titré « la déclaration de guerre de Netanyahu contre le BDS donne aux boycotteurs leur première victoire majeure ». Page 5 deux articles : un sur la FIFA : « la FIFA vient à l’aide des arabes israéliens », et l’autre : « BDS a raison sur l’occupation ». Page 7 : les entreprises françaises et du Royaume Uni interdites d’exporter certains armements vers Israël.

Dans mon cercle d’amis ici, ceux qui jusqu’à il y a quelques mois regardaient le BDS avec méfiance et lui trouvaient bien des défauts, tiennent un discours bien plus net ce mois-ci : « ça marche et il n’y a que çà qui fait peur. Il faut continuer ». Les plus sionistes d’entre eux, pour parler en termes européens, sont tellement amers et désabusés du gouvernement entrant, que s’ils n’accueillent pas le BDS à bras ouverts, ils ne l’attaquent plus et se contentent d’en faire porter la responsabilité à Netanyahu et son gouvernement d’extrême droite. Une amie dont les enfants sont agriculteurs dans l’Arava (la vallée du Néguev qui longe la mer morte jusqu’à Eilat, raconte qu’ils vont mal, écrasés sous les nouveaux impôts sur les travailleurs étrangers, et la réduction des marchés européens due , précise-t-elle, au BDS et à la crise économique.

Ce soir j’ai écouté les informations sur la chaîne 10 dite de gauche (!) le sujet majeur est Orange, le commentaire de la journaliste frôle l’insulte sur le patron d’Orange, le gouvernement français… Une statisticienne vient démontrer qu’il n’y a pas eu plus de désabonnements entre hier et aujourd’hui que d’habitude. Les interviewés devant les boutiques Orange, déclarent au contraire qu’ils vont multiplier les abonnements ici pour soutenir Partner. L’inénarrable ministre de la justice, Ayelet Shaked, interpelle les juifs du monde entier pour qu’ils boycottent Orange afin de lutter contre l’antisémitisme. Meir Habib notre « député des français de l’étranger » déclare héroïquement depuis Paris, qu’il boycottera Orange s’il le faut. Un autre journaliste explique images à l’appui ce que le BDS français reproche à Partner et les raisons pour lesquelles il demande à Orange de désinvestir, Les amis autour de moi regardent les images de Partner son rôle à Gaza, avec la brigade Ezouz et réagissent, pourquoi ne nous as-tu pas donné ces infos plus tôt ? Il faut résilier nos abonnements Orange. En même temps résilier Orange pour une autre compagnie israélienne, avec le même type de politique de soutien à l’armée, et la même implantation dans les colonies ? Le boycott de l’intérieur a une action très limitée de fait. Plus déclarative que performative.

Le journaliste conclut qu’à son avis le gouvernement français ne prendra pas les distances du président d’Orange demandées par Netanyahu, à son avis il rappellera la liberté d’entreprise, et aussi que les colonies dans les territoires occupés sont illégales et sujettes à sanctions comme les entreprises qui y investissent. Il termine en indiquant que sauf changement de politique il ne voit pas comment ce mouvement du BDS pourrait s’arrêter. Et la journaliste de répliquer : et comme il n’y a aucune chance que la politique locale change cela ne risque pas de s’arrêter. Cette réponse est importante, elle résume il me semble beaucoup de ce que je vois, entends et comprends d’ici. L’amertume désabusée qui me paraît caractériser l’air du temps est aussi faite de cette certitude que rien ne peut changer. Rien puisque toute menace sur Israël, qu’elle vienne du Hamas, du Hezbollah des territoires occupés cisjordaniens, de l’intérieur, ou d’ailleurs est existentielle ; rien, puisque nous sommes victimes et en position défensive, forte certes, heureusement pour nous, mais défensive. Il y a comme un mur qui sépare la conscience de ce qu’il faudrait faire pour que cela change. Autre exemple, il y a quelques jours l’annonce de rockets tombées sur Gaza, mon entourage de Tel Aviv réagit : non ça va pas recommencer quand même, encore une guerre ! Ils n’excluent pas de leur remarque toutes les conséquences sur la population de Gaza, mais les premières portent sur eux même, leur mal être pendant cette « guerre ». Je me contente de dire doucement : ce n’est pas une guerre. Aujourd’hui à Haïfa, j’ai ajouté une remarque : il y a eu quinze raids sur Gaza cette nuit, je voudrais regarder des infos. Je le savais par le réseau militant français, personne n’en a parlé autour de moi. Ma phrase est tombée à plat.

Cinéma de part et d’autre

Cela commence à Joz ve loz un bar de la gauche branchée de Tel Aviv, une longue table rassemble des équipes de producteurs de cinéma et télévision autour… d’Ivan Attal qui trône avec son insupportable suffisance. Ils sont là apprend-on autour du festival du documentaire « Doc Aviv » qui vient de s’achever, Ils sont venus acheter des films. Deux jours plus tard à Ramallah trois de cette tablée sont venus pour animer une sorte de stage permettant à de jeunes cinéastes palestiniens d’apprendre à présenter leurs films à des pitchings ; je suis là un peu par hasard mais j’assiste à quelques présentations : les sujets des films montrent une distance effarante d’avec ce qui intéresse les Israéliens. Plus tard ce jour-là je regarde un autre film en préparation qui montre des archives du cinéma militant palestinien, bouleversant : elles remémorent les liens de la lutte palestinienne avec la révolution, des voix des années 60 nous rappellent que le peuple palestinien est un peuple révolutionnaire qu’il a survécu en passant du statut de peuple de réfugié à celui de peuple combattant….
Hier soir à la cinémathèque de Haïfa, un film présenté à Doc Aviv réalisé par une jeune cinéaste israélienne de gauche Mor Lousha : « Siah lohamim : des voix censurées ». Elle a retrouvé les bandes magnétiques des enregistrements de soldats réalisés dans les kibboutzim après la guerre de 67, qui avaient donné lieu au livre du même nom (publié en Europe sous le titre : « le 7e jour »). La censure de l’époque est tombée, elle fait écouter à ces hommes d’âge respectable aujourd’hui ce qu’ils disaient à l’époque, et montre les images d’archives libérées de la censure, terrifiantes sur la guerre de 67, récits de crimes de guerre : les ordres étaient dans le Sinaï : tuez tout ce que vous pouvez, évacuations et destructions de villages, le passé rejoint désespérément le présent. Ce qui m’a frappé, c’est l’absence totale du moindre décalage entre le discours de l’époque et aujourd’hui- discours qui a été résumé plus tard dans l’expression israélienne et un autre film, anti colonial celui-là, « on tire on pleure » – une parole qui revient à plusieurs reprise dans le film : cette guerre était nécessaire il fallait la faire, mais je ne supporte pas ce qu’elle a fait de moi. Et surtout ce qui résonne le plus violemment à mes oreilles : le « nous et eux » qui se répète dans les dialogues, voire souvent le « nous ou eux ». Ma principale critique du film, n’avoir à aucun moment cherché à proposer ne serait-ce qu’un mouvement minuscule de cette position de blocage.

La cinéaste affirme qu’il faut absolument rompre ce cycle infernal des guerres, mais son travail n’y aide pas d’une certaine façon il alimente le cycle. Rien n’y offre une autre perspective : celle d’un « nous » tout court, par exemple. Pourquoi ne pas établir une mise en relation avec un autre groupe de combattants d’aujourd’hui qu’Israël cherche à boycotter, en demandant à la Suisse d’interdire leur exposition ? Je veux parler de Breaking the Silence : un groupe qui ne se dit ni antisioniste ni anticolonialiste mais qui a bougé lui, de la position du « on tire on pleure ». Ils considèrent qu’ils sont en train, par les témoignages qu’ils recueillent anonymes ou découverts, de constituer une véritable archive des crimes de guerre, leur position est celle d’une interpellation de la société israélienne, (j’ai failli écrire société civile mais c’est une vraiment curieuse expression ici tant est fort le mélange sécurité- société) avec une question implicite mais latente et lancinante : alors ? Qu’est-ce qu’on fait ? Qu’est-ce que vous faites devant cela ? C’est bien peu dirons certains, vu le blocage c’est beaucoup, la preuve, la haine qu’ils suscitent ici. Alors que les combattants de Siah Lohamim rassurent les gens sur eux-mêmes.

Je viens de lire ce vendredi 6 juin, Yossi Sarid dans Haaretz, qui se dit bouleversé par le film qu’il vient de voir, mais qui conclut sur l’éternel mode du « on tire on pleure » pauvres de nous obligés de faire ces horribles guerres nécessaires…
Tout cela m’évoque ce que j’entends dire sur la liste commune entrée à la Knesset, les Juifs comme les Palestiniens que je connais en parlent, les Juifs qui ont voté pour elle se comptent, et misent sur elle avec fierté et anxiété, pour un progrès qu’ils ne savent pas encore qualifier. Et qui ne leur semble pas dépendre d’eux. Les Palestiniens considèrent pour certains qu’un nouveau round s’ouvre pour parler de « nous » avec ceux des juifs qui le pourront ou le voudront.

Save Um Alhieran
Entretien avec Majd Kayal du centre Adalah à propos de Atir – Um Alhieran
une affaire de droits civiques

Haïfa – 10 Juin 2015

Le centre juridique pour les droits de la minorité arabe d’Israël, Adalah, vient de saisir pour la seconde fois la cour suprême israélienne pour obtenir l’annulation de l’ordre d’expulsion des habitants de Atir – Um Alhieran, et de destruction de ces villages bédouins du Néguev afin de construire sur leur territoire une ville juive qui devrait s’appeler Hiran. La bataille juridique commencée en 2003 touche à sa fin, et ses conséquences auront sans doute un impact jurisprudentiel sur le sort des terres du Néguev, mais pas seulement. Au-delà de la jurisprudence c’est la question des droits civiques et constitutionnels des Palestiniens citoyens d’Israël que soulève le cas d’Um Alhieran.

Atir–Umm Alhieran fut établi par un ordre du gouverneur militaire israélien de 1956, après l’expulsion forcée des habitants de la zone de Wadi Zuballa où ils étaient établis et qu’ils cultivaient depuis des siècles dans le Néguev. Ce transfert forcé n’était pas le premier. Les villageois avaient d’abord été déplacés en 1948 vers la zone de Hirbat al Hanzall, puis vers celle de Kokheh et Abu Kaff. Il s’agissait donc en 1956 du troisième déplacement forcé vers Wadi Atir où ils vivent à présent. A cette époque ils avaient reçu l’assurance du gouvernement militaire que ce déplacement serait le dernier. C’est ainsi que les membres de la tribu fondèrent leur village, construisirent des bâtiments permanents de brique et de ciment et consacrèrent leurs efforts à recréer leur environnement familial et et social détruit par les expulsions successives. Il y a aujourd’hui 150 familles vivant dans le village qui compte plus d’un millier d’habitants de la tribu d’Abu Al Qi’an (ces informations sont tirées du rapport de Adalah : http://www.adalah.org/en/content/view/6555)
Malgré cet établissement forcé garanti par ordre du gouverneur militaire depuis 1956 le village n’a pas été « reconnu » par l’État qui ne lui a donc jamais fourni aucun service public ni eau ni électricité ni école ni centre de santé ni viabilisation d’aucune sorte, ce sont les habitants eux même qui pourvoient à ces service, bien que citoyens israéliens payant leurs impôts et pour beaucoup d’entre eux choisissant de faire leur service militaire…
Nous connaissons la situation des villages non reconnus, qui permet de laisser « ouverte » sans frais la destinée des familles palestiniennes expulsées et déplacées, pourtant ici des marqueurs nouveaux inquiétants apparaissent.
Majd Kayal rappelle tout d’abord que c’est au début des années deux mille que le plan de construction d’une nouvelle ville juive sur le territoire de Atir-Um Al Hieran a été connu par le biais de pré-projets examinés dans des commissions de planification. Pour justifier de son ordre d’expulsion et de destruction des villages l’État a d’abord prétendu devant le tribunal du secteur saisi en 2003 qu’il s’agissait d’une population illégalement installée sur le territoire , de squatters en quelque sorte, et il a aussi prétendu que ce territoire n’était pas destiné à la construction, mais à des espaces verts. Le tribunal saisi par Adalah du projet de construction d’une ville juive avait traité Adalah de menteurs et d’affabulateurs.
Cette même année Suhad Beshara l’avocate de Adalah chargée du dossier trouvait dans les archives militaires les documents prouvant que le gouverneur militaire avait donné aux villageois le droit de s’ installer sur les terres de Atir – Um Alhieran en 1956.

C’est en 2007 que l’État a présenté le projet final officiel qui confirmait ce qu’Adalah savait et affirmait depuis 2002.

J’’ai lu cette semaine dans Haaretz, une explication de la décision de la cour suprême. Cela ne me paraît pas scandaleux en soi : en France aussi l’État a le droit, dont il use parfois, de préempter des terrains ou habitations avec compensations financières pour des raisons de construction publique. L’article reprend les termes du jugement indiquant que l’État a proposé un relogement provisoire en attendant le retour dans la nouvelle ville.

J’ai conscience de jouer l’avocat du diable , et Majd répond :
– La décision rédigée par le Juge Aharon Rubinstein de la cour suprême écrit noir sur blanc que le territoire et la ville seront destiné à une ville juive.
– Le nombre de candidats juifs inscrits sur ce programme de logement dans la future Hiran est actuellement très inférieur au nombre des résidents actuels de Atir -Umel Hiran .
– L’état s’engage t- il à ce qu’il y ait dans cette ville des terres réservées aux habitants de Um Alhieran ? Non.
– L’État a-t-il seulement pensé à la possibilité d’habitants arabes dans la future ville, pas une seconde. Il n’accepte pas leur retour dans la future Hiran comme collectif, il autorise seulement chaque individu à « postuler » s’il le souhaite pour l’achat d’un appartement ou la location d’un terrain dans la future ville. Or tu connais comme moi ce que sont les commissions d’admission et les examens des candidatures en Israël, leurs critères éliminatoires des populations arabes : par exemple préférence donnée à ceux des candidats qui ont servi dans Tsahal. De plus en général les ventes se font au plus offrant, mais s’énerve Majd, qui peut offrir le plus, un colon soutenu et subventionné par des dizaines de groupes sionistes américains participant à l’opération de judaïsation du Neguev (nous y reviendrons *), ou bien un bédouin qui vit depuis soixante ans sur cette terre sans eau et électricité..
– Autre chose qui dit que ces gens ont où aller ? Certes l’État propose de les reloger « en attendant » à Hura une des 7 villes de cantonnement réservées aux bédouins dans le Néguev. Mais que dit le maire de Hura ? « On n’a pas de place ici pour loger nos propres résidents. Il y a déjà deux cents familles de Hura qui ont saisi la cour suprême d’une demande pour qu’une partie des terres que l’État réserve à Hiran leur soient données car ils n’ont pas où vivre dans Hura. »
Admettons même reprend-il, qu’on leur donne des terrains à Hura, sont-ils viabilisés ? Sont-ils même bâtis, ou même programmés, ce type de programme prend 15 ans en moyenne pour être réalisé, que faire de ces gens pendant ce temps. Penses-tu qu’ils ont même commencé à y penser ?

Mais pourquoi cela prendrait-il quinze ans ?

Regardons le programme pour la ville juive de Hiran, mis en route depuis 2000 il n’a été rendu public qu’en 2007, la construction était programmée pour fin 2013 ça prend du temps même pour une ville réservée aux juifs… sans parler des règles tribales bédouines concernant la terre qui programment des guerres internes. Mais inutile de rentrer ici dans les questions tribales, la question que nous traitons est simplement celle du droit de propriété, et l’État profitera des dissensions internes éventuelles pour éviter d’être visé… Ne jouons pas les innocents, rappelle Majd, dans ce pays, on connaît le coup du droit légalement reconnu par la cour suprême aux habitants chassés de Bir im , ou de Iqrith de revenir sur leurs terres. Ils attendent depuis des dizaines d’années.

Je me souviens alors, de la politique mise en œuvre par l’office de réhabilitation des logements sociaux Amidar à Jaffa, les Palestiniens des quartiers encore arabes sont sortis de leurs logements pour « réhabilitation » avec garantie de retour dans des immeubles entièrement rénovés. Sauf que huit ou dix ans plus tard, ils ne peuvent plus soutenir la précarité de leur situation et sont obligés de trouver des solutions stables ailleurs, ou bien de vendre leur bien … à des acquéreurs patients …et juifs. La méthode est connue.

Le problème fondamental reprend Majd est que toute la presse et les écrits se fondent sur le jour d’après comment la ville sera construite, où, qui pourra y vivre etc… Or il faut poser la vraie question, celle du jour d’avant : pourquoi sur le territoire d’Um Alhieran ? Alors que l’espace constructible qui l’entoure, vide d’habitations, est de 70Km2 ! À titre d’exemple Tel Aviv occupe une superficie de 52Km2, la ville de Lyon 47 km2, Beyrouth 20km2, Athènes presque 34km2… pourquoi raser Um Alhieiran quand on peut construire 3 villes grandes comme Beyrouth sans y toucher. À un km au sud de Um Alhieran il y a un petit établissement, avec un terrain conséquent, appelé Golddog : c’est une pension pour chiens avec hôtel , espace de jeux, cimetière… entièrement viabilisé par l’État, et reconnu par toutes les autorités. Goddog ne sera pas détruit ou déplacé pour la construction de Hiran.

La question est donc évidemment politique, aucun besoin sécuritaire, spatial ou autre de détruire ce village, ce qui rend particulier le cas de Um Alhieran c’est que précédemment l’État a toujours utilisé des prétextes aux expulsions : zone militaire, réserve naturelle, c’est la première fois qu’aucune autre raison n’est évoquée que la volonté de construire une ville juive. Décision assortie du refus d’intégrer Um -Alhieran dans la ville, comme un quartier par exemple, ce que les habitants ont proposé, ou d’y garantir un droit d’installation collectif des villageois chassés.

Quant aux futurs résidents quelques dizaines déjà inscrits, ils se sont installés dans la forêt de Yatir à cheval sur la ligne verte, juste au nord de Um Alhieran , ils ont construit des bâtiments provisoires illégaux dans cet espace vert non constructible ,et ils y attendent en toute illégalité..

Cela ressemble aux avant-postes des colonies non ?

Sauf que l’État leur a immédiatement accordé eau et électricité, et demandez-vous d’où viennent ces futurs habitants dont les enfants étudient à Hébron, où ils font tous leurs achats ? De Hébron encore. Et là un nouvel éclairage sur la situation apparaît.
Ce sont en réalité de nouveaux colons qui cherchent à établir une continuité de peuplement juif depuis Hébron vers le Neguev. D’ailleurs dans les vidéos où ils s’expriment ils indiquent clairement que cette ligne verte sur laquelle ils se tiennent en attendant leur heure n’a aucun sens pour eux. [1]
Donc pendant que les colons chassent les Palestiniens de la vieille ville de Hébron, leurs confrères attendent l’expulsion officielle de ceux du Néguev. Cette identité de pratique de part et d’autre de la ligne verte fait en effet d’elle un leurre absolu.
– C’est donc la situation actuelle, résume mon interlocuteur, nous avons une décision de justice en mai 2015 qui dit que oui, c’est possible pour l’État propriétaire de la terre, d’en chasser ses habitants et d’y construire des bâtiments pour d’autres, sur critère ethnique.
Aucune condition n’assortit le maintien de l’ordre de destruction et d’évacuation et il ajoute : le tribunal n’en sait rien et ne veut rien en savoir, s’il y a des logements prévus pour les arabes… Il s’agit d’un jeu politique du chat et de la souris.
Nous venons de faire, le 7 juin 2015 un second recours à la Cour Suprême pour réexamen de sa décision, pour épuiser toutes les possibilités juridiques. Ce recours est fondé sur deux éléments : Tout d’abord le risque d’une jurisprudence qui s’appuyant sur cette décision, ferait de l’État l’équivalent d’un propriétaire privé, et de sa relation aux occupants des terres, l’équivalent d’un contrat privé. Aucune prise en compte donc, du respect des lois constitutionnelles et du rôle de l’État dans sa relation aux particuliers qui recouvre bien plus d’obligations qu’un rapport de contrat privé.
Le tribunal a en effet refusé les arguments constitutionnels utilisés dans un conflit privé entre l’État et le particulier. Il joue la carte d’une relation de droit privé.

Tu veux dire que cela pourrait arriver demain à Nazareth par exemple, je donne volontairement un exemple extrême ?

Nazareth se défendrait car elle en a les moyens par l’ensemble des contrats privés qui la lient à l’État, des baux etc… mais elle ne pourrait pas se défendre sur la base des droits constitutionnels des citoyens .

Faut-il en déduire que cette bataille en particulier fait des habitants de Atir-Um Alhieran des super citoyens d’une bataille pour la reconnaissance des droits civiques ?

Majd secoue la tête : attention la question pour les Palestiniens est celle d’une citoyenneté imposée, pour eux utiliser les lois constitutionnelles pour améliorer les conditions de cette citoyenneté n’est pas une fin en soi.

D’autre part la décision n’est pas légale de notre point de vue : la Cour Suprême a vérifié la décision de chasser et construire, or elle est censé vérifier que le contexte de la décision a respecté les conditions normales : or deux points étaient faux dans le contexte : la décision attaquée en 2003 ne prévoit ni indemnisation ni relogement puis qu’elle qualifie les habitants de squatters sur des espaces verts non constructibles, donc le jugement a refusé de statuer sur la décision en arguant de supposées avancées ultérieures ?
Le cas d’Um Alhieran pose la question des droits humains garantis par les lois constitutionnelles israéliennes.
Au niveau déclaratif, il faut comprendre la force d’une telle déclaration de l’État qui affirme ici une préférence claire et sans artifice donnée aux juifs sur les arabes s’agissant de la terre ; les juifs sont seuls décisionnaires de ce qu’ils font du sol.

Tom Mehager dans un article récemment publié évoque à propos du cas d’Um Alhieran [2] l’affaire Kaadan . La Cour Suprême avait refusé l’appel de Adal Kaaadan contre les commissions d’admissions dans les années 70. Kaadan voulait obtenir le droit de construire un logement dans le village juif de Katzir, alors que la commission d’admission refusait sa candidature. Si le juge Aharon Barak a rappelé dans sa décision le principe d’égalité et l’obligation pour l’État de traiter tous ses citoyens également comme des sujets de droits constitutionnels, il a pris soin cependant de préciser que la clé de l’entrée en Israël (et donc de la citoyenneté) était entre les mains des juifs de par la définition de l’État et par la loi du Retour. Malheureusement l’appel qui visait les commissions d’admission fut rejeté. Et Mehager écrit : « il est important de noter que Barak consciemment ou non a choisi d’utiliser l’un des plus importants symboles palestinien du retour dans leur patrie, la clé. »
Majd file la métaphore en concluant qu’à présent avec l’affaire d’Um Alhieran c’est le trousseau de clés entier qui est aux mains des décideurs contre l’égalité des citoyens.
Une autre clé peut se trouver aujourd’hui dans la force d’une campagne internationale qui refuse la politique de ségrégation et d’inégalité de l’État envers ses citoyens non juifs. Les habitants d’Atir-Um Alhieran trois fois expulsés doivent être soutenus pour gagner cette bataille [3].

JAMILA
Samedi 13 juin 2015 – Nazareth

Cet après-midi, à l’hôtel St Gabriel dans les jardins qui surplombent la ville, mon amie Khulood me présente Jamila une militante des droits humains à ACRI (association pour les droits civils en Israël) me dit-elle. Jamila m’explique qu’elle est enquêtrice de terrain en Cisjordanie, elle connaît toutes les routes, les check points, les villages… elle ajoute : j’ai un sérieux atout pour ce travail car je parle l’arabe .Je lui réponds : bien sûr c’est évident. Pas si sûr que çà dit-elle avec un petit sourire parce que je suis juive. Jamila ?? Je suis syrienne. Ah tiens… ça c’est original en effet. Sa famille est arrivée au début des années 80, elle est née en 58. Son prénom a immédiatement été traduit en hébreu par les services d’immigration : « yafit » mais dit-elle ça c’est sur le papier seulement, mon prénom c’est Jamila. Je lui demande comment elle est arrivée au militantisme ici :- Nous avions entendu les récits de nos voisins palestiniens qui vivaient près du quartier juif, les plus anciens nous racontaient la Naqba, d’autres la guerre de 67. Nous savions tout avant d’arriver. Une partie de ma famille est aux états unis. Nous nous sommes restés. Je me suis toujours considérée comme une juive arabe. Même si cela énerve pas mal de gens de ma famille aujourd’hui ajoute-elle en riant.

Elle raconte qu’elle travaille depuis 26 ans dans le programme d’accompagnement bénévole de malades de Cisjordanie vers les hôpitaux israéliens. Elle a commencé comme bénévole avec sa voiture et a fait des années durant, ces trajets depuis les check points où elle attendait le passage des familles, jusque dans les hôpitaux et retour. Aujourd’hui elle « gère 150 bénévoles qui font ce travail chaque semaine. Elle explique que lorsque les familles n’ont pas obtenu d’autorisation, elle emmène seule les enfants malades et passe les check points avec eux. Parfois elle se fait passer pour leur grand-mère, parfois elle négocie leur passage avec les soldats, regarde-moi, je pourrais être ta mère ou ta grand-mère, c’est un enfant… Oui mais c’est un futur terroriste. Je leur fait honte. Un jour on sera pour ce pays une richesse, tous ceux qui auront montré un peu d’humanité pendant cette sombre période. Elle a accompagné de nombreux groupes étrangers à Jayyous notamment, et me parle d’un certain Marco Français avec qui elle a travaillé dans ces groupes. Elle a aussi accompagné les rabbins pour les droits humains.

Je voudrais lui parler d’Ezra Nawi mais elle me devance et me demande si j’ai entendu parler de lui. Bien sûr le plombier irakien de Jérusalem, qui sillonne depuis des années les collines du sud Hébron où il se confronte constamment et violemment parfois avec les gardes-frontières. Lui aussi est arabophone et est reçu en frère dans les villages et à Hébron. Elle me dit Ezra c’est comme mon frère jumeau en Cisjordanie, il a pris le sud et moi le nord. Dans beaucoup de villages tu dis Jamila tout le monde me connaît, pour eux je suis une arabe d’abord. Elle voulait aussi partager son expérience : -ici ils ne voient rien de tout cela, alors je me suis fait une page web où je propose de faire visiter avec ma voiture la Cisjordanie à des touristes ou des gens qui voudraient voir « l’autre côté » ; j’ai souvent des gens indifférents juste curieux, ou plutôt peu sympathisants. Je leur montre simplement, je ne fais pas de commentaires, juste je leur fais voir, je leur dit que c’est bien de voir pour se faire une idée… je les emmène à Bil’in, ils voient la violence des soldats, dans les villages proches du mur, ils voient les villageois attendre devant le portail gardé par les soldats, pour pouvoir aller cultiver leurs terres, ils voient les colonies, souvent ils sont abasourdis, même les israéliens, ils ne connaissent pas ça. A la fin de la visite je leur dit, faites-vous votre propre opinion, mais sur la base de la réalité que vous avez découverte. Toutes ces colonies, tous ces colons, comment veux-tu qu’ils fassent deux Etats, c’est fini cette histoire, quand tu parcours l’espace tu vois bien que ce n’est plus possible. Mais il y a de la place pour tout le monde ici. Pourquoi se battre ? Moi je n’ai jamais voté dans ce pays, pour personne.

[1] https://www.youtube.com/watch?v=FlgU6oLswv0 : vidéo où s’expriment les villageois mais aussi les colons sous titrée en anglais.

[2] Tom mehager – pourquoi les groupes pacifistes refusent-ils de parler de la naqba publié en anglais http://972mag.com/why-do-peace-groups-refuse-to-talk-about-the-nakba/106951/

[3] http://www.adalah.org/en/content/view/8550: campagne pour sauver Um Alhieran