Paris, 20 juin 2015
Appel de soutien aux migrants de la Chapelle
A l’initiative du Collectif de soutien des migrants de la Chapelle, une pétition déjà signée par de nombreux intellectuels et artistes, appelle à une mobilisation générale. « Nous lutterons pour elles/eux mais aussi pour défendre notre société face à cette agression de la part des pouvoirs publics. Nous sommes déterminés à ce que les torts envers nos sœurs et nos frères migrant-e-s soient réparés et que le droit d’asile et la dignité humaine soient respectés dans notre pays ».
Plusieurs centaines de migrants provenant de différents pays d’Afrique, fuyant des situations intenables dans leurs pays respectifs, s’étaient installés depuis le mois d’aout 2014, sous le métro aérien de la Chapelle. Sans revenir ici sur les détails scabreux de cette opération soi-disant « sanitaire et humanitaire », le 2 juin 2015, ce campement a été évacué et entièrement détruit.
Le 8 juin à la Halle Pajol dans le 18ème arrondissement de Paris, le nouveau campement a été, à son tour, évacué par les CRS. L’opération policière a été particulièrement violente : matraquage, gazage, utilisation de tasers envers les réfugié-e-s, les militant-e-s et habitant-e-s du quartier et les élus, tous ayant pourtant résisté de façon pacifique. Une quarantaine de migrant-e-s se sont vu notifier une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) et ont été enfermés en centres de rétention. Ces décisions d’expulsion sont toutes révoltantes, et d’autant plus abjectes que les Erythréens et les Soudanais (la grande majorité des migrants de la Chapelle) sont, en pratique, inexpulsables, du fait des risques avérés qu’ils encourent en cas de retour dans leurs pays d’origine. La France a d’ailleurs été condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme le 15 janvier 2015 pour cette raison. De fait, ces OQTF sont soit annulées par le tribunal administratif, soit abrogées par la préfecture, soit non appliquées. Les migrants se retrouvent alors remis à la rue et retrouvent l’incertitude, la précarité et l’insécurité liée à aux contrôles de police.
Le 11 juin, après que l’association du Bois Dormoy leur ait demandé de partir afin de ne pas assumer la responsabilité des pouvoirs publics, les migrant-e-s et leurs soutiens ont alors, faute de proposition satisfaisante de la part des autorités, jugé légitime d’occuper la caserne désaffectée de Chateau Landon. Des négociations ont alors eu lieu, entre le représentant de la Maire de Paris, les élus du front de Gauche dont un traducteur, et les migrants désemparés, dans un climat de pression morale et de répression policière tout à fait dommageables à une négociation sereine. Le résultat a été de faire quitter la caserne occupée par la foule, en échange d’une promesse de prise en charge à la fois sur le plan du logement et du soutien aux démarches de demande d’asile, pour 110 réfugié-e-s (c’est-à-dire excluant toutes celles et ceux qui, par crainte de nouvelles violences policières, ou pour d’autres raisons, n’étaient pas rentrés dans la caserne), et cela pour une « durée indéterminée ».
Etant donné les conditions d’accueil déplorables dans le centre d’hébergement d’urgence de Nanterre (8 par chambres de 4, obligés de dormir à même le sol, sanitaires infects, nuisances diverses), où 80 sur 110 d’entre elles/eux ont été envoyé-e-s, de nombreux migrant-e-s se sont à nouveau considérés atteint-e-s dans leur dignité. Une fois de plus trahi-e-s par les autorités, elles/ils ont préféré revenir dormir dans la rue. Aujourd’hui, à Paris plusieurs camps à même le bitume (le jardin d’Eole, Austerlitz, Gare de l’Est…) abritent des centaines de migrant-e-s abandonné-e-s par l’Etat. Grâce à leur unité et à l’aide de riverains et d’associations, ces femmes, hommes et enfants parviennent à mener une existence précaire mais solidaire.
Nous, citoyens français, européens et étrangers vivant en France, dénonçons cette situation de non droit entretenue de façon coupable par les autorités. C’est nous seuls, et non l’Etat dont on peut se demander légitimement s’il nous représente encore lorsqu’il viole les droits et bafoue la dignité humaines, qui avons pris la défense des principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Nous condamnons avec la plus grande fermeté les violences policières qui ont accompagné chacune des interventions des forces de l’ordre et le processus de déshumanisation systématiquement orchestré à l’encontre de ces migrant-e-s. Etant depuis dix jours les témoins impuissant-e-s de l’acharnement et du mépris des autorités ainsi que de la détresse morale que cela engendre, nous appelons à des solutions durables et à une prise en charge immédiate de chacun-e de ces migrant-e-s en vue de leur obtention du droit d’asile et de régularisations pour tous, ainsi que de solutions de logement dignes et pérennes.
Nous affirmons notre engagement et notre solidarité sans failles auprès des migrant-e-s. Nous lutterons pour elles/eux mais aussi pour défendre notre société face à cette agression part des pouvoirs publics. Nous sommes déterminés à ce que les torts envers nos sœurs et nos frères migrant-e-s soient réparés et que le droit d’asile et la dignité humaine soient respectés dans notre pays.
Nous demandons :
1. La régularisation collective des migrant-e-s privé-e-s de titres de séjour, à la Chapelle, Austerlitz, Calais et ailleurs, ainsi que des logements dignes de ce nom pour tous ;
2. Un accès facilité et plus large aux titres de séjour afin de garantir aux migrant-e-s des conditions de vie et de travail dignes ;
3. La suppression du règlement de Dublin afin que les demandeur-se-s d’asile puissent choisir librement le pays dans lequel ils veulent s’installer ;
4. La liberté de circulation et d’installation à l’intérieur de l’espace Schengen et ailleurs afin que les migrant-e-s ne soient pas bloqués dans leurs trajets ;
5. La mise à disposition d’un lieu d’accueil pour elles/eux, ce qui a été promis par la Mairie de Paris lors des “négociations” de la caserne. Cette « maison des migrants », lieu associatif dans la gestion de laquelle les migrant-e-s seront activement impliqués, sera destiné à accueillir, héberger, aider dans leurs démarches et mettre en œuvre la solidarité des riverains qui doit nécessairement compléter celle d’une aide institutionnelle défaillante. Elle accueillera des permanences d’associations et devra impérativement être située à Paris intra-muros, de préférence dans le quartier de la Chapelle où les migrant-e-s se regroupent traditionnellement. Nous sommes déterminé-e-s à poursuivre ce mouvement de solidarité en faisant vivre ce lieu avec les migrants eux-mêmes, dans le respect des migrant-e-s et pour elles/eux, et à ce qu’elles/ils ne soient pas relégué-e-s hors de la ville, hors de la cité, hors de nos vies ;
6. Enfin, nous exigeons des excuses publiques de la part du ministre de l’intérieur, pour la violence inacceptable qui a été déployée par les forces de l’ordre contre les migrant-e-s et leurs soutiens pacifiques, notamment lors de la rafle de Pajol.
Premiers signataires :
Michel Agier, directeur d’Etudes, EHESS; Etienne Balibar, professeur de philosophie à l’unversité Paris 10; Chris Blache, co-fondatrice de Genre et Ville; Yahia Belaskri, écrivain et journaliste à RFI; VladimirCagnolari, journaliste à France Inter; Claude Calame, Anthropologue, directeur d’études à l’EHESS et membre de la section de la LDH de l’EHESS; Robin Campillo, cinéaste; Laurent Cantet, cinéaste; Jean-Louis Comolli, cinéaste; Eliane De Latour, cineaste, anthropologue, directrice de recherches au CNRS; Louis-Do De Lencquesaing, cinéaste et comédien; Rokaya Diallo, journaliste et écrivaine; Georges Didi-Huberman, maitre de conference a l’EHESS; Achille Mbembe, philosophe et historien à Duke University (USA) et Johannesburg (South Africa); Jules Falquet, sociologue, Maîtresse de conférences Paris 7; Éric Fassin, professeur de sociologie Paris 8; Michel Feher, philiosophe, président de l’association Cette France-Là; Romain Goupil, cinéaste; Eric Hazan, éditeur; Sam Karmann, cinéaste et comédien; Abdellali Hajjat, maître de conférences Paris 10; Alain Mabanckou, écrivain, Prix Renaudot 2006, professeur à UCLA; Elli Medeiros, chanteuse; Rose-Marie Lagrave, sociologue, directrice d’Etudes à l’ EHESS; Olivier Lecour Grandmaison,politologue, maitre de conférences, Université d’Evry; Serge Le Péron, cinéaste et professeur à l’université Paris 8; Marie José Mondzain, philosophe, directrice de recherches, CNRS; Pap Ndiaye, historien, professeur à Sciences Po; Karine Parrot, professeure de droit, Université de Cergy Pontoise; Nicolas Philibert, cinéaste; Brigitte Rouan, cinéaste et comédienne; Christophe Ruggia, cinéaste, co-président de la Société des réalisateurs de films; Claudy Siar, journaliste RFI, et directeur de Tropiques FM; Alexis Spire, politologue et directeur de recherches au CNRS; Dominic Thomas, professeur et directeur du département d’études françaises et francophones de UCLA (USA); Judith Revel, professeure de philosophie, Paris 10; Françoise Vergès, politologue, présidente du comité pour la mémoire de l’esclavage; Sophie Wahnich, Historienne, directrice de recherches au CNRS; Abdourahman Waberi, écrivain (France-Djibouti), George Washington University DC (USA)…
Lien pour signer la pétition : http://refugieslachapelle.wesign.it/fr
Lien pour faire un don au collectif des citoyens et migrants en charge du campement du jardin d’Eole (Paris 18°): http://www.gofundme.com/wp4c9k
MigrantEs de La Chapelle (Paris 18e) : après la rafle « humanitaire », la lutte continue !
Alors que l’Europe lance sa flotte antipasseurs, un arsenal de 5 navires de guerre et deux sous-marins censés couler les embarcations utilisées par les migrantEs, les autorités françaises persistent dans leur rejet de tout règlement politique pérenne et humainement acceptable pour les réfugiéEs.
Vendredi 19 juin au matin, une grande opération humanitaro-policière préparée dans le plus grand secret par la mairie de Paris, l’OFPRA France Terre d’asile, des éluEs EÉLV et du PCF, amenait plus de 200 migrantEs à rejoindre des centres d’hébergement d’urgence, sans avoir pu en discuter collectivement ni obtenir de garanties écrites sur les conditions. Le campement d’Éole, dans un quartier cerné par les forces de police, était rapidement démantelé.
Quelques jours auparavant, ces mêmes autorités affirmaient main sur le cœur, dans un marchandage indécent, qu’elles ne pouvaient proposer plus de 60, puis 100, puis 120 places en centres d’habitation d’urgence. Et c’est sous la pression de l’occupation par les migrantEs et leurs soutiens d’une caserne de sapeurs pompiers, et d’elle seule, que les autorités ont revu leurs propositions à la hausse (voir l’Anticapitaliste n°294).
Pour autant, oser parler de victoire comme le font certaines organisations, nous paraît déplacé au regard des besoins exprimés par les migrantEs, et illustrés par les nouveaux campements réinstallés depuis ces derniers jours dans le quartier. En s’attaquant au noyau le mieux organisé et en démantelant le camp d’Éole, le pouvoir pensait en avoir fini avec les réfugiéEs, les renvoyant à leur invisibilité… C’est peine perdue !
« Nous sommes des sujets, pas des objets ! » (paroles de réfugié)
Deux stratégies sont à l’œuvre dans ce conflit : l’une, individualisante, caritative, paternaliste et délégataire, voudrait que les migrantEs, supposés fragiles et désemparéEs, s’en remettent à des éluEs impliqués dans la majorité municipale pour régler tous leurs problèmes. Cette stratégie est vouée à l’échec et ne fait que retarder le nécessaire affrontement avec un gouvernement qui a clairement affiché ses intentions : invisibilisation, accueil très limité (en regard aux besoins de la situation), et répression.
L’autre stratégie, adoptée par les migrantEs et leurs soutiens, est de permettre que les réfugiéEs, quelle que soit leur situation administrative, deviennent les acteurs de leur destin. Cela passe par le respect de leurs revendications collectives, et en premier lieu, l’exigence que soit mis à leur disposition un lieu collectif qui leur permette de s’organiser.
Anticapitalistes et anti-impérialistes, les militantEs du NPA mettent tout en œuvre pour que cette revendication essentielle se concrétise. Mais notre tâche ne s’arrête pas là. Face au racisme et à la xénophobie, il nous faut gagner l’opinion à la légitimité du combat des réfugiéEs. À Calais, Paris et Menton, des solidarités, des résistances, s’organisent, et la bataille idéologique est loin d’être perdue. Internationalistes, nous devons prendre contact ou renforcer nos liens avec les collectifs italiens qui, à Rome, Milan et Vintimille, soutiennent les migrantEs et avancent des revendications en leur faveur, particulièrement l’attribution d’une carte de séjour de 2 ans leur permettant de régulariser leur situation. Enfin, nous devons faire du mercredi 1er juillet une grande date de mobilisation qui se traduira à Paris par une nouvelle manifestation.
Alain Pojolat
Manifestation mercredi 1er juillet à 19 h
Place de La Chapelle – Paris 18e
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