Chair à plancton
A qui profite vraiment la mort des damnés de la mer Méditerranée ? La réponse serait dans son assiettes.
Le thon rouge est un poisson fusiforme de la classe des actinoptérygiens. Emblème de la Méditerranée, il peut mesurer jusqu’à trois mètres et trois cents kg. Sa chair est fameuse. Les Phéniciens la prisaient déjà, elle proie désormais des Japonais. Depuis une trentaine d’années, le thon rouge souffrait de surpêche. Car on le prélève au sonar et à la senne, ce long filet circulaire capable de saisir un banc de cent tonnes. Les prises du thon rouge ont atteint 60 000 t par an, faisant chuter sa population de plus de quatre-vingt pour cent. Il fallait réagir.
Les instances internationales ont défini des quotas et plans de contrôle, hélas en-deça des recommandations scientifiques — lorsqu’ils étaient respectés. Sous la pression du Japon, les Nations unies n’ont pu interdire le commerce international du thon au nom des espèces menacées. Pourtant, le thon rouge se porte mieux. Sa biomasse se rétablit, les quotas de sa pêche passeront à 23 155 par an (2017, 13 500 tonnes en 2014) par paliers de 20 % en 2015, 2016 et peut-être en 2017 après de nouvelles évaluations.
La disparition des damnés de la mer, Syriens, Erythréens ou Africains, depuis d’indignes périssoires, laisse craindre « une hécatombe jamais vue en Méditerranée », selon le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Depuis l’an 2000, près de 22 000 migrants ont péri en mer en tentant de gagner l’Europe, soit une moyenne de 1 500 morts par an. Le nombre des disparus s’est ainsi accru pour atteindre 1 770 dans les quatre premiers mois de 2015. Il est mort pendant ce laps de temps trente fois plus de migrants que pendant la même période en 2014. Alors que dix fois plus de damnés, mais dix fois seulement, ont traversé la Méditerranée entre 2012 et 2014, soit 219 000 personnes. Et voici que l’Organisation internationale pour les migrations se prépare à un bilan de 30 000 morts rien que pour 2015.
Mais comment fait-il pour se repeupler ? Le thon est un carnivore prédateur vorace — ou consommateur macrophage. Il adapte ses habitudes alimentaires à la nourriture disponible dans son environnement. Sa ration quotidienne pèse entre 5 et 15 % de son poids. En estimant le poids moyen du migrant noyé à soixante-dix kilos (femmes et enfants compris), les thons rouges de la Méditerranée se partageront cette année une manne de deux mille cent tonnes de chair. Ça va mieux chez les thons…
Seul souci : les Japonais raffolent de la chair du thon rouge mais beaucoup moins du « Nègre ». Conflit d’authenticité ?
Freddy Grossgosch
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