Ali Abunimah : la bataille pour la justice en Palestine
“On célèbre 10 ans de BDS, mais on ne veut pas célébrer 20 ans. Dans les 10 ans qui vont venir, on veut célébrer une Palestine libérée”.
mardi 1er septembre 2015
Ali Abunimah, fondateur du site d’information “Electronic Intifada” était à Lyon le 10 juillet. Une rencontre à laquelle ont participé environ 120 personnes, dont une cinquantaine de la Loire, a eu lieu à la Maison des Passages…
Ali Abunimah y a longuement parlé de la campagne BDS/Boycott-Désinvestissement-Sanctions pour faire tomber l’apartheid israélien.
Ci-dessous des extraits de sa prise de parole et du débat… Ali Abunimah, palestinien vivant aux Etats-Unis, s’est exprimé en français.
Il y a un an : le dernier massacre à Gaza…
(…) Alors, nous sommes là ce soir pour marquer et célébrer les 10 ans de la campagne de BDS – 10 ans de l’appel au BDS de la société civile palestinienne. Mais avant de parler de ça, il faut bien sûr se rappeler que c’est il y a un an qu’a commencé le dernier massacre israélien à Gaza : ça a commencé le 7 juillet 2014. Et je suis sûr que tout le monde connaît et se rappelle ce qui s’est passé à Gaza : 51 jours de bombardements, de destructions, de tueries. Israël a lancé sur Gaza l’équivalent de la bombe de Hisroshima si on mesure et si on compare. Et le résultat c’est destruction totale de plusieurs quartiers, il y a 2 251 personnes qui sont mortes et 551 parmi eux sont des enfants. Il y a plus de 11 000 personnes blessées, il reste aujourd’hui plus de 120 000 personnes sans abri. Leurs maisons, leurs habitations sont détruites.
Et on sait très bien ce qui se passe à Gaza, il y a par exemple ce rapport de Oxfam “Gaza après 1 an”, et il y a beaucoup de détails, je ne vais pas entrer dans tous les détails… mais pour dire que après 1 an, toutes les promesses qu’ont fait la France, les pays européens, les Etats-Unis et les autres pour livrer 5 milliards de dollars en aides humanitaires, en aides de reconstruction, presque rien n’est arrivé. Avec le résultat que pas une seule des maisons qui ont été totalement détruites n’a été reconstruite pendant un an. Il y a des maisons qui étaient endommagées qui ont été réparées, mais des maisons – et c’est plus de 19 000 maisons détruites totalement – pas une est reconstruite.
Et il y a Oxfam qui dit : et avec tout ça il y a le blocus qui continue, et malgré la propagande israélienne qu’il y a des camions qui entrent à Gaza et tout ça, la réalité c’est que presque rien entre, ce qui entre c’est minuscule en comparaison avec les besoins à Gaza.
Et avec le résultat que selon Oxfam le chômage maintenant à Gaza est à 50%. Parmi les jeunes c’est à 60%. Et les exportations de Gaza – parce que Gaza produit des légumes, des fleurs, beaucoup de choses -, n’existent plus. Israël ne laisse presque pas… que quelques camions par mois, c’est insignifiant… Alors même le peuple palestinien à Gaza qui veut travailler, qui veut reconstruire, qui veut cultiver, ne peut pas…
Et en somme il y a une phrase dans ce rapport de Oxfam qui illustre la situation à Gaza : “au rythme actuel, il faudrait 67 ans pour reconstruire les maisons détruites à Gaza.”
L’enquête de l’ONU est une nouvelle fois sans suite…
Et on sait très bien ce qui s’est passé à Gaza. Il y a d’abord les témoignages des palestiniens qui sont à Gaza, il y a les témoignages des journalistes qui étaient là sur le terrain, mais il y a aussi l’enquête qu’a menée l’ONU, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a mené une enquête indépendante, menée par un ancien juge de la Cour Suprême de l’Etat de New-York. Et c’est important de dire ça parce que on n’attend pas des responsables américains d’être très sympathiques aux Palestiniens, mais quand même, cette enquête indépendante a trouvé beaucoup de preuves sans doute qu’il y avait beaucoup de crimes de guerre à Gaza, beaucoup de violations du droit international. Et ce qui est important c’est que dans les 183 pages de cette enquête qui montre en détail ces crimes à Gaza qui incluent le ciblage délibéré des maisons des gens, l’élimination totale de plusieurs familles, la destruction d’infrastructures civiles… que ce n’était pas des actes commis simplement par des soldats sur le terrain : c’était des décisions politiques, comme dit l’enquête : “by décisions makes of the hights levels of the governement israelian”. C’était la politique des plus grands responsables du gouvernement d’Israël.
Alors cette enquête devrait être la base d’une poursuite en justice de ces criminels, de ces suspects dans ces actes et ces crimes. Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Après la publication de l’enquête, il y avait un projet de résolution envoyé au Comité des droits de l’homme à Genève, pour voter, pour accepter cette enquête, et on a voté, et on a accepté. Il y a un seul pays qui a voté contre cette résolution, c’était les Etats-Unis. La France a voté pour cette résolution. Mais avant de féliciter la France, rappelons-nous ce qui s’est passé : ce projet de résolution, avant d’être voté, la France, les autres pays de l’Europe, ont travaillé avec l’Autorité palestinienne pour affaiblir le texte, pour que ce ne soit que des mots sur le papier : il n’y a aucune conséquence, rien ne va se passer, c’est seulement une résolution, et les israéliens n’ont rien à craindre de cette enquête. Et c’est grâce à la France, grâce à l’Allemagne, grâce à l’Autorité palestinienne, parmi d’autres.
Et ce n’est pas la première fois que ça se passe comme ça. On sait qu’en 2009 il y avait un massacre à gaza, et après il y avait l’enquête du juge Richard Goldstone, et on a fait la même chose.
Et revenons 11 ans, en 2004, les Palestiniens attendaient le jugement de la Cour Internationale de la Justice sur la question du mur en Cisjordanie. Et la Cour a condamné le Mur, elle a dit : le mur est illégal, ça doit être démoli, et les colonies sont illégales. A ce moment, les Palestiniens ont constaté que déjà en 2004-2005 il y avait des décennies d’expériences on sait que résolution après résolution est votée et rien ne se passe…
La campagne d’appel au boycott : pour casser l’impunité d’Israël
Alors c’est à ce moment qu’ils ont décidé de casser, d’essayer de casser ce cycle d’impunité et de lancer la campagne BDS. Alors ça fait exactement 10 ans et un jour qu’ils ont lancé l’appel au BDS, l’appel au boycott, désinvestissement et sanctions, le 9 juillet 2005. Et je sais que beaucoup parmi vous vous êtes très familiers avec ce texte, mais j’espère qu’il y a des gens ici qui sont venus par curiosité, pour voir ce que c’est que le BDS… et alors je vais lire une partie de cet appel, et c’est bien aussi pour les autres, pour nous rappeler ce que c’est que le BDS…
“A la lumière des violations persistantes du droit international par Israël,
étant donné que depuis 1948 des centaines de résolutions de l’ONU ont condamné les politiques coloniales et discriminatoires d’Israël en tant qu’illégales, et ont appelé à des remèdes immédiats proportionnés et efficaces,
étant donné que toutes les formes d’intervention internationales et de tentatives de paix n’ont pas jusqu’ici convaincu ou forcé Israël à se conformer à la loi humanitaire, à respecter les droits de l’homme fondamentaux et à mettre fin à son occupation et son oppression du peuple de la Palestine,
en raison du fait que les personnes de conscience parmi la communauté internationale ont historiquement endossé leur responsabilité morale de combattre l’injustice comme illustré dans la lutte pour abolir l’apartheid en Afrique du Sud par diverses formes de boycott, de retrait d’investissement et de sanctions,
inspirés par la lutte des Sud-Africains contre l’apartheid, et dans l’esprit de la solidarité internationale, de la cohérence morale et de la résistance à l’injustice et à l’oppression,
Nous, représentants de la société civile palestinienne, invitons les organisations des sociétés civiles internationales et les gens de conscience du monde entier à imposer des larges boycotts et à mettre en application des initiatives de retrait d’investissement contre Israël tels que ceux appliqués à l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid.
Nous faisons appel à vous pour faire pression sur vos Etats respectifs afin qu’ils appliquent des embargos et des sanctions contre Israël,
nous invitons également les israéliens honnêtes à soutenir cet appel dans l’intérêt de la justice et d’une véritable paix.
Ces mesures de sanctions non violentes devraient être maintenues jusqu’à ce qu’Israël honore son obligation de reconnaître le droit inaliénable des Palestiniens à l’autodétermination et respecte entièrement les préceptes du droit international en :
– 1 – mettant fin à son occupation et à sa colonisation de toutes les terres arabes et en démantelant le mur
– 2 – reconnaissant les droits fondamentaux des citoyens arabo-Palestiniens d’Israël à une égalité absolue,
– 3 – respectant, protégeant et favorisant les droits des réfugiés palestiniens à revenir dans leurs maisons et propriétés comme stipulé dans la résolution 194 de l’ONU”.
… Et ça a été approuvé par les partis politiques, les syndicats, les associations, les coalitions et les organisations palestiniennes, c’est plus de 1170 organisations à l’époque qui ont signé.
La grande nouveauté de cet appel au BDS : il concerne tout le peuple palestinien
(…) Alors cet appel était révolutionnaire, parce que à l’époque on parlait toujours et il y a certains qui parlent encore d’un processus de paix, d’Oslo, des négociations qui vont mener à deux Etats un à côté de l’autre, en paix… et toute cette réthorique caduque pour utiliser le mot de Yasser Arafat… toute cette réthorique caduque du processus de paix… Mais ce qu’il est important de constater ici, c’est que les accords d’Oslo et le processus de paix officiel à l’époque, et toujours si on pense au projet de résolution que la France veut amener à l’ONU en septembre – je ne sais pas s’ils ont abandonné, mais on parlait de ça récemment – toute cette réthorique de paix parle seulement, exclusivement, des territoires occupés en 1967, comme si la Palestine ce n’est que la Cisjordanie et Gaza.
Ce qui est révolutionnaire dans cet appel c’est qu’on parle de tout le peuple Palestinien, ça réunit tout le peuple Palestinien : le peuple vivant dans les “Territoires occupés 67”, les Palestiniens vivant en Israël et les réfugiés. Et ça c’était assez révolutionnaire…
(…) Moi je ne crois pas que j’étais tout à fait conscient, je ne dirai pas que j’étais tout à fait conscient, le 10 juillet 2005 que cet appel est sorti. Il n’y avait pas eu un grand bruit autour de ça. Mais très vite les militants, les personnes qui s’occupaient de la Palestine ont adopté, ont donné leur soutien à cet appel. Mais je me souviens qu’il y avait beaucoup de gens qui étaient septiques, même des militants, même et surtout beaucoup de Palestiniens aussi, qui disaient que le boycott ça ne va pas marcher comme en Afrique du Sud. Parce que “rappelons-nous que l’Afrique du Sud n’avait pas ce réseau international de soutien” : les gens disaient des choses comme ça, alors ce n’est pas vrai, il y avait beaucoup de soutien pour l’apartheid dans le monde, mais on disait qu’Israël est très fort, très important dans le monde, il a beaucoup de soutiens surtout des Etats-Unis, il y a un lobby pro-Israël aux Etats-Unis qui est très très puissant etc…
Et on disait ça il y a 5 ans, peut-être on disait ça il y a 3 ans, il y a deux ans, il y a un an on disait ça… et maintenant on ne peut pas nier que le BDS est un facteur très important dans le rapport des forces entre les Palestiniens et Israël…
Déjà beaucoup de victoires pour la campagne BDS
Il y a une organisation militante aux Etats-Unis, une coalition qui s’appelle The US campaign and the realy occupation…” qui est très active dans les campagnes de BDS… Ils ont publié aujourd’hui une liste de 100 victoires BDS en 10 ans… Et il y a peut-être plus de 100 victoires… mais on peut constater qu’il y a beaucoup de luttes, beaucoup de campagnes, beaucoup de batailles, il y a des victoires, il y a des échecs, mais même les échecs sont très très importants, parce qu’il y avait plus d’échecs il y a 10 ans, il y a plus de victoires maintenant. Mais il y a des progrès c’est l’important.
Et on voit que beaucoup de ces batailles ont été menées en France et en Europe, et on peut parler par exemple de Véolia, et la campagne de Véolia est une très grande réussite. C’est une société française, multinationale… les responsables même de la société admettent que les campagnes BDS lui ont coûté des milliards d’euros en contrats perdus, en Europe, en Angleterre, en Suède, en France, et dernièrement Véolia a retiré presque tous ses investissements d’Israël, grâce à ces campagnes.
Mais ça n’en reste pas là (…) ça a même marché aux Etats-Unis et il y avait des victoires très importantes contre Véolia, par exemple à Boston, et à St-Louis, Missouri, un des Etats les plus conservateurs des Etats-Unis, ou Véolia a été viré de St-Louis, Véolia devait prendre un contrat pour gérer l’eau de la ville de St-Louis et l’important ce n’était pas seulement le Palestine Solidarity Comitee de St-Louis qui a travaillé sur ça, c’était une coalition entre plusieurs organisations, parmi eux les écologistes et les syndicalistes, parce que ce n’était pas seulement les Palestiniens qui s’opposaient à Véolia, ça aurait fait des dégâts à l’environnement et à l’emploi public. Alors c’était parce qu’il y avait ce travail de base qu’on a réussi à virer Véolia de St-Louis.
Et en somme, parce qu’on ne peut pas entrer dans toutes les différentes campagnes, mais on peut constater qu’il y a des dégâts importants que subit Israël grâce au BDS. Le mois dernier, l’organisation de l’ONU UNCTAD qui s’occupe du commerce international a publié son rapport annuel sur le – ça s’appelle The World Investissement Report – sur l’investissement global, et ils ont relevé qu’en 2014 le montant des investissements étrangers en Israël a chuté de 50%. Et il y a l’économiste israélien Rony Manoski qui est d’ailleurs un des auteurs de ce rapport de l’ONU a dit au journal Yediot Aharonot en Israël : nous croyons que ce qui a mené à cette chute dans les investissements en Israël c’est l’attaque sur Gaza (qu’ils appellent Operation protected…) et le boycott. Alors c’est très important.
On voit aussi … on sait que quand il y a des évènements, des guerres, des conflits, des attentats terroristes dans un endroit, que le tourisme chute. Et ça s’est passé l’été dernier en Israël, surtout quand la résistance palestinienne a réussi à fermer l’aéroport de Lod pendant quelques jours, presque une semaine. Il y avait les compagnies de voyage qui ont annulé des milliers de voyages touristiques en Israël. Mais normalement il y a une chute et puis il y a un rebond. Mais l’intéressant c’est quand Israël, il n’y a pas de rebond. Et c’est ça qu’a révélé aussi Ynet le journal israélien au mois de mai : que, je vais lire cette phrase de Ynet : “malgré les espoirs de reprise depuis 3 mois après l’opération de l’été dernier, il semble que la crise ne fait qu’empirer… le nombre de touristes baisse, le nombre de séjours dans les hôtels décline et le nombre de tours organisé a vraiment été de manière significative en baisse”.
Il y a d’autres indications aussi : par exemple il y avait un rapport du gouvernement d’Israël, un rapport interne qui a été publié dans la presse il y a une semaine, qui dit qu’un boycott total coûtera à Israël plus de 12 milliards d’euros par an si les consommateurs en Europe arrêtent d’acheter les produits israéliens. Alors, c’est facile de comprendre pourquoi Israël dit que le BDS est une menace stratégique, au même niveau que l’Iran. Et c’est des responsables israéliens qui disent ça presque tous les jours… et on peut voir qu’Israël essaie de lutter contre le BDS par plusieurs moyens, et que dernièrement ils ont fait des allocations budgétaires de 30 millions de dollars pour lutter contre le BDS, ils ont nommé un ministre pour combattre le BDS : Gilad Adam, mais tout ça ce n’est pas nouveau, ils ont commencé à faire ça en 2010, et on voit le résultat aussi – on va parler de la poursuite des militants en France et aux Etats-Unis – ça fait partie de cette contre-attaque israélienne…
L’aide du gouvernement israélien lui-même…
Mais il faut dire que je suis très très heureux, très très satisfait du gouvernement israélien qui existe maintenant après les élections. Parce que les ministres israéliens comme Ayelet Shaked, ministre de la justice, qui a l’été dernier appelé au génocide des Palestiniens – et c’est Electronic Intifada qui a révélé ça, elle a écrit en hébreu sur son facebook qu’Israël devait tuer les mères, les mamans, pour qu’elles ne donnent pas naissance à des serpents, ce n’était pas seulement sur Electronic Intifada c’était sur les médias du monde qu’une député israélienne appelait à tuer les mamans palestiniennes… – Il y a Miri Regev, qui est ministre de la Culture, qui a comparé les réfugiés et les immigrés de l’Afrique, a dit qu’ils étaient comme le cancer en Israël, et quand on lui a reproché ça, elle s’est excusée aux malades du cancer : elle a dit je m’excuse que je vous ai comparé aux africains… elle est maintenant ministre de la Culture.
Il y a Tsipi Hotovely qui est ministre député des affaires étrangères qui a dit quelque chose d’aussi horrible… Mais l’important c’est que ce gouvernement va annuler tous les efforts de propagande seulement en ouvrant sa bouche…
Il y a bien sût Naftali Bennett qui est ministre de l’Education nationale, qui a dit l’année passée, vous vous souvenez, quand Israël a tué les 4 garçons de la famille Bakr qui jouaient au football sur la plage à Gaza, il était sur CNN, on lui a posé une question sur ça, il a dit : bien sûr, ce n’est pas la faute d’Israël, c’est la faute du Hamas qui utilise les enfants comme bouclier et les palestiniens sont en train de mener un auto-génocide. C’est ça qu’a dit Naftali Bennet, le ministre de l’Education. C’est le même ministre qui a aussi dit il y a deux ans qu’il a lui même, quand il était à l’armée, tué beaucoup d’arabes, il n’y a pas de problème avec ça, il est très très fier…
Alors, c’est la qualité des ministres qu’on embrasse et qu’on aime recevoir à l’Elysée, et à Ten downing street, et à la Maison blanche à Washington. Mais je crois vraiment qu’ils nous aident, parce que vraiment ça ne sera pas (moins) pire pour les Palestiniens si la soi-disant gauche israélienne était élue, parce qu’ils continuent – rappelons-nous que c’était la gauche qui a commis le massacre à Gaza en 2009, et qui a imposé le blocus sur Gaza.
La campagne BDS est une campagne anti-raciste
Alors cette lutte d’Israël contre le BDS comprend aussi comme on a dit les accusations d’antisémitisme. Et quelque chose d’autre qui est… l’effort de faire l’amalgame entre l’antisémitisme et l’activisme pour les droits des Palestiniens, et encore plus sérieux faire l’amalgame entre Israël et le sionisme d’un côté, et les Juifs de l’autre.
Il y a l’exemple très clair de ça, ça date du 18 juin, et c’est un article de BHL – on dit aux Etats-Unis qu’il est le plus grand philosophe français… (rires)… mais le titre de l’article c’est : “une étoile jaune pour l’Etat juif” … alors moi je trouve ça dégoûtant la tentative d’utiliser la Shoa comme bouclier pour Israël… Mais il ne donne aucun exemple d’antisémitisme dans cet article, il parle des campagnes “le débat sur l’étiquetage de certains produits”… il ne dit pas que c’est des produits de colonies illégales. Il parle seulement des campagnes très éthiques et morales de BDS.
Bien sûr cette accusation d’antisémitisme est très très grave, et c’est toujours nous qui… nous sommes toujours dans la position de nous défendre contre ces accusations. C’est très très clair que l’appel de BDS, les militants palestiniens, la direction palestinienne de cette campagne sont très très clairs qu’ils sont contre toute forme de racisme. Et il faut être clair que le BDS est une campagne antiraciste. Il faut être clair aussi que, en France, comme aux Etats-Unis, et je vais parler un peu de ça aussi, nos camarades de confession juive sont une partie très très importante de ce mouvement.
Alors c’est très très clair que nous devons lutter nous-mêmes contre toute forme de racisme. On ne prend pas de leçons des agitateurs sectaires et communautaristes comme BHL. Mais c’est vrai que cet effort prend différentes formes dans les différents pays. On a vu qu’en France il y a poursuite en justice des militants de BDS dans plusieurs villes. Aux Etats-Unis on ne peut pas faire ça parce qu’il y a des protections constitutionnelles pour l’expression libre qui n’existent pas en France malgré que c’est l’Etat de Charlie (rires )… Aux Etats-Unis on ne peut pas… Moi je ne suis pas Charlie parce que je ne suis pas français, mais peut-être… Mais on ne peut pas prendre des militants en justice aux Etats-Unis pour incitation à la haine, toutes ces histoires, ça n’existe pas. Mais on trouve d’autres moyens pour essayer de supprimer ou d’interdire la militance BDS. Et il y a des différences entre la France et les Etats-Unis…
Les progrès de BDS et de la solidarité avec la Palestine aux Etats-Unis…
Je constate que la plupart des campagnes de BDS aux Etats-Unis sont dans les Universités et dans les Eglises. Mais surtout dans les Universités, et je vais expliquer pourquoi… C’est parce qu’aux Etats-Unis les Universités – il y a des milliers d’Universités, plus de 3000 ou 4000 Universités aux Etats-Unis – la plupart sont privées mais beaucoup sont publiques aussi, et beaucoup des plus importantes comme l’Université de Californie sont publiques, et presque toutes les Universités ont de très grands fonds d’investissement. Pour la retraite et pour générer des revenus pour leur fonctionnement, pour leurs opérations.
Alors traditionnellement les étudiants et les autres mettent des pressions sur l’Université pour que ces fonds d’investissements soient investis de manière éthique. Alors historiquement il y avait de grandes campagnes pour que les Universités retirent leurs investissements des sociétés qui travaillaient en Afrique du Sud. Il y a d’autres exemples comme le Soudan et aussi dans les sociétés privées qui profitent des prisons, parce qu’il y a beaucoup de prisons privées aux Etats-Unis. C’est des exemples, il y a une grande tradition de faire pression sur les Universités. Alors c’est pour ça qu’on voit que les Universités sont des centres de BDS aux Etats-Unis, et les Eglises aussi, parce que les Eglises aux Etats-Unis sont très riches, les Eglises en France sont propriété de l’Etat, aux Etats-Unis ça n’existe pas, les Eglises sont privées, sont des organisations sans but lucratif mais privées, et beaucoup ont de très grands fonds d’investissement et de retraite. Alors c’est la même chose qu’avec les Universités…
Alors les organisations sionistes essaient d’utiliser les systèmes disciplinaires des Universités pour poursuivre les étudiants, pour les virer, pour les faire punir, parfois on essaie de les amener en justice par des “poursuites privées” et tout ça n’empêche pas le mouvement BDS de croître aux Etats-Unis.
Des changements en profondeur sont en cours aux USA
(…) Dire quelques mots aussi sur ce qui se passe aux Etats-Unis au niveau politique. Parce que vous savez que l’année prochaine il y a les élections aux Etats-Unis, et je suis très heureux et très fier que dernièrement, Hilary Clinton a déclaré qu’elle va, si elle est élue présidente, lutter contre le BDS. Elle est déjà amie d’Israël, mais maintenant elle va être meilleure amie… Et elle a annoncé qu’elle va lutter contre BDS. C’est important pour moi, très très positif que le BDS soit maintenant à ce niveau qu’on va parler de ça aux élections présidentielles. Au plus haut niveau, et vous allez entendre ça…
Mais en même temps, on peut constater qu’il y a des changements en cours aux Etats-Unis, des tendances très importantes qui font vraiment peur à Israël et aux organisations pro-Israël aux Etats-Unis. C’est un changement social et démographique plus large – je vais vous donner un exemple…
Il y avait un sondage il y a un an pendant la guerre contre Gaza, un sondage de Gallup, qui a trouvé que, de manière générale, les américains qui trouvaient que les actions d’Israël contre Gaza étaient justifiées, étaient 42%. C’est beaucoup, mais c’est bas dans le contexte des Etats-Unis. Et ceux qui croyaient que ce n’était pas justifié étaient 39% – presque égal… Et si vous connaissez les Etats-Unis, normalement c’est 60 ou 90% qui sont avec Israël et 5% qui sont avec les Palestiniens. Alors ça c’est une chose… Mais si on approfondit et qu’on regarde, il y a des différences importantes : la majorité des hommes soutenait les actions d’Israël, la majorité des femmes s’opposait… c’est toujours comme ça.
Parmi ceux qu’on appelle les blancs – the white americans… – dans ce sondage, 50% soutenaient l’action d’Israël, et 34% s’opposaient. Et parmi les “non white”, ceux qu’on appelle les “non white” dans ce sondage – alors tout le monde qui n’est pas blanc – c’était l’inverse : seulement 25% ont justifié les actions d’Israël, et la moitié s’opposait. C’est sans précédent aux Etats-Unis, c’est un grand changement. Et si on regarde les différences entre les générations : entre 18 ans et 29 ans, c’était la même chose que pour les non-white : seulement 25% justifiaient l’attaque, et 51% s’opposaient… mais pour les plus âgés, les âgés de 50 ans et plus, c’est l’inverse encore. Alors, ça ce n’est pas un sondage seulement, il y en a d’autres qui montrent qu’il y a des tendances consistantes. Il ne faut pas les exagérer, croire que du jour au lendemain ça va changer aux Etats-Unis, mais c’est des tendances consistantes et importantes, durables. Et qui montrent que – et ça reflète des tendances qu’aux Etats-Unis les jeunes et les non-whites sont plus progressistes que les plus âgés et les white… Et c’est comme ça qu’on explique aussi les changements comme l’introduction du “same sexe mariage”, le mariage des homosexuels.
En 10 ans il y a un changement total, et on dit que c’est grâce aux jeunes, grâce à des changements démographiques. Et ça montre que – on a une expression aux Etats-Unis : “progressive except Palestine”, PEP : si on dit que quelqu’un plutôt gauchiste est “progressive except Palestine”, ça veut dire qu’il est “bon pensant” sur toutes les causes de gauche sauf la Palestine. ça existe peut-être en France… Mais historiquement, aux Etats-Unis on a constaté que les mouvements de gauche, par exemple dans les années 80, même les mouvements contre l’apartheid en Afrique du Sud, ils étaient contre l’apartheid, avec le Tibet, avec les peuples indigènes en Amérique centrale… tout ça ils luttaient, sauf la Palestine. La Palestine toujours était marginalisée. Ce qu’on constate maintenant, c’est que dans les mouvements des étudiants – et comme j’ai dit c’est le plus important forum de BDS aux Etats-Unis, dans les mouvements comme “Students for Justice in Palestine”… – , on trouve que la Palestine est maintenant au sein des mouvements progressistes aux Etats-Unis. C’est un changement, ça fait peur à Israël.
Et je vais dire que c’est lié à autre chose : c’est que maintenant aux Etats-Unis, on commence à avoir – ça a toujours existé mais il y a une augmentation de la militance de base surtout contre le racisme et la violence de la police aux Etats-Unis, que vous avez bien vue, cette tuerie systématique des citoyens noirs, et ce qu’on appelle “mass incorporation” : l’incarcération de masse : il y a en France à peu près 65 000 personnes en prison. Aux Etats-Unis c’est plus de 2 millions de personnes, et la plupart sont des non-whites. Alors on voit l’augmentation des mouvements de base.
La mise en cause de la collaboration Etats-Unis/Israël pour l’occupation et l’industrie sécuritaire et d’armement
Et ce que je constate dans le livre c’est que ce n’est pas par hasard que ce sont les mêmes hommes et femmes politiques qui soutiennent Israël qui soutiennent aussi les politiques racistes aux Etats-Unis. Monsieur Obama parle des “share values” avec Israël, les “valeurs partagées”, quand il parle des valeurs partagées, il veut dire la démocratie, les droits humains, qu’Israël et les Etats-Unis sont les lumières pour le monde et tout ça… Mais les vraies valeurs partagées d’Israël c’est cet état d’esprit qui voit les Palestiniens d’un côté et les non-whites d’un autre côté comme un ennemi interne, comme une population de “surplus” qui doit être contrôlée par des moyens très agressifs et violents. Et on voit une exportation des technologies qu’Israël développe en utilisant les Palestiniens comme moyens de recherche, moyen d’expérimentation. Exporter ça aux forces de police aux Etats-Unis, et aussi pour la militarisation de la frontière Sud des Etats-Unis : on voit par exemple qu’Obama a donné un grand contrat à la société israélienne Elbit System, c’est une société qui fabrique les armes qui tuent les Palestiniens, qui a construit le Mur… Ils ont maintenant un contrat pour faire ce qu’on appelle “le mur invisible”, un mur électronique sur la frontière des Etats-Unis. _ Et on voit aussi, j’ai détaillé ça dans le livre, des voyages organisés systématiques des commandants des forces de police de toutes les grandes villes des Etats-Unis en Israël pour faire de l’entraînement, ils reviennent aux Etats-Unis pour dire oh les Israéliens ce sont les experts du monde pour combattre le terrorisme, la drogue, les gangs etc etc…
Alors on voit dans les Universités… c’est un début, c’est pas assez, mais c’est la tendance très prononcée, une convergence entre les luttes des Palestiniens et les autres luttes comme celles dont j’ai parlé. Et ce n’est pas seulement parce que c’est éthique et moral qu’il faut faire ça, mais c’est par nécessité, parce qu’on voit que c’est les mêmes hommes politiques, les mêmes sociétés, qui profitent de l’occupation, qui profitent du “mass incorporation” aux Etats-Unis, qui profitent de la violence des Polices. Et on ne peut pas gagner sauf quand on mène une lutte conjointe.
Alors pour terminer, je veux vous remercier encore une fois pour votre militance. C’est très très important, c’est très très inspirant, pas seulement pour le peuple palestinien, mais aussi pour les autres militants du monde qui regardent la France, qui regardent vos efforts, même face à cette oppression et ces efforts de supprimer et de criminaliser vos campagnes. Alors continuez à être courageux, et à nous montrer comment lutter pour les droits des Palestiniens.
Et je veux dire qu’on peut avoir confiance qu’on peut gagner les droits, tous les droits de tous les Palestiniens. On est ici ce soir pour célébrer, pour marquer 10 ans de BDS. Mais on ne veut pas célébrer ou marquer 20 ans de BDS. Dans les 10 ans qui vont venir on veut célébrer une Palestine libre et libérée.
Plus d’infos sur Ali Abunimah : rencontre avec Ali Abunimah
http://www.reseauxcitoyens-st-etienne.org/article.php3?id_article=3102
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